BMCR 2020.04.41

The Oxford handbook of Demosthenes

, The Oxford handbook of Demosthenes. . Oxford; New York: Oxford University Press, 2019. xii, 510 p.. ISBN 9780198713852. $127.95.

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Comment rendre compte d’un ouvrage de plus de cinq cents pages, avec la contribution de trente-cinq auteurs différents sans risquer un simple et très rapide résumé de chacune d’entre elles ou de se hasarder à une synthèse aussi brève qu’incomplète sur le personnage même de Démosthène en regrettant le manque d’unité du livre ? Une telle tentative est une tâche impossible. Il me semble pourtant que ce risque, inhérent à un tel travail, a été identifié et résolu dans l’introduction de Gunther Martin : “the contributors represent a wide range of scholarship, not only in accordance with the diversity of the topics that they cover in this volume, but also in terms of the scholarly traditions in which they work” (p. 3). C’est affirmer, dès le début, qu’il ne s’agit pas là de choisir entre une vision positive de la vie et de l’œuvre de Démosthène et une autre vision, plus sombre, du personnage.

L’ouvrage est divisé en six parties, rassemblant de quatre à sept contributions d’une dizaine de pages chacune, toutes écrites par un(e) vrai(e) spécialiste de la question traitée, dotée d’une conclusion efficace et rassemblant une bibliographie spécifique resserrée et analysée en quelques phrases, ce qui donne une réelle homogénéité technique à l’ensemble du livre. On imagine aisément les instructions données à chacun des contributeurs pour parvenir à une telle cohérence dans l’écriture puisque, si les chapitres se complètent, ils ne se dédoublent jamais. Ainsi, l’étude des hommes politiques influents à la Pnyx est divisée en deux chapitres selon qu’ils ont ou non laissé des discours transmis par la tradition littéraire (chap. 26 et 27) ; l’étude du corpus est de même étudiée au travers de trois contributions différentes (chap. 28, 29 et 30) et la Nachleben de l’œuvre de l’orateur séparée en deux (Antiquité et période byzantine d’un côté, période moderne de l’autre : chap. 33 et 34).

Cette division rigoureuse d’un travail par nature éclectique n’empêche pas, en raison du nombre de contributeurs, l’aspect parfois contradictoire de ses conclusions – mais c’est la loi du genre, tant le nombre de jugements sur le personnage, sa vie, son œuvre politique et rhétorique divise encore les savants. Un exemple, un seul, de ces disparités d’appréciation, la question de l’authenticité du discours épidictique de Démosthène, l’Erotikos : Jeremy Trevett (p. 422), appuyé par les conclusions de R. Clavaud et H. Yunis, considère que le discours “may well be authentic”, alors que Ian Worthington, devant le style utilisé par l’auteur, style si différent des autres discours de Démosthène, conclut que “it is most probably spurious” (p. 402-403). Sans entrer dans une réflexion de nature impressionniste, on admettra aisément que le style employé pour montrer son amour à un bel éphèbe doit, par nature, être différent du style où s’exhale la haine du Macédonien ou d’Eschine : il paraît difficile de rejeter l’authenticité de ce discours uniquement pour cette raison. Les fragments de l’Erotikos attribué à Aristote offrent de la même manière un style écrit assez dissemblable de celui de la Politique. Mais on devine que, derrière cette différence de jugement sur l’authenticité de ce discours, se cachent d’autres enjeux, plus politiques sinon plus idéologiques : faut-il ou non admettre qu’un personnage comme Démosthène, qui a passé sa vie politique à vouloir donner l’image d’un orateur mû par son seul souci de la défense d’Athènes, ait pu passer une partie de son temps à courir derrière quelques teenagers ?

Après une introduction de Gunther Martin, six parties couvrent l’ensemble des champs d’étude sur Démosthène et chacune débute par un chapitre d’essence plus générale. Mais toutes les contributions ont le même but, celui de fournir un état de la question up to date beaucoup plus que de livrer un éclairage nouveau sur la vie et l’œuvre de Démosthène. C’est peut-être la limite de ce travail collectif, mais c’est surtout un moyen unique de faire le point sur les innombrables travaux qui ont paru ces dernières décennies sur Démosthène et, plus largement, sur Athènes dans la seconde moitié du IVe siècle.

