BMCR 2021.07.22

The future of Rome: Roman, Greek, Jewish and Christian visions

, , The future of Rome: Roman, Greek, Jewish and Christian visions. Cambridge: Cambridge University Press, 2020. Pp. ix, 315. ISBN 9781108494816. $99.99.

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Et si la « Ville éternelle » n’était pas éternelle ? Quel est le destin de Rome et de son empire ? Comment les contemporains se sont-ils représenté son futur ? Voici un questionnement original et fort intéressant, qui nécessite une approche interdisciplinaire d’envergure peu courante. L’un des résultats les plus notables de cet ouvrage, issu d’un colloque tenu à l’Université de Tel Aviv en 2013, c’est qu’il démontre que « practically no one living under Rome’s rule, including the Romans themselves, did not think about the question in one form or another », comme l’écrivent les deux directeurs de l’ouvrage dans leur introduction. Et pourtant il ne se trouve aucun schéma uniforme, aucun modèle universel : les conceptions du devenir de Rome se font le reflet de la pluralité des sociétés de l’empire. Elles reflètent diverses conceptions du temps, qu’il soit linéaire, cyclique, ou qu’il combine ces deux aspects d’une manière ou d’une autre. Elles manifestent les rapports différenciés et évolutifs que ces peuples ont pu entretenir avec le pouvoir romain. Elles témoignent également des points de vue individuels d’auteurs mobilisant ces divers héritages.

Par-delà les slogans affichés de manière répétée sur les monnaies romaines comme Roma aeterna, Pax aeterna et autres, les Romains s’interrogeaient sur l’avenir de leur domination et se montraient circonspects. Chez Cicéron par exemple, les références à l’éternité de Rome ont une fonction essentiellement rhétorique et l’avenir de Rome serait surtout conditionné à la sagesse du peuple, à la volonté des grands hommes et aux circonstances (Lévy). Le futur est, pour ainsi dire, prévisible, en ce sens qu’il est considéré comme une continuité du présent, mais à ce titre il s’avère risqué. C’est justement cette profonde anxiété pour l’avenir qui expliquerait la constitution chronologiquement désordonnée des actes des frères Arvales (Woolf). Les rites ont pour fonction la stabilité de Rome. L’affichage de ces actes, loin de vouloir insister sur le passé, viserait à rendre le rituel permanent. Dans ce présent continuel, les frères Arvales cherchent à empêcher la rupture des relations entre les hommes et les dieux, assurant à la cité un avenir. La poésie ne montre pas davantage d’assurance à l’époque triumvirale et augustéenne : Virgile, aussi bien dans l’Eglogue IV (Breed) que dans l’Énéide (Lushkov), envisage le tournant de l’âge de fer à l’âge d’or comme une fin en même temps qu’une continuité : Rome n’existait pas à l’âge d’or et il ne peut donc y avoir stricto sensu de retour aux origines. Le poète envisage une coexistence de l’âge d’or et de l’âge de fer et des divisions au sein du peuple. L’avenir, on le voit, semble pensé par les Romains comme une perspective incertaine. Pour reprendre la formule de Woolf, le futur semble « both predictable and risky ». Rome peut avoir un avenir, mais il est toujours conditionné.

Qu’en pensaient les peuples soumis à l’empire ? Six chapitres s’intéressent à des auteurs d’expression grecque, qu’ils soient Grecs, Juifs ou chrétiens, avant la conversion de Constantin et un septième se penche sur la littérature hébraïque. On note dans cet ensemble le rôle tout particulier de la religion ainsi que de l’attente de la fin de la domination romaine car, à part Denys d’Halicarnasse et Appien, convaincus que Rome ressort plus forte de chaque crise (Price), les regards semblent plutôt négatifs. Polybe, après un temps d’enthousiasme, semble être devenu plus sombre, en songeant que Rome commençait à se corrompre et que sa puissance un jour déclinerait. Tous ces auteurs, ou presque, reprennent à leur compte un ancien modèle, peut-être d’origine zoroastrienne, celui que Price appelle le « modèle 4+1 » : quatre empires ont dominé le monde, Rome est le cinquième (la liste change un peu d’un auteur à l’autre). La question est la suivante : le cycle est-il amené à se poursuivre ou Rome est-elle la dernière puissance ?

Les auteurs juifs semblent convaincus que Rome tombera un jour et, virtuellement, tous l’attendent. Noam discerne quatre aspirations différentes dans la littérature hébraïque : l’attente d’une destruction par Israël à la fin des temps (à Qumrân), l’attente d’une destruction par Israël ici et maintenant (la première révolte juive), l’attente d’une destruction par Dieu à la fin des temps (2 Baruch) et l’attente d’une destruction de Rome par ses ennemis (le Talmud). Les Juifs d’expression grecque sont plus évasifs mais songent tous à la conditionnalité du futur de Rome : Dieu ne soutiendra pas toujours cet empire et ne le fait qu’à condition qu’il respecte le peuple d’Israël (Berthelot pour Philon d’Alexandrie, Rocca et Davies pour Flavius Josèphe). De toute manière, Rome tombera un jour, sous l’action de Dieu et non du peuple. Outre les auteurs déjà cités, ce point est signalé par Gruen à propos du cinquième oracle sibyllin et par Oakes pour l’Apocalypse de Jean. Dans la plupart des cas, cette fin sera « naturelle » si l’on peut dire, aucun de ces textes ne peut donc être véritablement considéré comme une littérature de résistance (Gruen insiste sur ce point pour les oracles sibyllins), seule l’Apocalypse de Jean évoque la fin de Rome comme une punition pour ses péchés et son hybris (Oakes). Ce temps sera celui de la liberté retrouvée (Flavius Josèphe selon Rocca et Davies) ou de la fin des temps. Selon Gruen, le cinquième oracle sibyllin présente les Juifs comme eux-mêmes victimes de la chute de Rome, qui serait synonyme de la destruction de l’humanité.

