BMCR 2021.05.20

Tra politica e religione: I Giudei nel mondo greco-romano. Studi in onore di Lucio Troiani

, Tra politica e religione: I Giudei nel mondo greco-romano. Studi in onore di Lucio Troiani. Antiquitas, 5. Milano: Editoriale Jouvence, 2019. Pp. 268. ISBN 9788878017191. €22,00 (pb).

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Publiant les actes d’une rencontre internationale organisée à l’Université de Pavie les 15 et 16 juin 2018, cet ouvrage, dédié à Lucio Troiani, couvre une vaste période de l’histoire juive et chrétienne. Depuis la politique séleucide aux alentours de l’année 180 avant notre ère, jusqu’au lexique de Lactance au IVe siècle de notre ère, il réunit onze contributions classées dans l’ordre chronologique, outre la préface (L. Capponi), la laudatio de L. Troiani (R. Scuderi) et les conclusions (G. Zecchini). Plusieurs articles traitent de points de débats particulièrement récents et apportent des éléments neufs qui nourriront certainement la discussion. Il est impossible ici de rendre compte de l’ensemble des arguments et de discuter tant d’éléments. La diversité et la rigueur des propos se révèlent être à l’image du bénéficiaire de l’ouvrage, à la carrière riche et fructueuse.

Lucio Troiani ouvre d’ailleurs le propos avec une réflexion sur les origines du mouvement chrétien. Contre une certaine doxa considérant le judaïsme comme un bloc monolithique hostile à la prédication de Paul, il souligne combien le christianisme a été préparé par certains courants juifs. Mais le « judaïsme urbain » de la diaspora (« ebraismo urbano »), inquiet pour le statu quo qu’il entretient avec son milieu, aurait été le principal adversaire de la prédication paulinienne, considérée comme subversive d’un point de vue politique plutôt qu’idéologique.

Federicomaria Muccioli poursuit avec une discussion de la « stèle d’Héliodore » publiée pour la première fois en 2007 et qui ne cesse de nourrir le débat sur les causes de l’intervention du ministre séleucide de Séleucos IV aux alentours de l’année 180 avant notre ère.[1] À lire parallèlement aux travaux les plus récents relativisant les conséquences de la paix d’Apamée sur les finances royales ou explorant la politique de restauration menée par le roi par diverses alliances matrimoniales[2], ce chapitre constate que la recherche a été prompte à considérer l’intervention d’Héliodore à Jérusalem comme une conséquence de la nomination d’Olympiodoros. Il propose, à l’inverse, que cette nomination fût causée par le conflit ; afin de répondre à la crise, le roi aurait changé la famille dirigeant la satrapie et répondu ainsi à la requête du grand-prêtre Onias III (2 M 4, 4-6). Cela expliquerait l’image positive qu’a laissée Séleucos IV dans la mémoire maccabéenne.

C’est une réhabilitation tout aussi intéressante que propose Ariel S. Lewin au chapitre suivant. Partant de l’affaire de l’aigle d’or placé par Hérode sur le temple de Jérusalem et qui a été détruit par de jeunes gens l’accusant d’impiété, il s’intéresse au rapport varié du judaïsme aux images à la fin de la période du Second Temple. Il signale que l’aigle est resté quatorze ans sur le temple avant d’être décroché, ce qui suppose son acceptabilité par la plupart des contemporains. L’affaire ne serait pas tant religieuse que politique, le contexte d’éloignement entre le roi et les pharisiens expliquerait que ces hommes, qui jusque-là le toléraient, passent désormais à l’action. Le point de vue de Josèphe sur l’affaire serait très conservateur, opposé aux images en vertu d’une interprétation radicalisée du deuxième commandement ; son point de vue se retrouve à Tibériade lorsque, durant la guerre, il fait détruire les images du palais royal (Vita 65).

Giorgio Jossa se demande ensuite si Jésus s’est réellement présenté comme le roi des Juifs, présentant le messianisme et les prétentions monarchiques comme deux éléments distincts. Partant exclusivement de Marc et de la source Q, il insiste sur le caractère terrestre du « royaume de Dieu » prêché par Jésus, sans pour autant adhérer aux théories d’un Jésus révolutionnaire. Mis en danger à Jérusalem, le Galiléen aurait renoncé à ses projets et serait revenu à la prédication de Jean le baptiseur, évoquant ainsi tardivement une royauté céleste.

