BMCR 2023.11.18

The iconography of magic

, The iconography of magic: images of power and the power of images in ancient and late antique magic. Studies in the history and anthropology of religion, 7. Leuven: Peeters, 2022. Pp. xx, 195. ISBN 9789042948822.

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Les rituels que l’on catégorise habituellement comme “magiques” emploient une grande variété de textes et d’images conçus pour mettre en acte un pouvoir. Les images ont suscité moins d’attention de la part des chercheurs que les textes, mais un récent développement – qui emboîte le pas au “material turn” – a accru l’intérêt pour les figurines ou effigies, les dessins et les images gravées dans le cadre de procédures rituelles qui échappent aux autorités religieuses instituées et, potentiellement, aux conventions iconographiques habituelles. Une iconographie assez spécifique et parfois tout à fait exceptionnelle peut ainsi être abordée sous l’angle de la dialectique entre traditions et innovations. Les images – appelées zôdia dans les formulaires magiques gréco-égyptiens – attirent l’attention sur la matérialité du rituel et les aspects concrets, techniques, du savoir magique. Comprendre le pouvoir des dispositifs graphiques conçus et employés par les praticiens exige de questionner le fonctionnement de ces images – que l’on ne saurait réduire à des illustrations – avec les textes prescriptifs ou performatifs. Le sous-titre de l’ouvrage collectif édité par Raquel Martín Hernández centre précisément le regard sur le pouvoir qui spécialise cette iconographie (“Images of Power and Power of Images”). Les images représentent et agissent sur des puissances surhumaines invoquées ou repoussées, ou encore – et en particulier dans les malédictions – des individus ciblés par l’action rituelle. Ce pouvoir par l’image irrigue les neufs écrits contenus dans un volume qui couvre un large panel de types documentaires représentatifs d’une catégorie magique, aux premiers siècles de notre ère, voire au-delà du Ve siècle: formulaires rituels sur papyrus (Rita Lucarelli, Sabina Crippa) ou papyrus dotés d’un pouvoir rituel (Korshi Dosoo), malédictions écrites sur plomb ou defixiones (Francisco Marco Simón et Celia Sánchez Natalías, Raquel Martín Hernández, György Németh), amulettes et principalement les “gemmes magiques” (Attilio Mastrocinque, Christopher A. Faraone, Walter Shandruk).

Tous les supports n’ont pas, il est vrai, bénéficié par le passé d’un même degré d’analyse iconographique – les gemmes magiques ont été privilégiées, avec des études sérielles et l’usage d’outils numériques plus avancés.[1] Aborder un ensemble de types documentaires permet d’envisager la spécificité des images magiques, ainsi que leur relation avec des traditions mieux cernées. La collection d’enquêtes rassemblées ici donne une vue globale des interrogations possibles et de réelles propositions méthodologiques. Elle réaffirme la valeur de la mise en série et de la comparaison autant pour interpréter les images qu’étudier les dynamiques de leur transmission. L’ouvrage invite également à ne pas séparer l’iconographie de l’écriture au risque de perdre connaissance d’une imbrication étroite entre la lettre et l’image dans l’activation même du pouvoir rituel. Enfin, on relève avec intérêt la possibilité d’analyses quantitatives, notamment pour mesurer la diffusion des images propres au répertoire des “magiciens”.

