BMCR 2021.06.26

I composti nell'”Alessandra” di Licofrone: studi filologici e linguistici

, I composti nell'"Alessandra" di Licofrone: studi filologici e linguistici. Untersuchungen zur antiken Literatur und Geschichte, Band 147. Berlin; Boston: De Gruyter, 2021. Pp. xii, 208. ISBN 9783110704198. $103.99.

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Ce livre est issu de la thèse de doctorat d’Andrea Pellettieri, soutenue durant l’année universitaire 2015-2016 à la Sapienza Università di Roma. Il s’agit d’un utile répertoire analytique de ceux des composés de l’Alexandra de Lycophron qui sont soit des hapax legomena, soit des formes attestées pour la première fois chez Lycophron (prôton legomena, appelés ici primum dicta). Il vient combler un manque dans la littérature scientifique sur la langue de Lycophron, car si la question des hapax et des prôton legomena chez Lycophron avait donné lieu jusqu’ici à des travaux ponctuels,[1] une étude d’une certaine ampleur restait à entreprendre : c’est désormais chose faite pour la classe des composés nominaux.

Une introduction d’une vingtaine de pages précède ce répertoire de composés. Elle commence par deux utiles synthèses : un état de l’art sur la langue de Lycophron, depuis l’édition de H.G. Reichard (1788), avec son index des uocabula poetica, rariora et audaciora,[2] jusqu’aux deux premières décennies du xxie siècle ; et un état de la question de la datation de Lycophron, avec une discussion critique des idées avancées à ce sujet, durant les dernières décennies, par E. Kosmetatou,[3] K.R. Jones[4] et S. Hornblower[5] pour défendre l’idée d’une datation tardive au début du iie siècle av. J.-C. De son côté, A. Pellettieri retient prudemment une datation large entre le iiie siècle et le début du iie siècle av. J.‑C. : cela implique qu’il lui faille renoncer ensuite, lors de l’examen des différents composés, à établir des rapports précis de dépendance, de filiation, entre les différents auteurs de l’époque hellénistique par rapport à Lycophron. Cette prudence, et cette absence de dogmatisme en la matière, sont louables d’une manière générale. Elles se justifient aisément par les problèmes liés à la transmission des textes anciens, qui sont tels qu’il est généralement impossible de déterminer avec une grande assurance, lorsque l’on se trouve face à un mot ou un syntagme rare attesté chez deux auteurs de l’époque hellénistique, si l’un de ces deux auteurs l’a emprunté à l’autre. De fait, pour se limiter ici à l’un des cas de figure théoriquement possibles, tous deux peuvent aussi bien avoir puisé à une même source aujourd’hui disparue, qu’il s’agisse d’une œuvre littéraire, ou même d’un des outils philologiques qui ont pu aider les poètes de l’époque hellénistique dans leur travail de composition : lexiques, recueils de gloses, etc.[6] Néanmoins, on peut regretter qu’en matière de chronologie relative, A. Pellettieri ait pris le parti de s’en tenir systématiquement à un non liquet après une critique très succincte, et sans doute un peu trop globale, de quelques prises de position antérieures sur cette question complexe,[7] et qu’il n’ait jamais véritablement pris le risque, dans telle ou telle étude de cas bien choisie, d’avancer quelques arguments en faveur d’une chronologie relative éventuelle (ne serait-ce qu’à titre expérimental), qui auraient pu faire avancer le dossier de la datation au moyen d’une méthode d’ordre philologique ou linguistique.[8] Le reste de l’introduction expose des principes de définition et de classification des composés, indique certaines difficultés de classification des composés chez Lycophron, et présente la méthode historico-linguistique du livre.

