BMCR 2022.12.21

Eleutheria! Retour à la liberté: découvrir et transmettre l’Antiquité depuis la Révolution grecque de 1821

, , Eleutheria! Retour à la liberté: découvrir et transmettre l'Antiquité depuis la Révolution grecque de 1821. Lyon: Presses universitaires de Lyon, 2021. Pp. 192. ISBN 9782729712549. €25,00.

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Le présent volume répond à un double objectif. Il présente, d’une part, le catalogue des 177 objets de l’exposition éponyme au Musée des Moulages (désormais désigné par l’abréviation MuMo utilisée dans le présent volume) de l’Université Lumière de Lyon 2 (18 septembre 2021 au 26 mars 2022).[1] D’autre part, il offre une série de études, qui proposent des explorations d’une vingtaine d’objets et de groupes d’objets « au cœur de l’exposition » (p. 16). Ces études comprennent, par exemple, un moulage en plâtre de la Vénus de Milo, deux moulages de Caryatides L277 et L278 de l’Acropole d’Athènes, un moulage de la Colonne des danseuses de Delphes et une impression en plâtre de l’inscription delphique 7026. Les études, d’environ trois à cinq pages, sont réparties en quatre grands chapitres, chacun ayant sa courte introduction : 1) Premières œuvres grecques en France entre la fin du XVIIIe siècle et 1821 ; 2) L’Acropole d’Athènes : du pillage à la restauration ; 3) La redécouverte de Delphes et la pratique du moulage (1892–1903) ; 4) Diversité des supports d’enseignement et d’étude : du XIXe au XXe siècle. Le livre s’ouvre sur une préface de Julia Bonaccorsi, et trois sous-chapitres sur l’histoire de l’intérêt européen pour la Grèce de la fin du XVIIIe au début du XXe siècle et sur l’histoire et la chronologie du MuMo. Il se termine par une conclusion suivie par le catalogue des objets présentés à l’exposition et les documents de fin d’ouvrage. Ces derniers comprennent un index des noms, une liste des collaborateurs de l’exposition et les remerciements. Le résultat est un volume magnifiquement produit et richement illustré, qui rassemble un éventail de matériaux et de perspectives susceptibles de satisfaire les lecteurs attirés par l’archéologie de la Grèce antique, ceux qui s’intéressent à la réception de la Grèce antique, au mouvement philhellénique (en particulier ses expressions françaises) et à l’histoire des institutions éducatives consacrés à ces thèmes.

Les trois premiers sous-chapitres de l’ouvrage proposent une introduction à l’histoire socioculturelle de la Révolution grecque à travers l’implication de la France dans la diffusion des connaissances sous la forme de fouilles archéologiques, de textes, d’images et de moulages. Le lecteur y trouve des œuvres célèbres comme Le voyage du jeune Anacharsis (4 vol., 1787) de Barthélémy (1716–1795) et des pièces moins connues comme le vaudeville d’Eugène de Lamerlière (1797–1841) Le Départ pour la Grèce (1828) – exemples littéraires de la fascination de l’Europe occidentale pour la Grèce au tournant du XIXe siècle. Dans le cadre de cette riche réponse culturelle au soulèvement grec, la préparation de moulages et de copies en plâtre est devenue un moyen essentiel de transmettre les formes, les connaissances et la mémoire des ruines de la Grèce antique aux publics de l’Europe contemporaine. La valeur de ces moulages aujourd’hui dans leur représentation de la matérialité tridimensionnelle d’un objet original, le fait qu’ils puissent être multipliés, la possibilité de reconstruire l’unité d’un original aujourd’hui en morceaux et leur occupation symbolique d’un espace vide dans le cas d’originaux manquants est exposée en termes clairs (pp. 14–15, et encore à la p. 110). Considérée comme « l’une des mieux conçues, des plus spacieusement installées, des plus méthodiquement organisées qui existent » parmi les collections de plâtres en France en 1903,[2] l’histoire du MuMo elle-même occupe maintenant le devant de la scène. Le lecteur y découvre les histoires liées de la création de l’École française d’Athènes et de chaires universitaires dédiées à l’art classique et à l’archéologie dans toute la France. La volonté de créer des musées de moulages comme outils pédagogiques sur le modèle de l’Allemagne (p. 21) coïncide avec l’apparition de trois figures qui dirigent le développement de la collection lyonnaise 1876–1925 : Gustave Bloch (1848–1923), Maurice Holleaux (1861–1932) et Henri Lechat (1862–1925). Ces spécialistes ont apporté à la collection un intérêt particulier pour le matériel grec ancien et se sont chargés de l’acquisition de moulages et de modèles provenant de toute l’Europe, d’Afrique du Nord et des Etats-Unis (voir figure p. 27). La place centrale qu’occupent les moulages en tant qu’objets dans l’enseignement et dans la recherche révèle que l’importance de se tenir au courant des dernières découvertes faites lors des fouilles en Grèce était au premier rang des préoccupations des chercheurs et des étudiants du monde antique. Au moment où la loi grecque de 1834 limite l’exportation de vestiges archéologiques originaux, les collections de copies en plâtre sont devenues pour plusieurs le principal mode d’accès aux matérialités du monde antique. La dernière partie de l’introduction propose une table des événements marquants de l’histoire du MuMo, qui se conclut par le programme de restauration qui a permis la réouverture du musée en 2019 sous Sarah Betite.