La mise en série des images et leur comparaison n’est pas neuve, mais toujours productive et permet d’interroger le design, les sources et l’élaboration d’un savoir préliminaire à l’utilisation rituelle. Rita Lucarelli analyse les motifs du scarabée, de l’embaumement et de la “stèle” sur les formulaires magiques gréco-égyptiens en retraçant un continuum avec les vignettes du Livre des Morts égyptien, bien compris par les designers et les utilisateurs des images. Raquel Martín Hernández emporte plutôt la conviction en identifiant Seth à travers la représentation d’une divinité à tête d’équidé sur les defixiones de la Porta San Sebastiano (Rome): elle est tout autant convaincante lorsqu’elle reconnait une fluctuation des modes de représentation, qui peuvent croiser Seth et Anubis, par exemple, et souligne que l’intention du rituel a pu conduire à la sélection des éléments iconographiques. La dialectique entre tradition et innovation travaille cette sélection, et peut être interrogée lorsqu’on tente d’identifier un agent représenté. György Németh analyse la figure du démon Baitmo représenté sur des tablettes d’Hadrumète et auparavant comparé au type d’Isis navigans: il propose d’y reconnaitre une version de la démone néo-assyrienne Lamashtu. Certes, le canal de diffusion d’une telle iconographie échappe à l’analyse, qui postule toutefois un passage à travers une très longue durée entre le Proche-Orient des débuts de l’Âge du fer et la fin de l’Antiquité. La transmission des modèles est une question difficile, à laquelle des éléments de réponse sont apportés parfois par l’observation des techniques d’écriture, de dessin ou de mise en page. Christopher Faraone retrace ainsi le passage de motifs circulaires depuis les gemmes magiques vers des supports non circulaires, papyrus ou bandes métalliques. L’étude montre l’intérêt de prendre en compte le fait qu’un design n’est pas nécessairement fixé dans un seul type de medium, mais qu’au contraire une part de l’innovation iconographique passe par la transposition d’un matériau à l’autre et la recherche de solutions techniques pour ce faire. La compréhension d’une image et de sa conception passe ainsi par l’analyse des structures qui l’englobent, l’adaptent à un modèle ou à une intention nouvelle.

Le volume invite à ne pas isoler les images, mais à prêter attention à la complémentarité entre iconographie et écriture. Sur les tablettes de defixio, les figures liées et contraintes agissent par analogie et complètent les formules du texte en partageant une même performativité, comme l’expliquent bien Francisco Marco Simón et Celia Sánchez Natalías: elles disent et font la ligature au même titre que la parole inscrite. Sur différents types d’amulettes, Attilio Mastrocinque retrouve un même rôle ambigu joué par des animaux menaçants et, selon les contextes, protecteurs. Le loup assoiffé qui apparait dans des incantations est mis en parallèle avec le motif de Tantale sur des gemmes et avec le type iconographique des animaux attaquant le mauvais œil: là encore, l’image de l’animal agit comme son évocation dans les paroles écrites ou orales. Enfin, l’essai de Korshi Dosoo sur l’iconographie des papyrus magiques coptes est une initiation fascinante à la représentation des puissances salutaires ou malveillantes dans la magie chrétienne d’Égypte à partir du Ve siècle. L’iconographie générale des anges s’inscrit dans les canons de l’art chrétien, mais avec des caractéristiques stylistiques propres à la documentation magique, comme la schématisation des ailes sous une forme tubulaire. L’abstraction touche aussi des figures hybrides et semble faciliter l’intégration de l’écriture dans le dessin. Les dispositifs graphiques déployés permettent de mobiliser des puissances supérieures et de faire advenir les actions demandées. D’autres représentations donnent à voir les puissances démoniques que l’on veut repousser, comme “Aknator l’Éthiopien”. Ce dossier, qui prolonge les travaux sur la documentation antique, met en valeur les gains d’une étude iconographique détaillée: en tenant compte de la manière dont sont travaillés des dispositifs graphiques qui articulent dessin et écriture, on parvient à déterminer comment une image peut, à la fois, être performative et transmettre tout un pan de savoir sur les puissances surhumaines. Comme la plupart des études apportées dans ce volume, la mise en série et l’attention portée aux dispositifs graphiques donnent à voir, à travers les images, une part d’un savoir par ailleurs oral. Sabina Crippa conclut, à partir de l’articulation entre textes et images dans les formulaires magiques gréco-égyptiens, que les images fonctionnent avec la parole écrite ou orale et jouent un rôle équivalent dans l’expression d’une tradition rituelle.