Contre une tendance forte à vouloir réduire à du divertissement (entertainment) les œuvres juives de valeur historique discutée, Sylvie Honigman soutient la fonction sapientale de textes en leur temps « perceived as history of a sort » et sans doute rédigées dans des milieux sacerdotaux. Concernant spécifiquement le troisième livre des Maccabées, l’historienne propose d’y voir le point de vue juif sur les conflits qui ont éclaté à Alexandrie en 38-41 de notre ère. Elle relève une série d’anachronismes qui empêchent d’y voir une œuvre hellénistique et souligne des parallèles avec le Contre Flaccus de Philon, que l’auteur avait peut-être même en tête en rédigeant son œuvre. La relocalisation de l’affaire serait une mesure de prudence face au pouvoir impérial, une sorte de hidden transcript.

Dans les épîtres pauliniennes et dans les Actes des apôtres, on ne saurait déceler d’indices sur la politique de la Judée des années 50 de notre ère, si l’on en croit Martin Goodman. Répondant à Peter J. Tomson[3], l’historien britannique distingue plutôt des conflits internes à la communauté chrétienne (pagano-chrétiens et judéo-chrétiens) et des inquiétudes des convertis de Galatie face aux critiques de leur entourage païen, que des informations sur la montée des partis anti-romains en Judée. En comparant la description d’Agrippa II chez Josèphe (victime selon lui d’« amnesia apologetica ostentata ») et dans le livre des Actes, il déclare « plausibile » la participation du roi au procès de Paul, puisqu’il était alors superviseur du temple et que l’accusation portée contre l’apôtre entrait sans doute dans ses prérogatives.

L’intervention de Josèphe comme véritable auteur et non comme simple compilateur est également démontrée par Silvia Castelli. En s’intéressant au récit du miracle de Massa et Mériba, elle souligne les particularités du récit d’Antiquités III, 38. Moïse ne se contente pas d’accomplir les ordres de Dieu mais apparaît comme le principal acteur. Josèphe pourrait avoir utilisé, comme il l’affirme, un écrit spécifique qui se trouvait dans le temple et que Titus lui aurait donné après la destruction de Jérusalem.

Les deux chapitres suivant s’intéressent à la révolte des Juifs au temps de Trajan, connue sous le nom de « guerre de Kitos ». Livia Capponi identifie une phase initiale dans le gouvernement de l’empereur comme un interlude de tolérance, essentiellement à l’aide des Acta Alexandrinorum.[4] Le manquement à une promesse de sa part de rebâtir le temple aurait suscité une mutinerie de la part de la communauté juive d’Égypte, menée par Loukouas, qui semble avoir eu des prétentions messianiques. De son côté, Miriam Ben Zeev Hofman propose de poursuivre l’analyse de M. Goodman[5] qui, selon elle, peut réconcilier les sources évoquant une « guerre » ou une expeditio Iudaeae (AE 1929, 167) et l’absence de révolte de la Judée chez Dion et chez Eusèbe. Il n’y aurait pas eu de révolte mais une offensive romaine, dans le but d’éviter l’ouverture d’un nouveau front alors que la révolte de la Cyrénaïque et de l’Égypte n’était pas achevée au printemps 117. Le renvoi de Lusius Quietus en août 117 indiquerait que la guerre était alors déjà finie.

Steve Mason poursuit en proposant une stimulante reconfiguration de la manière dont l’historien peut se représenter la Judée romaine. Au lieu d’imaginer un État sur le modèle moderne, il invite à penser la géographie à l’aide des concepts grecs de la polis et de la chôra. L’hégémonie de Jérusalem sur ses cités voisines aurait été encouragée par les Romains, désireux de n’avoir qu’un seul interlocuteur, sans pour autant créer une « province » (l’historien traduit le titre de praefectus Iudaeae comme « prefect for Judaean Affairs »). De cette hégémonie serait née une forme de « colonisation », de nombreuses cités du Levant Sud voyant apparaître une minorité juive. Il écrit ainsi : « If life away from the temple and amid foreign cultures are the main criteria for defining diaspora, then Judaeans in Caesarea, Scythopolis, or Gadara were in the same practical position as their more distant compatriots ». Il n’est cependant pas certain que cette reconfiguration permette vraiment de soutenir que la « diaspora » est un concept anachronique, car Steve Mason s’intéresse surtout à une zone grise, ne touchant ni au cœur de la Judée (Jérusalem) ni aux communautés habituellement décrites comme diasporiques. La définition de la « terre sainte » est en effet très mouvante dans les sources antiques et toutes n’admettent pas Césarée, Scythopolis ou Gadara comme en faisant partie.[6]

