BMCR 2022.05.11

Petronio: ricostruzioni e interpretazioni

, , , Petronio: ricostruzioni e interpretazioni. Bibliotheca 17. Pisa: Edizioni della Normale, 2020. Pp. 286. ISBN 9788876426889. €28,00.

[Chapter titles listed below.]

À l’occasion de son soixante-dixième anniversaire, les amis de Mario Labate ont eu l’idée de rassembler les contributions les plus originales que ce savant a consacrées aux Satyrica de Pétrone. Dans une tradition philologique commencée à Pise et poursuivie à Florence, Mario Labate a en effet publié sur le texte de Pétrone des contributions fondamentales de caractère interprétatif, mais aussi des notes de critique textuelle que la communauté scientifique internationale a fort bien reçues. Le volume se compose de deux parties. La première propose dix contributions (neuf déjà publiées et une inédite) de grande ampleur portant sur la critique du discours narratif. Elles abordent des thèmes comme l’imaginaire poétique, l’intertextualité, la reconstruction de la trame narrative, l’interprétation d’épisodes particuliers et le caractère des Satyrica. La seconde partie, qui porte sur la critique textuelle, propose quatre « Note petroniane » contenant des propositions brillantes pour résoudre des problèmes textuels et exégétiques difficiles.[1] Les contributions de la première partie contiennent aussi des apports importants en matière de critique textuelle.

Trois contributions sont de grande ampleur. Dans la première (Indecifrabilità del reale e prepotenza dell’immaginario nei « Satyrica » di Petronio [2010]), Mario Labate montre, à partir d’une thèse de V. Ciaffi selon laquelle le mécanisme du piège constitue la structure narrative principale du roman, que les stéréotypes appartenant à l’imaginaire romanesque des Satyrica de Pétrone agissent comme une force conduisant le protagoniste à ne pas comprendre ou à comprendre trop tard l’histoire qu’il vit et raconte. Cette incompréhension le conduit dans une voie sans issue dont il ne peut sortir que grâce à l’intervention inopinée d’une force extérieure.  Les séquences narratives dont nous sommes en mesure de contrôler l’issue présentent une dynamique faite d’accélérations brusques et de changements soudains. Les protagonistes sont incapables de comprendre la réalité qui les entoure et d’en prévoir les développements. Le jeune scholasticus Encolpe n’est pas en mesure de déchiffrer la réalité vécue et racontée ni de maîtriser le code culturel de l’urbanitas qui dirige l’univers de la Graeca urbs où se déroule l’action. L’épisode qui met le mieux en évidence l’erreur de perception et de jugement du protagoniste est certainement la Cena Trimalchionis, car les invités sont mis au défi par leur hôte de déchiffrer le code d’interprétation des messages qui leur sont adressés au cours du banquet.

Le deuxième essai (L’episodio del foro, Quartilla e altri problemi di ricostruzione della trama [2010]) étudie l’épisode du forum (12–15), précédant celui de Quartilla (16–17), où Encolpe s’introduit sans le savoir dans le lieu de célébration d’un rite secret. Le point de départ est un passage de Sidoine Apollinaire (23, 155–157) où Pétrone/Encolpe est défini comme … Massiliensium per hortos/sacri stipitis … colonum/Hellespontico parem Priapo. Le vol du pallium (12, 1) est un dévoilement sacrilège du phallus dont la vision était interdite aux non-initiés et dont la révélation de la part de Quartilla constitue le moment culminant du rituel. C’est l’épisode où prend naissance l’ira Priapi, qui se manifestera à plusieurs reprises dans l’œuvre. La relation entre Encolpe et le dieu phallique des jardins est placée dans le contexte marseillais pour déterminer si la colère du dieu vis-à-vis d’Encolpe s’est déjà manifestée à Marseille. L’étude philologico-littéraire de plusieurs passages (133, 3 : prière par laquelle Encolpe demande pardon pour avoir commis un facinus, 104, 1 : apparition du dieu au capitaine du navire sur lequel sont embarqués les protagonistes, 137, 1–3 : nouvelle faute commise sans le vouloir par Encolpe envers Priape, 12, 1 : exposition du pallium volé, 16, 2–3 : entrée en scène de Quartilla, 15, 8–9 : deux vers hendécasyllabes célébrant la récupération du trésor, 17, 4 : définition de la faute comme latrocinium) conduit à découvrir la nature exacte de l’infraction commise par Encolpe. Le facinus désignerait une faute involontaire qui a consisté à voir ce qu’il était interdit de voir.