Un examen des hapax legomena de l’Alexandra, consacré à l’étude de 79 composés, classés par ordre alphabétique, occupe la majeure partie du livre, sur plus d’une centaine de pages ; il est suivi d’une étude de 20 primum dicta, sur près de trente-cinq pages. Comme le rappelle A. Pellettieri, la répartition des composés entre ces deux classes n’a pas une valeur absolue : une forme reconnue jusqu’ici comme un hapax est susceptible de cesser de l’être un jour suite à quelque découverte, tel le cas de ἀγχίπους (« qui porte ses pas près de, qui est tout près de, dans les pas de » ; littéralement, « qui a le pied à proximité de »), considéré comme un hapax de l’Alexandra jusqu’à la découverte d’une inscription comportant des vers d’Hyssaldomos de Mylasa, éditée en 2018 par Ch. Marek et E. Zingg[9] (fin du iiie siècle ou première moitié du iie siècle av. J.‑C., mais il peut s’agir d’une copie d’un modèle plus ancien). La méthode des deux parties du répertoire est la même, à ceci près que la seconde partie, par la force des choses, s’intéresse également à l’évolution des primum dictaau sein de la littérature grecque postérieure, tandis que la première ne peut guère qu’étudier la genèse des hapax(composés antérieurs présentant un premier ou un second membre identique, etc.). Le propos de l’auteur dans chacune de ces deux parties est souvent succinct, plus descriptif qu’explicatif, mais net et allant à l’essentiel. En règle générale, les passages cités de l’Alexandra le sont d’après l’édition de référence d’A. Hurst et A. Kolde.[10] Au début de chacune des 99 notices, le composé étudié est replacé dans son contexte, avec la mise en exergue d’une citation de l’Alexandra (de quelques mots à trois ou quatre vers), accompagnée d’une traduction personnelle de l’auteur en italien ; en revanche, il est un peu dommage que les citations grecques internes à chacune des notices (passages plus ou moins longs d’œuvres littéraires diverses, de lexicographes, etc.) ne donnent jamais lieu à une proposition de traduction, pas plus que les mots grecs qui y sont cités isolément.

Une conclusion d’une dizaine de pages, après de rapides considérations sur la classification et la morphologie des composés étudiés, avance quelques remarques sur le lexique de la parenté et sur celui de la violence dans les composés de l’Alexandra, avant de proposer des développements sur les rapports lexicaux (voire littéraires) de Lycophron à la comédie et à la tragédie, ainsi que sur les fonctions extra-narratives des composés de l’Alexandra. L’ouvrage est terminé par une riche bibliographie (où l’on peut seulement regretter que l’auteur n’ait pas fait apparaître dans des sections différentes les éditions de textes grecs, tout en précisant nettement si elles sont accompagnées ou non d’une traduction ou d’un commentaire, et la littérature scientifique secondaire), un index des mots grecs, un index des passages discutés, et un index analytique.

Il s’agit donc d’un volume utile, caractérisé par une méthode philologique rigoureuse, attentif à l’histoire des textes et au choix des variantes (ainsi p. 25-26, 33-34, 133-134, etc.), et qui, bien qu’essentiellement descriptif et parfois très succinct sur les questions traitées, propose par endroits des hypothèses nouvelles et intéressantes. On peut évoquer à cet égard le développement (p. 171-172) consacré à χαμευνάς (v. 319 et 848) « dont la couche est à terre, qui dort par terre », forme qui est à la fois un primum dictum, et un hapax semanticum au sens de « prostituée » au vers 319 (où l’on traduirait volontiers ce mot par « coucheuse », à la suite de C. Chauvin et de C. Cusset[11]). A. Pellettieri suggère que le sens de « prostituée » pourrait avoir été influencé par le modèle de χαμαιτύπη « prostituée » (Men., Sam. 348 ; etc.). Cette interférence sémantique entre χαμευνάς et χαμαιτύπη aurait été favorisée par le fait que dans l’Odyssée (10.243, 14.15), χαμαιευνάς (« qui couche à terre ») est dit de porcs ou de truies, animaux qui se prêtent aisément à des connotations sexuelles, comme c’est par exemple le cas chez Aristophane, V. 573[12] et 1364. Sans viser à l’exhaustivité, l’usage de la littérature scientifique secondaire est largement à jour, même s’il est inévitable que de temps à autre, on repère quelques manques. Il en est ainsi p. 87-90, à propos de l’hapax semanticum μαψαῦραι (Lyc. 395), adjectif composé référant à la vanité de paroles qui ne sont que du vent (cf. l’adverbe μάψ « en vain ; follement ; sans raison, au hasard » et le substantif ion. αὔρη, att. αὔρα « brise, vent ») : le développement consacré par A. Pellettieri à la question de savoir s’il est préférable de lire μαψαῦραι (composé signifiant « vents légers ») ou μὰψ αὖραι (adverbe + substantif) chez Hésiode (Th. 872), ainsi qu’aux emplois de μάψ dans la littérature, aurait gagné à pouvoir intégrer les réflexions de C. Le Feuvre sur ces sujets.[13] Il arrive aussi que l’information de l’auteur soit quelque peu datée, comme à propos du sens originel du verbe τρέφω (p. 31), posé d’après É. Benveniste comme « favoriser (par des soins appropriés) le développement de ce qui est soumis à croissance ».[14] Or, en réalité, le sens fondamental de la racine de τρέφω doit être « (se) coaguler, (s’)agglomérer ».[15]

Ainsi, cette contribution d’A. Pellettieri à notre connaissance de la langue de Lycophron est bienvenue, et l’on ne peut que souhaiter qu’elle soit suivie d’autres études sur la langue du poète de l’Alexandra ou d’autres poètes des époques hellénistique et romaine, tant il reste à faire en la matière.