La première partie, General Matters, replace l’immense bibliographie scientifique sur le personnage (Th. Paulsen) dans le contexte historique en soulignant justement que les travaux rédigés avant la Seconde Guerre Mondiale sont marqués soit par une admiration forcenée pour un homme, patriote héroïque d’une démocratie voulant préserver la Grèce de la barbarie macédonienne (Croiset, Treves, Jaeger…), soit par une opposition de principe envers un orateur qui n’aurait rien compris à la marche de l’Histoire (Beloch, Drerup…), le tout étant bien entendu alourdi par les considérations nationalistes si fortes en ces temps-là. Il est vrai que, depuis un demi-siècle, les études démosthéniennes sont marquées par des analyses plus équilibrées.

Mais ce premier chapitre a l’avantage de montrer que Démosthène a rarement laissé les historiens indifférents. La place de l’art oratoire dans le contexte littéraire, historique et politique de son temps est abordée ensuite au travers de trois articles (G. Mader, A.C. Scafuro, K. Wojciech) qui offrent – je ne le répéterai pas désormais puisque c’est le cas de toutes les contributions – une vue panoramique très détaillée de la bibliographie sur ces sujets. La partie II aborde le contexte institutionnel de l’art oratoire, dans le domaine judiciaire (K. Piepenbrink, M. Canevaro, M. Gagarin), diplomatique (P. Hunt) et sociologique (le thème de l’orateur, membre des « élites » de la cité, est étudié par S. Lape). La partie III analyse le contexte politique contemporain de l’acmè de Démosthène. On n’y trouvera sans doute pas des éléments très originaux, mais il s’agit toujours d’excellentes mises au point sur la politique étrangère d’Athènes (P.J. Rhodes), sur les finances de la cité (E.M. Burke), sur l’armée de la cité (L. Burckhardt), sur la corruption (R.J. Nichols), sur l’utilisation du passé dans la rhétorique du temps (G. Westwood), sur la représentation du territoire de l’Attique chez Démosthène (S. Schmidt-Hofner).

Toutes ces contributions, si elles prennent souvent Démosthène comme centre de leurs investigations, élargissent en général leur réflexion à l’ensemble de la cité. Il en est de même dans la Partie IV, qui approfondit le contexte social et culturel de l’époque. Sont abordés les thèmes suivants : commerce et crédit (S. von Reden), la situation sociale et légale des non-citoyens (K. Kapparis), les valeurs politiques et sociales en vogue (J. Roisman), les communautés locales au travers de certains discours du corpus démosthénien (W. Schmitz), l’importance de la parenté (S.C. Humphreys), de la religion (H. Willey), des liens entre la ville et le territoire chez les orateurs (R. Osborne).

Les deux dernières parties (V et VI) se concentrent plus distinctement sur Démosthène en personne et sur son œuvre. La vie de Démosthène est étudiée d’abord dans la riche tradition biographique antique que B.L. Cook fait débuter avec Démosthène lui-même et plus encore avec le décret honorifique proposé par son neveu Démocharès, puis la Vie de Plutarque, l’enkomion de Lucien, la biographie du Pseudo-Plutarque, celle, fragmentaire, de Libanios, la présentation rapide par Zosime, une vie anonyme conservée avec les œuvres du précédent et enfin les lignes rédigées par Photios et le lexicographe de la Souda. Quatre contributions se penchent ensuite sur le personnage lui-même, dans sa famille – et les problèmes bien connus par les procès faits à ses tuteurs – sa formation et ses activités autres que politiques, notamment son « métier » de professeur de rhétorique (I. Samotta), sa carrière politique (Chr. Karvounis), ses alliés et ses ennemis (N. Sawada, L. Gallo). La partie VI se concentre sur le corpus des œuvres de Démosthène : les harangues et discours publics (E.M. Harris), les procès privés (P. Cobetto Ghiggia), les lettres et exercices épidictiques (I. Worthington), la technique rhétorique (C. W. Wooten), la question de l’authenticité et des modalités de publication (J. Trevett), la Nachleben de ses œuvres dans l’Antiquité et au Moyen-Âge (L. Canfora) puis à l’époque moderne (A.J.L. Blanshard) et enfin les questions liées à la transmission du corpus(G. Martin).

