BMCR 2021.10.22

The Oxford handbook of ancient biography

, The Oxford handbook of ancient biography. Oxford handbooks. Oxford; New York: Oxford University Press, 2020. Pp. 800. ISBN 9780198703013. $145.00.

Preview
[Auteurs et titres sont indiqués à la fin de ce compte rendu.]

Après avoir co-dirigé un intéressant ouvrage sur les rapports entre fiction et biographie[1], K. de Temmerman s’est fait le maître d’œuvre d’un volume ambitieux, consacré aux diverses formes de la biographie dans l’Antiquité. La mobilisation d’une bonne quarantaine de savants permet d’aborder le sujet avec une ampleur nouvelle, après le remarquable Art of Biography in Antiquity de T. Hägg.[2] Comme l’écrit G. Anderson dans sa contribution à ce Handbook, « there is no ‘How to write Biography’ in the same way there is a ‘How to write History’ » (p. 221) : il fallait bien 42 chapitres pour analyser la façon dont les Anciens écrivaient et concevaient la biographie.

L’ouvrage comporte six parties de longueur inégale. Dans la première (I. Introduction), six chapitres explorent de façon conceptuelle le genre biographique à la fois en discutant les théories modernes et en explorant la façon dont les anciens, en particulier dans l’Antiquité tardive, manifestent leur conscience de s’inscrire dans un genre, non plus en se distinguant, par exemple, du genre historique, mais en identifiant des conventions propres à l’écriture biographique. Ces réflexions s’accompagnent de chapitres introductifs concernant différentes grandes catégories de textes biographiques (comme la biographie juive ou chrétienne), qui feront ensuite l’objet de développements plus précis : c’est une des qualités de cet ouvrage que de procéder par va-et-vient entre perspectives larges et approches spécifiques. De fait, seize chapitres (II. Reading biographies) offrent ensuite un parcours chronologique à travers les principaux représentants du genre, depuis le Ve s. avant J.-C. jusqu’à Jérôme et Augustin. Sept chapitres (III. Tracing biographies) sont consacrés à certains types de personnages faisant l’objet de biographies (hommes d’Etat, philosophes, martyrs). Quatre chapitres (IV. Cultures) offrent un survol, forcément très bref, eu égard au nombre de textes concernés, de traditions biographiques non gréco-latines (littératures syriaque, copte, arménienne et arabe). Quatre chapitres (V. Media) s’intéressent ensuite à la façon dont la vie d’un individu est représentée dans les textes épigraphiques et les arts visuels, dans le monde égyptien, grec et romain. Les cinq derniers chapitres (Reception) présentent un aperçu de la réception de la biographie antique, depuis le Moyen-Âge (byzantin et occidental) jusqu’au XXIe s.

Les chapitres, de taille en général équivalente, adoptent des perspectives variées. Certains abordent de façon transversale une question d’ordre conceptuel, comme le chap. 3 sur les « Individual and Collective Lives », une question qui sera reprise notamment dans le chap. 13 sur les Vies parallèles ou le chap. 25 sur les sophistes chez Philostrate et Eunape. D’autres sont consacrées à des traditions d’ordinaire laissées de côté dans les réflexions sur la biographie antique, comme le chap. 30, sur l’importante littérature syriaque, dont la variété formelle enrichit (et complexifie) notre perception du genre biographique. Certains chapitres proposent un survol de la biographie sur une période donnée, en particulier le chap. 10 sur la période hellénistique, parfois un peu descriptif – mais c’est le prix à payer pour présenter en quelques pages une production abondante, mais très mal conservée, que l’auteur refuse avec raison de faire remonter à un modèle unique. D’autres sont consacrés à un seul auteur (chap. 9, Xénophon), voire à une seule œuvre (chap. 8, sur l’Evagorasd’Isocrate, jalon essentiel dans la construction du genre biographique ; chap. 18 sur la Vie d’Apollonios de Philostrate). Une approche féconde a consisté aussi à mettre en rapport des œuvres contemporaines l’une de l’autres (chap. 11 sur la Vie d’Atticus de Cornélius Népos et la Vie de César de Nicolas de Damas ; chap. 12 sur Agricola de Tacite et le Panégyrique de Pline le Jeune) pour en tirer des conclusions à la fois sur la conception ancienne du genre biographique et sur les rapports idéologiques entre les textes. Certains chapitres, enfin, mêlent une approche un peu générale à l’analyse d’une question plus spécifique, comme l’intéressant chap. 22 sur la question de la solitude dans la biographie, et en particulier dans la Vie d’Hilarion de Jérôme.