La troisième contribution intitulée La casa di Trimalchione e il suo padrone [2019] propose une analyse de la description de la maison de Trimalchion telle que la perçoit le protagoniste-narrateur Encolpe. La maison de Trimalchion représente un cas très spécifique d’habitation privée qui apparaît comme l’expression de la personnalité et de la condition sociale de son propriétaire. Ce dernier passe pour être l’affranchi enrichi type et le héros des couches sociales émergentes présenté comme extraordinairement fort face au faible Encolpe, représentant de l’élite cultivée. La maison est donc perçue avant tout à travers les différences par rapport aux attentes d’Encolpe. Conformément à l’ethos d’un personnage ambigu, à la fois typique et exceptionnel, réaliste et fantastique, le lecteur découvre une maison fantasmée « réaliste », dont le centre de gravité est décalé vers le triclinium. C’est cette pièce qui est le véritable théâtre dans lequel Trimalchion récite le scénario qu’il a préparé pour les visiteurs invités. Le richissime affranchi entend se présenter face à eux comme un concurrent de l’élite sociale et culturelle. Nous apprenons que la maison de Trimalchion est le résultat de la restructuration d’un édifice beaucoup plus modeste. Trimalchion met en évidence sa capacité à être admis dans les hautes classes, mais il ne souhaite pas se départir de son passé ni masquer ses origines. Au départ, la maison de Trimalchion était une cabane et aujourd’hui c’est un temple. Ce n’est pas un hasard si l’affranchi Trimalchion termine la description orgueilleuse des réalisations architectoniques par la fable métaphorique qui caractérise toute sa vie : « croyez-moi : un sou vous avez, un sou vous valez ; ayez quelque chose et vous serez quelque chose. C’est le cas de votre ami, raine autrefois, et roi maintenant » (77, 6, trad. Ernout).

Une étude porte entièrement sur la Cena Trimalchionis. Intitulée Nihil sine ratione facio : la struttura enigmatica dellaCena Trimalchionis [2014], elle propose une clé d’interprétation du dîner de Trimalchion, qui évite de mettre l’argent et la nourriture exclusivement au premier plan. À travers la structure énigmatique de son banquet, l’affranchi propose une image culturelle pleine d’ambitions, capable de défier les compétences des personnages de haute culture qu’il aime inviter chez lui. Plusieurs textes sont évoqués pour montrer quel est le statut du banquet dans la littérature ancienne. Rien n’est laissé au hasard dans la Cena : la disposition de la table est étudiée avec précision, comme dans le Banquet de Platon et dans la satire d’Horace II, 8, la Cena Nasidieni. Chez Trimalchion, les places sont attribuées de façon étrange, novo more(31, 8). Quant au menu, il est composé de plats énigmatiques. Après deux entrées, Asellus corinthius (31, 8–11) et ova pavonina (33, 3–8), le repas proprement dit se compose de quatre plats (fercula) : plat du zodiaque A et B (35–36), Aper pilleatus (40, 3-41, 5), porc énorme cuit non vidé (47, 8–49, 1–10) et vitulus galeatus (59). L’énigme créée par l’aper pilleatus est particulièrement intéressante. Elle pourrait être d’ordre philologique, car Trimalchion avertit ses hôtes qu’il ne faut pas oublier à table la philologie. Je mentionne ici l’interprétation de J. Hubaux et M. Leroy.[2] Ce sanglier hermaphrodite (il semble allaiter des marcassins de biscuit) se rattache au palmier, φοῖνιξ, car à ses défenses sont suspendues des dattes, et aux oiseaux par les grives qui s’échappent vivantes de son ventre. Trimalchion aurait la prétention de faire manger à ses invités un mets particulièrement rare, l’oiseau phénix, dont le sanglier serait le symbole. Reste la question du bonnet phrygien, qui met Encolpe en difficulté, car il ne trouve pas d’explication (41, 3–4).