Des traditions iconographiques nouvelles, parfois spécifiques, s’adossent ainsi à des savoirs qui nous échappent en grande partie, du fait de leur oralité et d’une diffusion difficile à retracer. C’est précisément le cas du motif de l’anguipède à tête de coq, cuirassé et armé d’un fouet et d’un bouclier, que l’on a jusqu’à présent pu identifier sur les gemmes magiques seules et dont Walter Shandruk offre une représentation statistique. Quantifier l’association du nom Iaô avec la figure de l’anguipède à tête de coq confirme l’appartenance de ce motif à la sphère du dieu biblique. Ses différentes associations avec des divinités solaires, prises individuellement, apparaissent quant à elles moins significatives. Le recours à un modèle statistique appliqué aux études de marché fait ressortir un pic d’utilisation du motif de l’anguipède à tête de coq durant le IIIe siècle après une phase initiale d’adoption au cours de laquelle le motif s’est concentré sur un seul type de support: W. Shandruk conclut à un effet de niche qui expliquerait un phénomène de saturation dès le IVe siècle. Dans l’attente de savoir qui a conçu et utilisé les gemmes comportant le motif, et par quels canaux ce dernier s’est diffusé, les calculs de ce type permettent au moins de fonder certaines hypothèses. L’analyse statistique permet assurément de caractériser la diffusion d’une iconographie – dans ce cas-ci, très spécifique – et de poser des questions plus précises à la documentation.

Les textes n’éclairent pas toujours les images et, parfois, l’identification d’une figure ou l’interprétation d’un dessin échappent au consensus – sans nécessairement perdre leur intérêt pour comprendre l’économie générale du support. L’analyse minutieuse et la comparaison sont toujours profitables dans la mesure où elles font émerger des hypothèses d’identification. En règle générale, les images magiques sont des procédés d’énonciation, au même titre que l’écriture, et sont souvent construites en étroite relation avec elle. La mise au point et l’adaptation de ce que l’on peut considérer comme des techniques graphiques qui activent un pouvoir rituel éclairent par ailleurs le type d’expertise qui est à l’œuvre dans la “magie” à une époque et dans un lieu donné, avec ses propres modalités de transmission. Des outils d’analyse quantitative, on le voit, sont là pour aider à caractériser cette dernière. Les limites de la documentation, l’état de conservation parfois dommageable aux images, l’absence souvent de données archéologiques précises, l’anonymat quasi général des agents, la circulation invisible des modèles, invitent bien évidemment à agir avec prudence. Elles sont aussi autant de raisons de pousser les enquêtes avec tous les moyens disponibles, et l’ouvrage montre que ces efforts ne sont pas vains.

 

Authors and Titles

R. Lucarelli, “The ‘Vignettes’ of the Greek Magical Papyri: Visual Elements of the Pharaonic Magical Tradition and the Use of Bildzauber in the PGM”.

F. Marco Simón, C. Sánchez Natalías, “Images of Tied Victims in Magical Texts”.

R. Martín Hernández, “Eulamo vs. Seth: On the Equine-Headed Demon Represented in the defixiones from Porta S. Sebastiano (Rome)”.

G. Németh, “Baitmo and Lamashtu”.

A. Mastrocinque, “The Hungry Wolf”.

Ch. A. Faraone, “The Late-Antique Transfer of Circular Gem-Designs to Papyri and Foil: The Ouroborus and Solomon’s Seal”.

W. Shandruk, “The Anguipede, its Origins and Market Diffusion”.

K. Dosoo, “Heathen Serpents and Wingless Angels? Some Notes on Images in Coptic Magical Texts”.

S. Crippa, “Drawing and Writing: Reflections on the Transmission of Ritual Knowledge”.

 

Notes

[1] La Campbell Bonner Magical Gems Database rassemble précisément des outils pour la mise en série et l’analyse iconographique: http://cbd.mfab.hu/. En ce qui concerne les formulaires magiques gréco-égyptiens, il convient de signaler le projet To Zodion de l’éditrice du volume: http://www.to-zodion.net/.