De façon tout à fait pertinente, l’œuvre de Plutarque fait l’objet de deux chapitres indépendants (13 et 14) permettant de distinguer les Vies parallèles, les Vies isolées et les Césars, qui forment un projet spécifique. Ce choix nous rappelle que, chez un même auteur, les pratiques peuvent différer et illustre l’extrême fluidité du genre biographique : il convient donc moins d’en chercher une définition générique essentialiste que d’explorer ses différentes incarnations, y compris dans des genres ou sous des formes où la biographie est seulement marginale. Chaque auteur, voire chaque texte, développe de façon plus ou moins affirmée, une conception idiosyncrasique du genre, ce qui conduit à l’élaboration de concepts génériques ou formels variés au fil de l’ouvrage : nombre de chapitres concernent ce que les auteurs appellent, selon les cas, le « matériel biographique » ou la « proto-biographie » (chap. 7 à propos d’Hérodote et Thucydide), des « expérimentations » (notamment à propos de Philon, dans le chap. 5, et Xénophon, chap. 9), des « mini-biographies » (chap. 9), des « excursions dans la biographie » (chap. 17 sur Lucien), des « esquisses » ou des « vignettes biographiques » (chap. 32). Certaines étiquettes auraient mérité d’être davantage discutées : ainsi, là où T. Hägg parlait plus prudemment de « héros populaires », le chap. 4 parle de « biographie populaire », sans vraiment discuter cette notion qui constitue pourtant le titre du chapitre.

La richesse de l’ouvrage tient d’une part à l’extension assumée, dans l’espace et dans le temps, de ce qui relève de la biographie ancienne : on remonte au deuxième millénaire avant J.-C. en abordant les inscriptions égyptiennes, pour descendre jusqu’au XIVe s. après J.-C. s’agissant de la littérature syriaque. L’inclusion de domaines non gréco-latins est d’autant plus justifiée que l’historiographie arménienne (chap. 32), par exemple, s’inspire de la prose grecque et que nombre de textes syriaques ou coptes sont des traductions du grec (chap. 30 et 31). D’autre part, l’ouvrage assume une certaine « ouverture » conceptuelle (chap. 1), qui permet des rapprochements féconds avec les genres qui la nourrissent (historiographie et éloge au premier chef), mais dont on peut discuter les conséquences. Même si l’éditeur, dans le chapitre inaugural, refuse de renoncer au genre comme concept critique bon à penser la biographie, malgré la difficulté à le définir, et se montre réticent vis-à-vis de la notion de « biographique », qui tend à le diluer, il apparaît que pour embrasser la biographie dans toutes ses ramifications, l’ouvrage intègre des domaines qui confèrent à la biographie une extension parfois un peu trop généreuse, notamment dans les chap. 36 et 37, consacrés aux représentations figurées (portraits honorifiques et arcs de triomphe) : en particulier leur conceptualisation comme biographie est interrogée en conclusion seulement du chap. 36, sans former la matrice du propos, par ailleurs intéressant.

Il faut reconnaître néanmoins que l’ouvrage parvient à maintenir une grande cohérence, en dépit de la variété des sujets abordés, notamment grâce aux renvois internes entre les chapitres, qui renforcent le lien entre les auteurs abordés, établissent une continuité dans les questionnements et mettent en évidence certaines constantes, en particulier la tension entre individualité et valeur exemplaire, sur un plan moral, idéologique ou religieux, de telle biographie. Chaque article est par ailleurs suivi de précieux « Further readings », le volume comportant en outre une abondante bibliographie de plus de 70 pages. Deux index complètent le tout : un index locorum et un « general index » de plus de cinquante pages, comprenant à la fois des noms d’auteurs, y compris les auteurs modernes (ce qui peut sembler un peu inutile, puisqu’ils ne sont indexés que quand ils apparaissent dans le corps du texte, même s’ils sont cités plusieurs fois dans les références bibliographiques), des titres d’œuvres et des notions. Un grand nombre d’entrées sont elles-mêmes subdivisées en sous-entrées (une soixantaine pour le seul « Xenophon of Athens » !), qui donnent à voir la diversité des approches. On notera simplement que certaines notions (comme celle d’« exemplariness ») sont peut-être bien plus présentes dans le livre que ne le laissent entendre les quelques références données en index ou auraient tout simplement mérité une entrée (comme la notion de « vérité », plusieurs fois discutée, dans les chap. 6, 9, ou 11 par exemple). Mais d’une façon générale, ces outils sont extrêmement utiles pour naviguer dans l’autrement que chapitre par chapitre, dans un ouvrage d’une grande richesse.

