BMCR 2020.06.30

Les sons du pouvoir des autres: actes du troisième colloque SoPHiA, 27-28 mars 2014.

, , Les sons du pouvoir des autres: actes du troisième colloque SoPHiA, 27-28 mars 2014, Strasbourg. Institut des sciences et techniques de l'Antiquité. Besançon: Presses universitaires de Franche-Comté, 2017. 142 pages. ISBN 9782848676005. €19,00.

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Ce colloque strasbourgeois entendait apporter un prolongement à la première étude, assez novatrice, publiée en 2012 sur Les sons du pouvoir dans les mondes anciens.[1] La contribution est ici plus modeste (huit textes sont réunis) et bien moins convaincante même si le postulat était louable : « nuancer une idée reçue sur la place disproportionnée du bruit et du silence dans les civilisations de la Méditerranée et dans les sociétés dites barbares » (p. 9). Les travaux sur l’anthropologie du son se sont multipliés à la faveur de l’essor de l’histoire sensorielle et l’on pouvait se réjouir de la parution d’une nouvelle étude centrée sur les sociétés antiques. Evoquer l’altérité des sons, en rapport avec les manifestations du pouvoir, semblait a priori une idée pertinente. Dans l’introduction, les deux organisateurs réfutent curieusement une lecture de type anthropologique pour ne retenir qu’une lecture « historique » (p. 10) ; ils s’efforcent ensuite de définir ce qu’ils entendent par « autres » : « les groupes d’individus, organisés ou non, qui étaient étrangers au monde gréco-romain ou qui, voix dissonantes par rapport au pouvoir normatif du monde civique, ont perturbé le bon fonctionnement des institutions (…) ». La notion d’altérité est prise dans un sens très large, avec une définition parfois discutable. En fonction de cette catégorisation, le livre est divisé en trois rubriques : 1. Les dissonances populaires où sont abordées le bruit et les silences des assemblées ; 2. Bruits et représentations sonores du palais regroupe deux communications sur le palais proche-oriental et sur Alexandrie ; 3. Clameurs aristocratiques et guerrières envisage les sons de la guerre chez les barbares (Parthes, Gaulois et Germains).

Dans la première rubrique, John Thornton (« Strepitus imperitorum : i suoni delle assemblee, fra alterità etnica e sociale ») évoque le son des assemblées « entre altérité ethnique et sociale » : le propos, centré sur la fin de la République, entend reprendre les jugements de valeur, à connotation sociale ou ethnique, en particulier ceux de Cicéron, portés sur les assemblées bruyantes d’Asie Mineure ; l’auteur mesure la façon dont les cris des participants sont utilisés dans le discours cicéronien, avec une connotation négative, afin de dénoncer le fonctionnement de ces assemblées ; Alessandro Galimberti (« Congiure, silenzi e moti populari durante il regno di Commodo ») étudie les silences, associés à l’acte du consentement, et les mouvements populaires lors des conjurations connues sous le règne de Commode à travers les témoignages de Dion Cassius et Hérodien.[2] La communication d’Anne Jacquemin, intitulée « Le son des autres : une gêne pour Plutarque ? » s’éloigne des problématiques soulevées par les deux articles précédents. Son propos porte sur les bruits entendus dans le sanctuaire de Delphes abordé en tant qu’espace sonore ; y sont évoqués les bruits des spectateurs venus aux Pythia, ceux des athlètes, des animaux dans la mesure où les sources ne documentent pas les productions sonores liées au déroulement du Conseil de l’Amphictionie.

Le second volet, sur l’espace du palais, permet d’aborder avec Cecilia Mora le Proche-Orient ancien au deuxième millénaire  (« Rumeurs, délations, secrets : Esprit de cour au Proche Orient ancien » ) ; l’auteur interroge les sources écrites recueillies à Mari ou Assur de façon à reconstituer l’atmosphère du palais lors des intrigues de cour (calomnies et dénonciations) mais les textes ne proposent pas d’évocation sonore à proprement parler  et il faut bien reconnaître aussi que la notion d’altérité ne s’impose pas ici comme une évidence. Lucio Troiani (« I suoni del potere nel giudaismo ellenistico e nel Nuovo Testamento. Alcune osservazioni ») réfléchit sur les sons du pouvoir dans le judaïsme hellénistique à partir des témoignages de Philon et Flavius Josèphe qui donnent un idée assez précise de certaines manifestations sonores entendues à Alexandrie ; des remarques sur les évocations sonores dans le Nouveau Testament viennent compléter le propos.