Il est difficile, pour ne pas dire plus, de rendre compte de l’ensemble de l’ouvrage, compte tenu de la variété de ses approches et du nombre de contributeurs. Il suffit de voir les noms des chercheurs, tous spécialistes et en général à un très haut niveau d’Athènes au IVe siècle, pour comprendre à quel point nous avons là un livre d’un niveau remarquable. On appréciera à sa juste valeur la bibliographie très étendue fournie à la fin de chaque contribution ainsi que l’index des sources. Les passages des discours de Démosthène sont évidemment les plus nombreux mais l’index s’étend à tous les auteurs possibles et intègre également des inscriptions.

A ce sujet, une interrogation subsiste : la rareté des décrets proposés par Démosthène conservés par l’épigraphie n’a guère attiré l’attention dans ces pages. Or, à moins de penser, à l’image des défenseurs absolus de Démosthène, que des « alliés » se découvriraient pour lui éviter d’être exposé aux critiques, on doit s’interroger sur cette quasi-absence du grand orateur. Peut-être n’est-ce qu’une question de hasard, certes… Pourtant, que le seul décret « démosthénien » conservé date de l’année 339 n’est sans doute dû, lui, qu’au hasard : c’est en effet quelques années seulement avant la bataille de Chéronée que Démosthène a pris une vraie dimension politique. Pas avant 346, certainement, et peut-être pas avant 343 – encore que, sur le « front » des orateurs hostiles à la Macédoine, il n’est ni le seul, ni le plus virulent (on pense à Hypéride et Hégésippe). Et sa carrière se termine avec la défaite de Chéronée, si l’on excepte les quelques mois de la guerre lamiaque. Démosthène a su mettre en valeur son indéniable talent en veillant à taire l’action de ses alliés dans le combat contre la Macédoine et à se présenter comme l’unique voix de la cité.

En tout état de cause, les études démosthéniennes disposent, avec ce volumineux travail dont la coordination a dû être fort difficile, d’un outil bibliographique de grande qualité.

Table des matières

Introduction : Gunther Martin
Part I : General Matters
1. Thomas Paulsen : Demosthenic Scholarship
2. Gottfried Mader : Literary Readings of Oratory
3. Adele C. Scafuro : Historical Readings of Oratory
4. Katharina Wojciech : The Place of Oratory in Fourth-Century Politics and Culture

Part II : The Institutional Context of Oratory
5. Karen Piepenbriek : Public Opinion and the Arenas of Debate
6. Mirko Canevaro : Law and Justice
7. Michael Gagarin : Court Procedures and Arbitration
8. Susan Lape : Political Elites
9. Peter Hunt : Diplomacy

Part III : The Political Context
10. Peter J. Rhodes : Athenian Foreign Policy
11. Edmund M. Burke : Athenian State Finances
12. Leonhard Burckhardt : The Athenian Military
13. Robert J. Nichols : Corruption
14. Guy Westwood : Views on the Past
15. Sebastian Schmidt-Hofner : Visions of Attica

Part IV : The Social and Cultural Context
16. Sitta von Reden : Trade and Credit
17. Kostas Kapparis : The Social and Legal Position of Metics, Foreigners and Slaves
18. Joseph Roisman : The Rhetoric of Social and Political Values
19. Winfried Schmitz : Neighbourhood and Local Communities
20. Sally C. Humphreys : Kinship
21. Hannah Willey : Religion
22. Robin Osborne : City and Countryside

Part V : Demosthenes’ Life
23. Brad L. Cook : The Biographic Tradition
24. Iris Samotta : Family, Formation, Extra-Political Activities
25. Christos Karvounis
26. Noriko Sawada : Allies and Foes (I) : Aeschines, Hyperides, Lycurgus
27. Luigi Gallo : Allies and Foes (II) : Politicians without Transmitted Speeches

Part VI : The Corpus Demosthenicum
28. Edward M. Harris : Speeches to the Assembly and in Public Prosecutions (Dem. 1-24)
29. Pietro Cobetto Ghiggia : Speeches in Private Prosecutions
30. Ian Worthington : The Epitaphios, Erotikos, Prooimia and Letters
31. Cecil W. Wooten : Rhetorical Technique
32. Jeremy Trevett : Authenticity, Composition, Publication
33. Luciano Canfora : Afterlife (Antiquity and Byzantine Era)
34. Alastair J.L. Blanshard : Afterlife (Modern Era)
35. Gunther Martin : Transmission of the Corpus Demosthenicum