Pour finir, Alessandro Maranesi s’intéresse à deux éléments lexicaux par lesquels Lactance, dans son De Mortibus Persecutorum, disqualifie ses ennemis : le vocabulaire de la pestilence et de la contagion ou bien celui de la tyrannie. Si le premier est un emprunt à la littérature classique et révèle un besoin de trouver une légitimité dans la tradition littéraire, le second en revanche révèle un changement de paradigme de l’époque de Constantin. Le terme de « tyrannie », exception faite chez Tertullien (à propos de Nabuchodonosor) et Cyprien (concernant Trajan Dèce), ne se référerait jusqu’à Lactance qu’au système politique attesté dans la Grèce archaïque. La classe dirigeante constantinienne aurait resémantisé ce concept, révélant un changement de conception de l’ennemi.

S’il est difficile de trouver une unité à ce volume et si toutes les démonstrations ne feront certainement pas l’unanimité, il est certain que cet ouvrage est stimulant et servira à l’avenir les recherches dans un grand nombre de domaines. Du judaïsme hellénistique et romain au christianisme primitif ou constantinien, c’est un vaste pan du judaïsme ancien qui est étudié dans son rapport entre politique et religion.

Table of Contents

Livia Capponi , “Prefazione” (7-10)
Rita Scuderi, “Laudatio di Lucio Troiani” (11-29)
Lucio Troiani, “Alle origini del movimento cristiano: azioni e reazioni” (31-47)
Federicomaria Muccioli, “La ‘stela di Eliodoro’, i Seleudici e i Giudei. Alcune considerazioni” (49-79)
Ariel S. Lewin, “Erode, Giuseppe e il Tempio fra religione, politica, cultura” (81-108)
Giorgio Jossa, “Gesù pretendeva realmente di essere il re dei Giudei?” (109-126)
Sylvie Honigman, “Between History and Fiction : 3 Macc. And the events of 38-41 CE in Alexandria” (127-143)
Martin Goodman, “La politica in Giudea degli anni 50 CE: l’uso del Nuovo Testamento” (145-159)
Silvia Castelli, “Interventi personali nella Bibbia di Flavio Giuseppe: il caso di Ant. III 38” (161-178)
Livia Capponi, “Le cause della rivolta giudaica sotto Traiano” (179-203)
Miriam Ben Zeev Hofman, “New Perspectives on the ‘War of Qitos’” (205-224)
Steve Mason, “Eretz-Israel and Diaspora: Variations on the Category Blues” (225-246)
Alessandro Maranesi, “Libidinosus et pestifer: Nuovi nemici, parole in parte Nuove e religione tra terzo e quarto secolo” (247-262)
Giuseppe Zecchini, “Conclusioni” (263-268)

Notes

[1] Désormais CIIP 3511 et CIIP 3512.

[2] Sur ces deux points, voir en particulier A. Coşkun et D. Engels (éd.), Rome and the Seleukid East. Selected Papers from Seleukid Study Day V, Bruxelles, Latomus, 2019.

[3] P. J. Tomson, « Sources on the politics of Judaea in the 50s CE: a response to Martin Goodman », JJS 68, 2017, p. 244-248.

[4] La même année, Chr. Rodriguez, « Les Juifs maîtres de Rome ? Les accusations de l’Alexandrin Hermaiscos face à Trajan », dans E. Nantet, Les Juifs et le pouvoir politique dans l’Antiquité gréco-romaine, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, p. 209-228 (p. 221-222) rejetait l’idée d’une amitié entre Trajan et les Juifs en s’intéressant également aux Acta Alexandrinorum. Si l’on poursuit l’examen de Capponi, cela invalide l’idée de M. Goodman selon laquelle l’adoption de Trajan aurait mis fin à la politique de bienveillance de Nerva à l’égard des Juifs. Voir par exemple M. Goodman, « The Fiscus Iudaicus and Gentile Attitudes to Judaism in Flavian Rome », dans J. Edmondson, S. Mason et J. Rives (éd.), Flavius Josephus and Flavian Rome, Oxford, Oxford University Press, 2005, p. 167-177.

[5] M. Goodman, « Trajan and the Origins of the Bar Kokhba War », dans P. Schäfer (éd.), The Bar Kokhba War Reconsidered, Tübingen, Mohr Siebeck, 2003, p. 23-29.

[6] Sur la fluidité des concepts géographiques dans l’Antiquité, voir A. Dan et É. Nodet, Cœlé-Syrie. Palestine, Judée, Pérée, Louvain-Paris-Bristol, Peeters, 2017.