BMCR 2023.08.35

‘Aegyptiaca’ nella Sicilia greca di VIII-VI sec. a.C

, 'Aegyptiaca' nella Sicilia greca di VIII-VI sec. a.C. Monumenti antichi, 81; serie misc., 26. Rome: Giorgio Bretschneider, 2021. Pp. xlviii, 186. ISBN 9788876893353.

L’auteur, spécialiste de la diffusion de la culture et de la religion égyptiennes en Méditerranée, propose ici le premier corpus d’aegyptiaca, objets (généralement de petite taille) d’origine égyptienne, découverts dans la Sicile grecque et jusqu’ici dispersés dans la bibliographie, inédits ou peu connus.

L’ouvrage, composé de deux sections principales, présente dans la première (p. 3-25) une brève synthèse de l’histoire de la recherche et de la diffusion des aegyptiaca dans le monde grec de l’Italie archaïque, offrant une comparaison entre l’Italie méridionale (qui a fait l’objet de plusieurs articles par l’auteur) et la Sicile, objet du livre présent. Le catalogue (p. 27-152) constitue la seconde section et le cœur du livre. Il est composé des notices de 196 objets (vases, figurines, coquillages, plaquettes, scarabées, provenant de contextes votifs ou funéraires), de longueurs variées et abordant les rubriques suivantes: lieu et état de conservation, matière et techniques décoratives, typologie, contexte de découverte, origine et datation, bibliographie, commentaire. Le classement toponymique n’est pas explicité mais semble procéder par secteur géographique. L’ensemble est illustré de cent six figures et quarante planches hors texte (dont sept en couleurs, de belle qualité) et complété de deux notes sur des objets découverts hors contexte: une note d’Elfriede Haslauer sur les shaouabtis, figurines funéraires égyptiennes, découverts à Lipari, et une note de l’auteur sur la statue du scribe découverte au temple d’Apollon à Syracuse mais probablement apportée là à l’époque romaine.

L’auteur s’est fixé pour objectif d’étudier les importations égyptiennes “du point de vue de l’égyptologue” et d’aider ainsi à restituer l’histoire des relations culturelles de l’Égypte avec la Méditerranée car les aegyptiaca seraient le témoignage de la diffusion de la magie populaire égyptienne, hypothèse généralement admise[1]. Il insiste toutefois, et avec raison, sur l’importance de tenir compte des usages locaux et de la nouvelle signification éventuellement acquise par l’objet au sein du contexte de découverte, au-delà du symbolisme d’origine. En cela, le corpus proposé offre d’intéressantes perspectives d’étude.

L’auteur a consacré de nombreuses publications à la diffusion des aegyptiaca en Méditerranée occidentale, dont trois ouvrages, sur l’Italie (1979), la Sardaigne (1986), Malte et Gozo (1989). La Sicile a fait aussi l’objet de plusieurs articles depuis une vingtaine d’années[2]. Le tableau qu’il reconstruit à partir de ces données met en évidence l’évolution des relations de l’Égypte avec la Méditerranée: reprise des relations entre le Xe et le IXe siècle; augmentation des importations entre le IXe et le VIIIe siècle, parvenues surtout via la Syrie du Nord et Chypre; raréfaction au VIIe siècle, où domine la circulation des imitations égyptiennes de production égéenne; affluence de produits du Delta du Nil, pour beaucoup en provenance de Naucratis, durant le VIe siècle.

Alors que la nécropole de Torre Galli, en Calabre, fournit les plus anciens contextes de la péninsule avec des scarabées égyptiens (seconde moitié du Xe-IXe siècle), les premiers aegyptiaca apparaissent seulement plus d’un siècle après en Sicile, dans la seconde moitié du VIIIe siècle. L’auteur brosse le tableau d’importations parvenues, pour les plus anciennes avec la céramique eubéenne, dans les années précédant immédiatement l’implantation des premières fondations grecques, à destination par conséquent d’établissements indigènes. La parenté typologique et stylistique constatée entre certains scarabées égyptiens esquisse pour le VIIIe s. les itinéraires eubéens autour de la péninsule: Pithécusses, Francavilla Marittima, Pellaro en Calabre et Villasmundo en Sicile.

Comme le souligne l’auteur, Villasmundo tient une place de premier plan en Sicile en raison de la concentration de scarabées (24 recensés) et de l’ancienneté des contextes de découverte (seconde moitié du VIIIe s.) qui en font de fait les premières attestations de l’île. Les dix autres établissements indigènes répertoriés ne présentent que de rares aegyptiaca (Monte Finocchito, Mendolito, Centuripe, Paternò, Butera, Monte San Mauro, Morgantina, Rossomano, Monte Iato, Polizzello – qui compte huit scarabées considérés comme de production égéenne par l’auteur et intégrés malgré tout au corpus, peut-être parce qu’ils n’ont pas pu être examinés directement ?). Tous auraient cependant en commun d’avoir été alimentés par le commerce grec à travers les vallées fluviales. Et c’est bien la question de la provenance des objets et des transporteurs que pose ce matériel, de production égyptienne en effet, mais parvenu en Sicile d’abord par le truchement des Phéniciens (de Syrie du Nord et de Chypre), puis des Grecs.

