BMCR 2021.11.25

Classical scholarship and its history: from the Renaissance to the present. Essays in honour of Christopher Stray

, , Classical scholarship and its history: from the Renaissance to the present. Essays in honour of Christopher Stray. Trends in classics, 1. Berlin; Boston: De Gruyter, 2021. Pp. xii, 428. ISBN 9783110718171. $137.99.

Sommaire
[The table of contents is listed below.]

Le professeur Stray est l’auteur d’une œuvre remarquable par son abondance et sa qualité autour de la place des études classiques dans le système scolaire et universitaire, la société et le livre, principalement aux XIXe et XXe siècles. Ses collègues lui ont rendu hommage lors d’un colloque à Oxford en octobre 2018 ; le présent recueil en découle directement. Outre l’introduction des éditeurs, retraçant la carrière du récipiendaire et soulignant son rôle déterminant dans sa discipline, ce sont quinze contributions qui nous sont proposées et que nous allons nous employer à présenter, en dépit de la difficulté de l’exercice, décrite par Gr. Whitaker dans son étude du genre du Festschrift (p. 355, n. 18).

Au cours de son essai riche et nuancé, L. Hardwick explore différents problèmes théoriques, comme la voix personnelle de l’auteur ou du savant et son influence, ou la technique du nudge (“coup de coude”) comme moyen de persuasion. Il est difficile de résumer sans la trahir une démarche qui refuse tout simplisme et qui s’attache même à démonter des idées faussement admises comme allant de soi, mais chacun gagnera à lire ses réflexions concernant les défis auxquels sont confrontées des études classiques souvent associées à une lecture oppressive du monde.

À partir d’ouvrages de fiction, de journaux et de travaux d’érudits, E. Hall mène une brillante enquête sur l’apparition des classics comme une matière dans le cursus scolaire britannique ; elle la situe entre les années 1670 et le milieu des années 1710, peut-être dans le sillage de la collection Ad usum Delphini. La volonté d’acquérir un “capital culturel” distinctif et caractéristique du gentleman a aussi pu jouer.

R.A. Kaster envisage la « vulgate » du texte du De beneficiis entre l’édition princeps (1475) et celle de Gronov (1649). À l’issue d’une description des éditions successives dans laquelle deux périodes sont distinguées (1475-1503 et 1515-1650), et après un hommage particulier rendu à J. Gruter, auteur d’animaduersiones (1593) qui laissent apparaître une méthode et une attitude dignes d’éloge, Kaster apprécie le nombre et la valeur des conjectures contenues dans chaque édition du second âge : c’est Gronov, grâce à son exploitation du Nazarianus, qui a contribué le plus significativement à l’élaboration de la vulgate. En l’absence d’un événement aussi important que la découverte d’un manuscrit essentiel, le texte demeure relativement stable jusqu’à l’édition de Fr. Haase (1852).

M. Clarke se demande pourquoi Thomas Jefferson compare dans une lettre le chef d’œuvre d’Homère à la fade De excidio Trojae historia attribuée à Darès le Phrygien. Tout porte à croire qu’il désignait sous ce dernier nom un poème en hexamètres de Joseph d’Exeter (XIIe siècle) sur le même sujet. La confusion proviendrait de ce que Jefferson avait consulté l’un des avatars de l’influente édition de Jean de Sponde (1583), laquelle comportait, à la suite du poème d’Homère, celui de Joseph, d’une façon pouvant laisser croire que Darès en était l’auteur. L’article se conclut sur une autre preuve de l’influence du poème de Joseph : c’est de lui, et non d’Homère, que Rubens se serait inspiré pour sa Mort d’Achille.

D. Butterfield traite d’une figure insolite : Richard Shilletto (1809-1876). Arrachant quelques moments aux obligations d’une famille nombreuse et à la nécessité de donner onze ou douze heures quotidiennes de cours privés à Cambridge (il ne devint que tardivement “fellow” [de Peterhouse], statut longtemps réservé aux célibataires), il publie certains travaux influents, comme son commentaire du Sur l’ambassade infidèle de Démosthène. Son goût pour la bière, ses tendances politiques conservatrices, son talent pour composer des vers en grec ou en latin constituent d’autres traits saillants.

J. Clackson retrace le développement de la philologie comparée à Cambridge en s’intéressant aussi bien à quelques figures, marquantes comme J.M. Kemble et J. Peile, ou méconnues et attachantes comme E. Purdie, qu’à des réformes d’ordre institutionnel telles que l’organisation des cours et des examens. L’article se clôt par une évocation de l’influence de Cambridge sur cette discipline au Royaume-Uni.

St. Harrison brosse un panorama de l’œuvre de John Conington (1825-1869), premier titulaire de la chaire de professeur de latin à Oxford, et qui pour cette raison sans doute déplaça progressivement son attention du grec vers le latin ; son intérêt pour la traduction et la réception en font à certains égards un pionnier.