La série d’études du premier chapitre traite de l’histoire de l’intérêt pour les reliques de la Grèce antique depuis la fin du XVIIIe siècle jusqu’au début de la Révolution grecque. Avec un moulage de la Korè de Lyon (Lyon Inv. H1993), de la Vénus de Milo (Louvre Ma 399) et de l’Apollon de Choiseul-Gouffier (sculpture BM 209), cette section constitue un parcours de trois images emblématiques du monde antique. L’étude consacrée à la dernière de ces pièces est exemplaire de l’approche de l’ensemble du livre : Elle s’ouvre sur une image couleur pleine page du moulage de l’Apollon du MuMo. Après le titre de la page suivante, les détails complets du moulage sont donnés avec des précisions sur son origine, sa taille, la composition de ses matériaux et sa datation. Le texte du sous-chapitre commence par une description de la statue originale avant d’aborder l’histoire de l’intérêt français pour cette pièce et l’acquisition par le MuMo d’une copie. L’enthousiasme peu scrupuleux d’Auguste de Choiseul-Gouffier (1752–1817), ambassadeur à Constantinople à partir de 1784, pour l’acquisition d’objets archéologiques de la Grèce antique, est ici mis en évidence. Après avoir situé le moulage dans le contexte de sa création, le sous-chapitre met l’attention sur l’empressement des musées d’obtenir des copies de l’Apollon de Choiseul-Gouffier et sur les différences qui en résultent entre les produits finaux de ce processus. Le détail photographique du haut du dos, du cou et de la tête de la copie conservée à l’Université de Bordeaux Montaigne (p. 60) rend vivante la description de ses différences avec celle de Lyon. Ces moments révèlent l’intérêt minutieux pour la forme et l’histoire des moulages eux-mêmes, qui imprègne l’ensemble du volume. Le sous-chapitre se termine par une liste de suggestions de lectures complémentaires, destinées à fournir aux lecteurs les outils pour explorer plus en profondeur les questions soulevées dans l’étude.

Le chapitre suivant présente un groupe de modèles en plâtre résultant de l’exploration de l’Acropole d’Athènes après l’établissement de l’état grec moderne. Dans le sous-chapitre introductif, le lecteur trouve des paragraphes d’engagement soutenu avec le discours critique, à la fois contemporain et moderne, autour de la ferveur « philhellénique » de l’Europe occidentale. Le sous-chapitre consacré à la korè athénienne 674 s’ouvre sur l’inventaire complet de la copie conservée à Lyon et sur une description détaillée de l’original. Le rôle de la sculptrice danoise Ingrid Kjær est au cœur de l’étude de cette pièce. Le lecteur découvre une photographie fabuleuse de l’artiste au travail sur sa copie de la korè (p. 74–75), ce qui souligne une fois de plus l’attention méritée que le livre porte à la pratique de la production de copies et au rôle de cette pratique dans la diffusion des connaissances sur la Grèce à cette époque. Les compétences de Kjær, élève de la célèbre Anne-Marie Carl-Nielsen (1863–1945), étaient requises pour la korè du MuMo en raison de la coloration conservée sur l’original. Un moulage traditionnel de la pièce aurait risqué d’endommager son délicat décor polychrome. La sculpture soignée de Kjær a été colorée pour correspondre à l’original tel qu’il était en 1901. Après l’exposition à la lumière et aux processus d’oxydation qui en ont résulté, les couleurs de la korè 674 d’Athènes sont aujourd’hui beaucoup moins prononcées que celles de la copie du MuMo, un fait qui souligne à nouveau la valeur des moulages de l’époque pour notre compréhension de l’art antique.

Le chapitre trois regroupe six sous-chapitres consacrés à la récupération archéologique de l’antique Delphes (1892–1903). Le moulage du Sphinx des Naxiens, une « œuvre maîtresse » du MuMo (p. 99), est le premier élément présenté. Le chapitre détaille l’intensité des efforts français pour diffuser l’information sur les découvertes à Delphes et la décision qui en a résulté de poster un mouleur sur place pour un accès direct aux copies des nouvelles découvertes. Une attention particulière est accordée au voyage du Sphinx du MuMo de la Grèce à l’École des beaux arts (1894), au Louvre (1899) et à l’Exposition universelle de 1900 à Paris, avant d’arriver à Lyon au début de 1901. La réflexion du sous-chapitre sur les choix divers des sculpteurs du Sphinx des Naxiens de Lyon, de celui du Louvre et de la reconstitution en plâtre de l’original à Delphes, y compris une section de sa colonne, révèle les considérations des mouleurs des XIXe et XXe siècles entre les limites de l’espace d’exposition, les perspectives d’observation favorables et l’exactitude historique. Le même thème est traité, par exemple, dans les sous-chapitres consacrés à l’Aurige de Delphes, dont le mélange de matériaux vise à recréer le bronze de l’original.