Pour les dix cités grecques ayant livré des aegyptiaca (Syracuse, Mégara Hyblaea, Camarine, Géla, Agrigente, Sélinonte, Messine, Milazzo, Lipari, Himère), l’auteur note la distribution déséquilibrée des objets au profit des cités du Sud et du Sud-Est de l’île, le Nord étant peu représenté. En réalité, comme en milieu indigène, les attestations y sont généralement rares (entre 2 et 4). Seules quatre cités se démarquent par la concentration d’objets: Syracuse (51), Mégara Hyblaea (37), Sélinonte (22) et, dans une moindre mesure, Géla (13). L’éventualité de lacunes archéologiques mise à part, on serait tenté de mettre la distribution géographique des aegyptiaca en lien avec la chronologie des importations, plus nombreuses au début de la colonisation, donc plus présentes dans les plus anciennes fondations, Syracuse et Mégara Hyblaea rassemblant à elles seules presque la moitié du corpus recensé. Les circuits d’échange sont sans doute aussi en cause. On relèvera toutefois des absences surprenantes car ni Naxos, ni Léontinoi, elles aussi, pourtant, parmi les plus anciennes fondations et toutes deux eubéennes, n’ont livré d’aegyptiaca à ce jour. L’absence d’aegyptiaca à Léontinoi tendrait à corroborer la thèse selon laquelle les importations égyptiennes découvertes à Villasmundo avec de la céramique eubéenne sont parvenus dans l’établissement indigène non pas par le Nord, depuis Léontinoi, mais par l’Est, à travers la vallée du Marcellino, depuis le littoral de Mégara Hyblaea, déjà ou bien sur le point d’être occupé par les Mégariens[3].

De ce tableau général l’auteur a volontairement écarté la Sicile phénico-punique, principalement parce que les importations d’aegyptiaca y parviennent par des circuits différents, en lien avec le monde phénico-punique de Carthage, de Sardaigne et de la péninsule ibérique. Une vue d’ensemble des aegyptiaca importés en Sicile serait pourtant fructueuse pour l’analyse des relations entre l’ouest et l’est de l’île car l’ouvrage laisse entrevoir des analogies entre les deux secteurs à travers plusieurs catégories d’objets (voir les figurines, tablettes en stéatite et scarabées n° 55 et 59 de Mégara Hyblaea, n° 179 et 185 de Sélinonte, n° 142 de Géla). Il serait donc important de compléter et d’affiner ces informations dans l’objectif de mieux comprendre les rapports entre Phénico-Puniques et allogènes en Sicile, car, pour citer l’auteur lui-même: “la sicilia era una zona di contatto e non v’erano netti confini fra le due aree” (p. 18).

L’ouvrage de G. Hölbl est l’aboutissement d’une riche réflexion commencée très tôt avec Beziehungen der ägyptischen Kultur zu Altitalien, vol. I-II, Leyde, 1979. Il appartient à la collection des Monumenti antichi publiés par l’Accademia dei Lincei et initiés en 1889 avec un volume qui contenait la première grande publication sur Mégara Hyblaea par Paolo Orsi et Francesco Cavallari. Au sein de la collection, pour l’année 2022, le livre de G. Hölbl fait partie d’un ensemble de trois consacrés à la Sicile antique. Comme le livre de G. Hölbl, Gela. Il Thesmophorion di Bitalemi. La fase arcaica. Scavi Orlandini 1963-1967, dirigé par Marina Albertocchi (Monumenti Antichi, 82, Serie misc., 27), a bénéficié d’une préface de Paola Pelagatti, ancienne surintendante de Syracuse qui a constamment encouragé la diffusion des connaissances sur la Sicile antique. Le deuxième ouvrage quant à lui poursuit la si précieuse publication des carnets de Paolo Orsi sous forme de fac-similé et de transcription: P. Orsi, I Taccuini, II. Riproduzione anastatica e trascrizione dei Taccuini 5-16 (Prefazione di Roberto Antonelli), Monumenti Antichi, 84 (Serie misc., 29).

Le livre de G. Hölbl vient donc compléter cette série importante et remarquable pour la communauté scientifique sur le plan de l’inventaire et de la classification archéologiques.

 

Notes

[1] Voir notamment les travaux de F. De Salvia et, récemment, M. L. Famà, I. Inferrera, P. Militello (dir.), Magia d’Egitto. Mostre archeologiche e convegni in Sicilia, Regione siciliana, 2015.

[2] La plupart est mentionnée dans la bibliographie p. XXX-XXXI.

[3] Sur les relations entre Eubéens et Mégariens à Mégara Hyblaea, voir les travaux menés par l’équipe française de Mégara Hyblaea, sous l’impulsion de Michel Gras, notamment la thèse inédite de Lou de Barbarin: La céramique mégarienne archaïque: productions et styles. Contribution à l’histoire des communautés grecques de Sicile aux VIIIe s. et VIIe s. av. J.-C., Aix-en-Provence, 2021.