R. Gibson[1] mène une enquête approfondie sur la fameuse collection des “Green and Yellow” de Cambridge : si la publication était initialement destinée à des élèves de l’enseignement secondaire, la dimension universitaire l’emporte rapidement, comme le montre par exemple l’absence de vocabulaire. Le rôle des deux premiers directeurs de collection, P. Easterling et E.J. Kenney, est mis en évidence. Plusieurs évolutions s’observent progressivement, dont la part accrue réservée au commentaire, mais la concentration sur la dimension littéraire demeure, au détriment des questions d’établissement du texte par exemple. Les commentateurs se situent souvent dans une approche plutôt “traditionnelle” des œuvres ; la diversité (hommes/femmes ; origine géographique) augmente.

Chr. Pelling examine l’originalité du commentaire “historique” de Thucydide dû à A.W. Gomme (1886-1959) par rapport aux autres travaux du même type, notamment l’absence d’une introduction résumant la pensée de l’historien, son positivisme historique ou son habitude de ne livrer son propre avis (de façon parfois obscure) qu’à la fin d’une note. Ces points en apparence triviaux sont en réalité très révélateurs de tout un état d’esprit.

Chr. Sh. Kraus traite des éditions scolaires américaines de la Guerre des Gaules au XIXe siècle et au début du XXe : cet intéressant panorama montre par exemple le long succès de l’édition d’Anthon, ou encore la place croissante accordée à l’illustration (dont la légitimité avait pourtant encore besoin d’être défendue auprès des lecteurs) : les sujets militaires y dominent. L’article se conclut sur deux cas d’espèce : les remparts gaulois (VII, 23) et le pont jeté sur le Rhin (IV, 19), qui donnent lieu à des incohérences et/ou à des anachronismes répandus dans les divers volumes envisagés.

W. Briggs aborde la fondation, les premiers congrès, les premiers adhérents et les premières publications de l’American Philological Association, en soulignant notamment l’action de G.F. Comfort et en montrant à quel point l’association entendait dépasser les seules études gréco-latines : les langues des premiers habitants d’Amérique du Nord étaient ainsi l’objet d’une attention soutenue.

J.P. Hallett se concentre sur les femmes classicistes qui ont fui l’Europe pour le continent américain dans les années 1930 et 1940, en étudiant aussi bien leur parcours que leur influence sur leur communauté d’accueil (notamment sur les autres femmes).

J. Elsner revient sur le changement du nom d’une salle de Corpus Christi College en 2017 : les représentants étudiants ont demandé et obtenu que soit débaptisée la « Fraenkel Room » eu égard au harcèlement sexuel qu’avait pratiqué le professeur de son vivant, dans le bureau même qui devait devenir salle de classe. Les réactions qui suivirent furent très tranchées selon l’âge, les protestations émanant essentiellement de professeurs à la retraite ; les plus jeunes considéraient à l’inverse qu’un tel comportement interdisait de recevoir l’honneur d’un lieu à son nom. Elsner expose la solution retenue pour prévenir toute damnatio memoriae : la salle a été renommée “Refugee Scholars Room”, ce qui inclut Fraenkel. Un appendice propose d’analyser la façon dont le savant sublime la relation Agamemnon/Cassandre dans son commentaire de la pièce d’Eschyle à la lueur de ses déplorables habitudes.

Gr. Whitaker envisage un type de publication souvent vitupéré : celui du Festchrift. Sa passionnante contribution, non dénuée d’un humour bienvenu, soulève de nombreux problèmes concernant par exemple la typologie de ces Mélanges, le portrait du dédicataire[2] et la façon dont celui-ci apparaît tout au long du volume, ou encore le cas très particulier de l’ANRW. Si l’on nous permettait d’ajouter un thème possible pour prolonger cette étude, nous suggérerions le cas des mélanges qui n’ont pas abouti, pour des raisons très variées (nous n’énumérons que quelques cas dont nous eu avons eu personnellement connaissance : décès du dédicataire, retrait de l’éditeur, manque de contributeurs volontaires, voire un conflit entre le dédicataire et les participants). Une telle question rejoindrait du reste le thème d’un des articles de Chr. Stray.[3]

Le dédicataire du volume, suivant une pratique rare mais attestée (cf. Whitaker, p. 361-362), fait une apparition pour un essai portant sur le travail (plus ou moins harmonieux) en équipe au Royaume-Uni depuis le début du XIXe siècle, selon diverses modalités : attitude des porsoniens ou des ritualistes de Cambridge, direction de journaux ou d’autres projets éditoriaux, séminaires et départements universitaires, sociétés savantes.