Le dernier chapitre du volume présente la collection hétéroclite d’objets du MuMo destinés à l’enseignement et à l’étude qui ne correspondent pas à la description d’un moulage en plâtre. Il inclut, par exemple, deux petites statues de Tanagra ayant appartenu à l’archéologue et historien Salomon Reinach (1858–1932), ainsi qu’une dactyliothèque exquise de pièces de monnaie et des empreintes en cire de médailles anciennes provenant du legs du même savant. L’inclusion dans le volume de sous-chapitres sur les photographies réalisées par Fred Boissonas (1858–1946) de l’Acropole d’Athènes et de Délos (conservées sous forme de tirages en gélatine argentique) ainsi que sur les impressions de deux inscriptions delphiques (accompagnées d’une transcription des textes grecs et d’une traduction française) témoigne des efforts du public au début du XXe siècle pour obtenir un accès multimédia étendu à la Grèce antique.

La conclusion du livre présente l’avenir du MuMo et de son travail selon deux trajectoires : la première donnant la priorité à la recherche archivistique, à la restitution d’objets et au programme éducatif du musée ; la seconde offrant une plateforme pour les événements et la diffusion des résultats de la recherche (p. 164). Après la réouverture de l’institution en 2019, l’engagement renouvelé du MuMo dans ces domaines garantit un programme captivant pour les étudiants et les chercheurs intéressés par le monde antique et sa réception. La contribution du présent ouvrage, indépendamment de l’exposition qu’il représente, est ici aussi substantielle : Le livre présente presque une collection des ‹ meilleurs moments › de la Grèce idéalisée par les philhellènes du XIXe et du début du XXe siècle, avec des images et des interprétations accessibles de nombreuses attractions du monde antique. Le matériel présenté fait appel à l’expertise de plusieurs disciplines des études classiques, de l’archéologie à l’histoire de l’art, en passant par l’épigraphie et l’histoire de la réception. Le volume représente donc en soi un outil d’enseignement fructueux, avec des introductions stimulantes à des exemples de la culture matérielle de la Grèce antique. Le fait que l’histoire de l’accès à ce matériel passe par le prisme de l’attention avide que l’Europe du tournant du XXe siècle a portée à la Grèce antique – pour le meilleur ou pour le pire, un processus formateur pour nos disciplines aujourd’hui – signifie que le livre offre également un espace pour une réflexion critique sur l’avenir de nos disciplines.

 

Les auteurs et titres

Préface (Julia Bonaccorsi)
Un hommage à la Grèce (Hélène Wurmser)
Un musée de moulage d’art antique pour l’université de Lyon (Soline Morinière)
Repères chronologiques : Le Musée des Moulages d’art antique

Premières œuvres grecques en France entre la fin du XVIIIe siècle et 1821 (Hélène Wurmser)

La Korè de Lyon (Hélène Wurmser)
La Vénus de Milo (Hélène Wurmser)
L’Apollon Choiseul-Gouffier (Lina Roy)

L’Acropole d’Athènes : du pillage à la restauration (Hélène Wurmser)

Plan-relief de l’Acropole d’Athènes (Hélène Wurmser)
Une korè polychrome de l’Acropole (Sarah Betite)
Les caryatides de l’Érechthéion (Anne–Laure Sounac & Fanny Grué)
Le fronton est du Parthénon (Sarah Betite & Lina Roy)
Frise miniature des Panathénées (Jillian Akharraz)

La redécouverte de Delphes et la pratique du moulage (1892–1903) (Hélène Wurmser)

Le Sphinx des Naxiens (Sarah Betite & Jennifer Vatelot)
La frise du Trésor de Siphnos (Sarah Betite)
La Colonne des danseuses (Anne–Laure Sounac & Fanny Grué)
L’Aurige de Delphes (Sarah Betite)
La tête de serpent du Trépied de Platées (Jillian Akharraz)

Diversité des supports d’enseignement et d’étude : du XIXe au XXe siècle (Hélène Wurmser)

Quelques figurines en terre cuite de Myrina (Marina Plantier & Hélène Wurmser)
Deux statuettes tanagréenes du fonds Reinach (Violaine Jeammet)
Les plaques de projection (Hélène Wurmser)
Les photographies de Fred Boissonnas (Hélène Wurmser)
La dactyliothèque du fonds Salomon Reinach et les reproductions de monnaies (Hélène Wurmser)
Les estampages d’inscriptions : deux exemples delphiens (Richard Bouchon)

Conclusion (Hélène Wurmser)

Catalogue des oeuvres exposées (Sarah Betite et Anne–Laure Sounac)

 

Notes

[1] Limité par la pandémie de COVID-19, le présente critique n’a pas pu visiter l’exposition avant sa clôture.

[2] G. Radet, « Université de Lyon : Catalogue sommaire du Musée de moulages pour l’histoire de l’Art antique, par H. Lechat », Revue des Études Anciennes, 5.3,‎ 1903: 312–313.