Il est toujours question de Trimalchion dans l’étude qui a pour titre Trimalchio mythographus (texte inédit). Elle porte sur les compétences de Trimalchion en matière de mythologie. Si le richissime affranchi se montre intéressé par le monde de l’enseignement et possède des livres (48, 4 : tres bibliothecas habeo unam Graecam, alteram Latinam)[3], dans le domaine de la mythologie il manifeste des défaillances en crescendo, comme le montre 48, 7–8, où il évoque les douze travaux d’Hercule, la légende d’Ulysse et du Cyclope, à qui le héros homérique aurait tordu le pouce avec une pince, et la Sibylle, que Trimalchion aurait vue à Cumes suspendue dans une bouteille. Les sorties de Trimalchion mythographe s’inscrivent dans la catégorie de l’ignorance et de l’inculture. Son attitude fait penser à celle de Calvisius Sabinus. D’après Sénèque (Lettres, 27, 5–8), ce riche personnage, doté d’une très mauvaise mémoire, disposait d’esclaves connaissant par cœur Homère, Hésiode et les neuf lyriques qui lui soufflaient, au bon moment, les noms exacts de héros mythologiques ainsi que les citations adéquates, en vue de faire montre d’une prétendue érudition aux yeux de ses invités.

Plusieurs contributions concernent les liens intertextuels avec Apollonios de Rhodes, Lucrèce, Horace, Ovide, Sénèque et Virgile. Le chapitre Amicizia tradita : Petronio, Satyrica, 80–81 [1995] étudie une brève séquence narrative qui raconte une nouvelle dispute entre Encople et Ascylte toujours à propos de Giton. Ce dernier, forcé de choisir, se décide en faveur d’Ascylte et se retire avec lui. Encolpe est alors laissé seul dans son désespoir. L’auteur étudie les hypotextes à ce passage, dont le plus important est fourni par les vers 616–632 du livre III des Argonautiques d’Apollonios de Rhodes qui décrivent le songe révélant soudain à Médée son amour, jusque-là refoulé dans son inconscient. Dans Il cadavere di Lica : modelli letterari e istanza narrativa [1988], M. Labate analyse un passage du chapitre 115 (7–13). Les protagonistes, qui viennent d’échapper à un naufrage, sont sur la plage de Crotone. Ils passent une nuit d’angoisse dans une cabane de pêcheurs. Le matin, Encolpe voit surgir un corps qui flottait sur l’eau : c’est le cadavre de Lichias. Cette scène rappelle l’épisode de Céys et Alcyone que raconte Ovide dans les Métamorphoses (XI, 410–748). Ovide revient dans Ovidio magister amoris e le disavventure di Encolpio a Crotone [2019]. Y sont analysés les rapports complexes d’intertextualité entre l’élégie amoureuse ovidienne et l’épisode crotoniate des Satyrica de l’histoire d’amour avortée entre Encolpe/Polyaenus et Circé (125–32). L’élégie 3.7 des Amores constitue un parallèle à la situation d’impuissance décrite dans l’épisode. D’autres hypotextes ou sujets élégiaques sont en jeu. Tous les personnages, en particulier Circé et Chrysis, ont assimilé les praecepta offerts par le magister amoris dans l’Ars.

Deux études ont un caractère plus spécifique. Le chapitre sept (Eumolpo e gli altri ovvero lo spazio della poesia [1995]) est consacré au personnage d’Eumolpe, qui entre en scène au chapitre 83, 7. Le poète se présente lui-même immédiatement après (83, 8–84, 3). Cette analyse permet de découvrir la conception pétronienne de la poésie comme un exemple type de stratégie du paradoxe. La dernière étude (Di nuovo sulla poetica dei nomi in Petronio. Corax il delatore?[1986]) s’intéresse à la signification des noms propres chez Pétrone à travers Corax, nom du serviteur d’Eumolpe, qui doit probablement être inclus dans la liste des noms « prophétiques » de Pétrone. Le corbeau a, en effet, une réputation de délateur dans la mythologie grecque, reprise par Ovide, Mét., II, 535–541, qui dit « sa langue le perdit » (540). Bien que nous ne connaissions pas la fin du Satyricon, on peut supposer que Corax jouait un rôle néfaste dans la conclusion de l’épisode des Crotoniates.