Le versant barbare abordé dans le dernier volet est celui qui épouse le mieux la notion d’altérité. Giusto Traina (« Harmonie barbare ? Tambours des Parthes à la bataille de Carrhes »), examine les sons de la bataille à travers l’exemple de Carrhes, bien documenté par le récit de Plutarque, qui offre une belle illustration de la perception par les Grecs des bruits de la barbarie ; Traina porte son attention sur le fracas des  tambours de guerre, ces instruments de percussion qui remplacent à la guerre la trompette des Romains, et qui « tétanisent et hypnotisent l’ennemi » (p. 95), mais je ne suis certain pour autant que l’expression « d’harmonie barbare » proposée par l’auteur soit pertinente (p. 97). Blaise Pichon (« Les sons du pouvoir chez les Gaulois transalpins ») centre son propos sur les Gaulois dans un tableau où la production sonore est celle des rires, cris et discours, tandis que celle des instruments de musique est juste évoquée en contrepoint. Seules les sources littéraires sont utilisées pour dresser le tableau du son produit par les bardes et les guerriers dans le cadre du combat. Enfin, Umberto Roberto (« Prima della battaglia : canti e danze di guerra dei Germani da Tacito al Cantator medievale ») clôt le volume par l’étude des chants et danses guerrières chez les Germains, en reprenant les témoignages littéraires, depuis Tacite jusqu’à Ammien Marcellin ; il rejoint les travaux de Speidel[3] et avance une hypothèse intéressante sur la pérennité d’une tradition locale dans les armées de l’Antiquité tardive, avec le cantator, cité dans les sources byzantines.

Malgré la qualité de certaines des contributions, cela donne un volume un peu décousu, où il est parfois davantage question de pouvoir que de son. L’autre ambiguïté tient à l’absence de définition en préambule du paysage sonore, ou de débat autour de cette notion.[4] Cela explique que, d’une contribution à l’autre, les auteurs utilisent tour à tour « univers sonore », « environnement sonore », « paysage sonore », sans que l’on sache ce qui les distingue.

 

Table of Contents

Antonio Gonzales et Maria Teresa Schettino, Les paysages sonores des autres : autour du pouvoir légitimé, contesté, armé…
Première partie: Les dissonances populaires
John Thornton, Strepitus imperitorum: i suoni delle assemblee, fra alterità etnica e sociale
Alessandro Galimberti, Congiure, silenzi e moti popolari durante il regno di Commodo
Anne Jacquemin, Les sons des autres, une gêne pour Plutarque ?
Deuxième partie : Bruits et représentations sonores du palais
Clelia Mora, Rumeurs, délations, secrets : “Esprit de cour” au Proche Orient ancien
Lucio Troiani, I suoni del potere nel giudaismo ellenistico e nel Nuovo Testamento. Alcune osservazioni
Troisième partie : Clameurs aristocratiques et guerrières
Giusto Traina, Harmonie barbare ? Tambours des Parthes à la bataille de Carrhes
Blaise Pichon, Les sons du pouvoir chez les Gaulois transalpins
Umberto Roberto, Prima della battaglia: canti e danze di guerra dei Germani da Tacito al Cantator medievale

[1] Sylvia Pittia et Marie Teresa Schettino (dir.), Les sons du pouvoir dans les mondes anciens, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2012.

[2] Sur le silence, on lira désormais Alexandre Vincent, « Une histoire de silences », Annales, HSS, 2017, 72/3, p. 633-658, qui privilégie le domaine de la religion.

[3] Michael P. Speidel, Ancient Germanic Warriors, Londres-New York, Routledge, 2004.

[4] Voir désormais Sibylle Emerit, Sylvain Perrot et Alexandre Vincent (dir.), Le paysage sonore de l’Antiquité. Méthodologie, historiographie et perspectives, Le Caire, IFAO, 2015.