Cet Oxford Handbook of Ancient Biography se recommande donc par l’ampleur de l’information qu’il dispense, appuyée sur la bibliographie la plus récente. La présentation est suffisamment aérée pour rendre d’une lecture agréable ce livre très dense, qui rendra service aussi bien aux étudiants à la recherche d’une présentation synthétique sur tel auteur qu’aux spécialistes, pas forcément antiquisants, de la biographie et à tout lecteur intrigué par les formes si diverses que prend la biographie dans l’Antiquité.

Auteurs et titres

« PART I INTRODUCTION
1. Writing (about) Ancient Lives: Scholarship, Definitions, and Concepts – Koen De Temmerman
2. What Are Bioi/Vitae? Generic Self-Consciousness in Ancient Biography – Sean A. Adams
3. Individual and Collected Lives in Antiquity – Jeffrey Beneker
4. Popular Biography – Ioannis M. Konstantakos
5. Jewish Biography – Joseph Geiger
6. Christian Biography – Scott Fitzgerald Johnson

PART II READING BIOGRAPHIES
7. Fifth-Century Preliminaries – Christopher Pelling
8. Isocrates’ Evagoras: The Educational Ends of the ‘First’ Biography in Classical Greece – Takis Poulakos
9. Xenophon of Athens – Noreen Humble
10. Ex uno fonte multi rivuli? Unity and Multiplicity in Hellenistic Biography – Tiziano Dorandi
11. Nepos’ Life of Atticus, Nicolaus’ Life of Caesar, and the Genre of Political Biography in the Age of Augustus – Rex Stem
12. Biography and Praise in Trajanic Rome: Tacitus’ Agricola and Pliny’s Panegyricus – Christopher Whitton
13. Plutarch’s Parallel Lives – Aristoula Georgiadou and Michele A. Lucchesi
14. Plutarch: Lives of the Caesars (Galba, Otho) and Lives of Aratus and Artaxerxes – Luc Van der Stockt
15. Types of Life-Writing in Suetonius’ Lives of the Caesars and Illustrious Men – Dennis Pausch
16. The Alexander Romance – Corinne Jouanno
17. Lucian: Satirical and Idealizing Lives (Peregrinus, Alexander, Demonax)-  Graham Anderson
18. The Biographer as Literary Artist: Form and Content in Philostratus’ Apollonius – Adam M. Kemezis
19. Diogenes Laertius and Philosophical Lives – Stephen White
20. A Bishop’s Biography: Eusebius of Caesarea and the Life of Constantine – James Corke-Webster
21. Augustine’s Confessions as Autobiography – Michael Stuart Williams
22. Solitude and Biography in Jerome’s Life of Hilarion – Jason König

PART III TRACING BIOGRAPHEES
23. Lives of Homer – Suzanne Saïd
24. Ancient Biographies of Statesmen – Jacqueline Klooster
25. Sophists – Kendra Eshleman
26. Philosophers and their Neoplatonic Lives: Problems and Paradigms – Graeme Miles
27. Holy Men: Lives of Miracle Workers, Apostles, and Saints – Danny Praet
28. Martyrs and Life-Writing in Late Antiquity – Koen De Temmerman and Danny Praet
29. Monastic Lives – Mark Edwards

PART IV CULTURES »
30. Syriac Biography – Muriel Debié
31. Coptic Life Stories – Arietta Papaconstantinou
32. Armenian Biography in Late Antiquity – S. Peter Cowe
33. Arabic Biography – Faustina Doufikar-Aerts

PART V MEDIA
34. Biographical Monuments: Displaying Selves and Lives in Ancient Egypt – Elizabeth Frood
35.Engraved Lives: Biographical Material in Epigraphic Sources – Christof Schuler and Florian R. Forster
36. Depicted Lives: The Role of the Visual Arts in Sophistic Self-Representation Zahra Newby
37. Triumphant Lives: Portraits, Statues, and Triumphal Arches in Imperial Rome – Eric R. Varner

PART VI RECEPTION
38. Byzantine Biography – Martin Hinterberger
39. Roman Biography in the Medieval West: Did Classical Texts Facilitate Complex Literary Portraits in the Middle Ages? – Lars Boje Mortensen
40. Ancient Biography and the Italian Renaissance: Old Models and New Developments – Thomas Hendrickson
41. Ancient Biography in the Seventeenth and Eighteenth Centuries – Enrica Zanin
42. After-Lives: Biographical Receptions of Greek and Roman Poets in the Twentieth Century – Nora Goldschmidt »

Notes

[1] Koen De Temmerman and Kristoffel Demoen (Eds.), Writing biography in Greece and Rome : narrative technique and fictionalization. Cambridge: Cambridge University Press, 2016.

[2] Tomas Hägg, The art of Biography in Antiquity. Cambridge ; New York: Cambridge University Press, 2012.