Notes

[1] Voir en particulier, sur l’ensemble des classes de mots chez Lycophron (non seulement composition nominale, mais aussi dérivation nominale, présents suffixés, etc.), la synthèse suivante : Guilleux, Nicole, « La fabrique des hapax et des prôton legomena dans l’Alexandra, entre connivence et cryptage », dans C. Cusset et É. Prioux (éd.), Lycophron : éclats d’obscurité, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2009, p. 221-236.

[2] H.G. Reichard, Lycophronis Chalcidensis Alexandra siue Cassandra, Leipzig, Crusius, 1788.

[3] E. Kosmetatou, « Lycophron’s Alexandra Reconsidered: The Attalid Connection », Hermes 128, 2000, p. 32-53.

[4] K.R. Jones, « Lykophron’s Alexandra, the Romans, and Antiochus III », JHS 134, 2014, p. 41-55.

[5] S. Hornblower, Lykophron. Alexandra, Oxford, OUP, 2015.

[6] Parmi les documents conservés de ce type, A. Pellettieri (p. 23, 137) fait mention en particulier de l’onomasticum poeticum du papyrus P.Hibeh 2.172 (270-230 av. J.-C.), qui comporte une liste de composés, dont une trentaine d’hapax.

[7] Voir les quelques références signalées p. 13 n. 38 sur la chronologie relative entre Lycophron et Euphorion (sur laquelle voir aussi p. 22-23), ainsi qu’entre Lycophron et Callimaque (pour laquelle A. Pellettieri renvoie en dernier lieu à S. Hornblower, « Hellenistic Tragedy and Satyr-Drama; Lycophron’s Alexandra », dans V. Liapis et A.K. Petrides [éd.], Greek Tragedy after the Fifth Century. A Survey from ca. 400 BC to ca. AD 400, Cambridge, University Press, 2019, p. 119).

[8] Il est vrai que l’auteur aborde quelquefois le sujet dans le corps de l’ouvrage, mais seulement à grands traits, en quelques phrases tout au plus, ainsi p. 137-138 à propos du rapport entre Lycophron et Hyssaldomos de Mylasa. Sur cette difficile question de la datation, en termes de chronologie relative, au moyen de critères d’ordre philologique ou linguistique, je me permets de mentionner aussi l’étude suivante : É. Dieu, « Lycophron lecteur d’Aristophane et de Callimaque ? À propos de gr. τινθός, (δια)τινθαλέος », dans D. Petit et C. Le Feuvre (éd.), Ὀνομάτων ἵστωρ. Mélanges offerts à Charles de Lamberterie, Louvain, Peeters, 2020, p. 225-239.

[9] Ch. Marek et E. Zingg, Die Versinschrift des Hyssaldomos und die Inschriften von Uzunyuva (Milas/Mylasa), Bonn, Habelt, 2018.

[10] Lycophron. Alexandra, Paris, Les Belles Lettres, 2008.

[11] Lycophron. Alexandra, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 53.

[12] Et non pas au vers 273, comme indiqué par A. Pellettieri.

[13] Voir C. Le Feuvre, Ὅμηρος δύσγνωστος. Réinterprétations de termes homériques en grec archaïque et classique, Genève, Droz, 2015, p. 535-553, et plus précisément p. 542-543 sur le vers de la Théogonie, avec mention du passage de Lycophron p. 543 n. 6.

[14] É. Benveniste, Problèmes de linguistique générale, I, Paris, Gallimard, 1966, p. 292-294 (repris de Word 10, 1954).

[15] Voir P. Demont, « Remarques sur le sens de τρέφω », REG 91, 1978, p. 358-384 ; Ch. de Lamberterie, Les Adjectifs grecs en ‑υς, Louvain-la-Neuve, Peeters, 1990, p. 676-682 ; C. Le Feuvre, « Le type τρόπις, στρόφις, τρόφις et le problème de τρόφι κῦμα (Il. 11, 307) », dans A. Blanc et D. Petit, Nouveaux acquis sur la formation des noms en grec ancien, Louvain – Paris, Peeters, 2016, p. 179-202 (voir notamment p. 186-188).