Sans réelle surprise, la christianisation du monde romain entraîne des changements dans les conceptions du futur de Rome. Marinčič s’intéresse à la réception chrétienne de Cicéron et de Virgile et confronte en particulier le point de vue de Lactance et celui de Constantin, qu’il considère comme l’auteur de l’Oratio ad sanctorum coetum. Lactance utilise la littérature païenne comme une arme tactique d’apologie et de propagande et montre un certain inconfort avec l’idée augustéenne après la Tétrarchie. Constantin s’éloigne de Lactance en employant la poésie virgilienne comme une prophétie annonçant son accession à la pourpre, se faisant le véritable successeur d’Auguste. La conversion de l’empereur a fait de Rome une capitale spirituelle, dont la chute ne paraissait toujours pas impossible au Ve siècle, selon Inglebert, mais lointaine. Plus exactement, si le déclin restait possible, la renovatio était toujours attendue. Le pillage de 410 a été un choc de faible durée et l’école augustinienne restait convaincue que la Rome chrétienne survivrait à la Rome païenne. Même Sidoine Apollinaire espérait encore une renovatio. Il semblerait que bien des chrétiens, à cette époque, restaient convaincus que Rome avait un futur, même si des attentes de la fin du monde se manifestaient.

De très rares points de critique peuvent être signalées en passant, par exemple, une légère différence d’analyse concernant Flavius Josèphe. Si son traitement de l’affaire de la statue que Caligula voulait faire entrer dans le temple de Jérusalem paraît à Davies être le reflet de la propagande flavienne, Rocca trouve que le discours d’Agrippa à la veille de la grande révolte, en insistant sur l’invincibilité de Rome et non sur ses bienfaits, ainsi qu’en imaginant la liberté à venir, est contraire à cette même propagande. Le rapport de l’auteur avec les autorités flaviennes reste toujours un sujet de débat. Ce détail n’est toutefois pas significatif, car Josèphe peut avoir écrit des passages qui s’accordaient bien avec le discours officiel de son temps, et d’autres qui s’en éloignaient. Plus gênante est la manière dont Marinčič interprète la charge des quindecemviri sacris faciundis : « their task is to protect true religion from popular superstition » écrit-il, ce qui, pour un collège qui a officiellement introduit à Rome de nombreuses innovations et divinités étrangères, semble une formulation un peu maladroite.

La faiblesse de cette critique est le meilleur témoignage de la solidité de ce livre, qui réunit des contributions de natures diverses, complémentaires, permettant de souligner combien Rome, en son temps, a été perçue comme jouant un rôle particulier dans l’histoire. Tout au plus pourrait-on regretter le manque de synthèse mettant en relation la richesse de ces diverses études de cas.

Il est rare que des volumes consacrés à l’empire romain intègrent à ce point les perceptions des provinciaux et l’on ne peut que se réjouir de cet effort pour atteindre la pluralité des points de vue sur un temps et un espace si vastes. Le fruit de cette collaboration interdisciplinaire est tel que l’on peut espérer que les recherches suivront à l’avenir cette direction méthodologique. Ce livre peut également s’avérer utile pour l’enseignement universitaire, tant il est clair et accessible et tant il s’appuie sur des sources primaires dont plusieurs restent peu exploitées pour l’histoire romaine.

Table of Contents

“Introduction” (1-16)
Carlos Lévy, “Some Remarks on Cicero’s Perception of the Future of Rome” (17-31)
Brian W. Breed, “Eclogue 4 and the Futures of Rome” (32-46)
Ayelet Haimson Lushkov, “Imperium sine fine: Rome’s Future in Augustan Epic” (47-63)
Greg Woolf, “Posterity in the Arval Acta” (64-84)
Jonathan J. Price, “The Future of Rome in Three Greek Historians of Rome” (85-111)
Katell Berthelot, “Philo on the Impermanence of Empires” (112-129)
Samuele Rocca, “From Human Freedom to Divine Intervention: Agrippa II’s Address on the Eve of the Jewish War” (130-154)
Jonathan Davies, “Josephus, Caligula and the Future of Rome” (155-168)
Vered Noam, “‘Will This One Never Be Brought Down?’: Jewish Hopes for the Downfall of the Roman Empire” (169-188)
Erich S. Gruen, “The Sibylline Oracles and Resistance to Rome” (189-205)
Peter Oakes, “Revelation 17.1-19.10: A Prophetic Vision of the Destruction of Rome” (206-226)
Marko Marinčič, “Cicero and Vergil in the Catacombs: Pagan Messianism and Monarchic Propaganda in Constantine’s Oration to the Assembly of Saints” (227-244)
Hervé Inglebert, “The Future of Rome after 410 CE: The Latin Conceptions (410-480 CE)”, (245-258) + Appendix (259-273)