Le premier élément qui se dégage de ces études (et ce n’est pas le cas de tous les Festschriften !) est le caractère attachant de la personnalité de Chr. Stray, que presque tous les contributeurs saluent et qui allie manifestement une grande chaleur humaine à ses compétences professionnelles. À cet égard l’un des buts du volume – l’hommage au dédicataire et la perpétuation de sa mémoire – est indubitablement atteint. Seconde réussite, la qualité formelle de l’ouvrage : les erreurs matérielles, les coquilles sont très rares, les contributions ont une grande cohérence, comme le montrent les nombreux renvois entre elles. Enfin la haute qualité scientifique de ces études est aussi hors de doute.

Au-delà de ces vertus intrinsèques, nous aimerions en souligner tout l’intérêt comparatif pour une autre aire géographique afin d’inciter le plus grand nombre de personnes à lire ce recueil. Pour ce qui concerne la France par exemple, les points suivants ressortent d’autant mieux par contraste : la concentration à Paris des sociétés savantes et des maisons d’édition françaises (vs Briggs, Stray), la dimension patriotique des éditions scolaires françaises du Bellum Gallicum (vs Kraus), le côté magistral de notre enseignement universitaire (vs Butterfield, Clackson), le faible nombre d’éditions commentées (vsPelling, Gibson), la moindre attention portée, pour le moment du moins, au comportement des grands savants défunts dont le nom est donné à un bâtiment ou à une salle (vs Elsner, Hardwick). Des collègues d’autres pays en tireraient sans doute d’autres enseignements encore, mais nous prendrons un dernier exemple : Hallett souligne le danger de se fonder sur un seul cas, celui de Juliette Ernst, pour en tirer des conclusions générales sur la place des femmes dans les études classiques (p. 304-305 et 309) : il est nécessaire d’envisager le problème globalement pour arriver à une position nuancée – et ce pourrait être l’objet d’un de ces travaux en équipe qu’aborde Stray en conclusion.

En définitive, nous devons être grandement reconnaissants à tous les contributeurs, aux directeurs de la publication et à Chr. Stray qui l’a suscitée. Inaugurant une nouvelle collection chez De Gruyter, ce recueil illustre le dynamisme d’un champ d’étude dont Chr. Stray est l’un des pionniers.

Table of Contents

Preface  V
List of Figures  IX
List of Tables  XI
Stephen Harrison and Christopher Pelling, Introduction  1

Part I: Orientation and Origins
Lorna Hardwick, Tracking Classical Scholarship: Myth, Evidence and Epistemology  9

Part II: Early Modern
Edith Hall, Classics Invented: Books, Schools, Universities and Society 1679–1742  35
Robert A. Kaster, The Vulgate Text of Seneca’s De beneficiis, 1475–1650  59
Michael Clarke, From Dares Phrygius to Thomas Jefferson, via Joseph of Exeter: A Study in Classical Reception  81

Part III: Victorian Cambridge and Oxford

David Butterfield, The Shilleto Phenomenon  101
James Clackson, Dangerous Lunatics: Comparative Philology in Cambridge and Beyond  131
Stephen Harrison, John Conington as Corpus Professor of Latin at Oxford  155

Part IV: History of the Book/Commentary
Roy Gibson, Fifty Years of Green and Yellow: The Cambridge Greek and Latin Classics Series 1970–2020  175
Christopher Pelling, Gomme’s Thucydides and the Idea of the Historical Commentary  219
Christina Shuttleworth Kraus, ‘Pointing the moral’ or ‘Adorning the Tale?’ Illustrations and Commentary on Caesar’s Bellum Gallicum in 19th and Early 20th-century American Textbooks  249

Part V: International Connections

Ward Briggs, The Founding of the American Philological Association  277
Judith P. Hallett, Gender and the Classical Diaspora  301
Jaś Elsner, Room with a Few: Eduard Fraenkel and the Receptions of Reception  319

Part VI: Academic Practices
Graham Whitaker, Congratulations and Celebrations: Unwrapping the Classical Festschrift  351
Christopher Stray, Working Together: Classical Scholars in Collaboration  377
Complete List of Publications of Christopher Stray  401
List of Contributors  411
Index  413

Notes

[1] Nous précisons ici que R. Gibson a fait partie de notre jury d’habilitation à diriger des recherches (Bordeaux, 2018).

[2] Un questionnement corollaire pourrait porter sur la réception dans le temps de ces photographies, que nous illustrerons à l’aide d’un seul exemple. Une des premières femmes à recevoir l’hommage d’un volume dans le monde francophone des études classiques, la Liégeoise Marie Delcourt (Bruxelles, 1970), a sélectionné une très belle photographie d’elle-même tenant un chat sur ses genoux. Peut-être ce choix dénotait-il à l’époque une certaine fantaisie, mais au bout du compte, ne sourit-on pas davantage aujourd’hui de toutes les photographies “sérieuses” de ses collègues de l’époque, posant d’un air sévère voire crispé à leur table de travail, prenant une attitude faussement concentrée devant une page blanche ?

[3] “Reading Silence: the Books That Never Were”, Hyperboreus, 16-17 (2010-2011) 527-538.