Ce recueil propose des textes riches et érudits d’un grand intérêt pour l’analyse d’une œuvre aussi difficile que les Satyrica de Pétrone. Une riche bibliographie et des index complètent l’ouvrage.

Indice

Presentazione
Parte prima
Critica del discorso narrative
1. Indecifrabilità del reale e prepotenza dell’immaginarionei Satyrica di Petronio
2. L’episodio del foro, Quartilla e altri problemidi ricostruzione della trama
3. La casa di Trimalchione e il suo padrone
4. Nil sine ratione facio: la struttura enigmistica della Cena Trimalchionis
5. Trimalchio mythographus
6. L’amicizia tradita: Petronio, Satyrica
7. Eumolpo e gli altri, ovvero lo spazio della poesia
8. Il cadavere di Lica: modelli letterari e istanza narrativa
9. Ovidio magister amoris e le disavventuredi Encolpio a Crotone
10. Di nuovo sulla poetica dei nomi in Petronio:Corax «il delatore»?
Parte seconda
Critica del testo. Note petroniane
2. Note petroniane II
3. Note petroniane III
4. Note petroniane IV
Bibliografia
Indice dei passi citati
Indice delle cose notevoli

Notes

[1] La note 1 étudie les passages suivants : 18, 7 ; 90, 3 ; 91, 6–7 ; 92–11 ; 97, 4 ; 105, 9 ; fr. 27, 10–11. La note 2 propose de conserver le texte transmis en 102, 4, avec diverses interponctions à 45, 6 et 75, 6 ainsi qu’une note à 71, 1 (le point de référence logique sur lequel s’appuie me salvo est l’adverbe cito). La note 3 concerne 39, 3–4 ; 39, 5 ; 44, 13 ; 71, 1 ; 117, 1–2 ; 123, 211–214. Enfin la note 4 propose de lire en 14, 3 praeter unum dipondium quo lupinos destinaveramus mercari, en 62, 9 more andabatarum et en 62, 13–14 uiderint, qui hoc de falsis exopinissent.

[2] J. Hubaux et M. Leroy, Le mythe du phénix dans les littératures grecque et latine, Liège-Paris, 1939, p. 116–20.

[3] M. Labate (p. 51, n. 14) pense qu’il faut corriger le texte de H tres bibliothecas en duas bybliothecas, comme le font Bücheler, Smith et Müller, à la suite de l’humaniste Jacques Mantel (1664), et n’est pas convaincu par les hypothèses visant à identifier la prétendue troisième bibliothèque de Trimalchion (hébraïque, osque ?). Dans un texte où la logique l’emporte, je serais d’accord avec cette position. Ici, toutefois, nous avons affaire à une œuvre très spécifique, remplie d’énigmes et de plaisanteries diverses. Il pourrait s’agir d’une extravagance de Trimalchion, une aposiopèse comique. Je ne crois pas trop à l’hypothèse de K. Freudenburg (“A note on Trimalchio’s three (equals two) libraries.” Classical Quarterly, N. S., 67/1, 2017, p. 323–27) selon laquelle Trimalchion jouerait sur un usage idiomatique de unus (et) alterpour indiquer non pas “deux” mais “un petit nombre d’éléments non précisé”. En revanche, l’idée de B. Santorelli (‘« In domusionem tamen litteras didici » : Trimalchione e gli automatismi dell’insegnamento retorico (Petron. 48, 4-7)’, Rhetorica, 38/3, 2020, p. 273–78) me paraît plus plausible. Il pense à un jeu de mots délibéré sur un motif récurrent dans les écoles de rhétorique, l’enumeratio en trois points.