BMCR 2020.02.06

Cosmos in the Ancient World

, Cosmos in the Ancient World. Cambridge; New York: Cambridge University Press, 2019. 348. ISBN 9781108423649. $99.00.

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Plus qu’un ouvrage d’histoire ou de philosophie des sciences qui traiterait des représentations et théories cosmologiques des Anciens, ce collectif s’intéresse à l’émergence comme à la fortune de la notion de cosmos dans le monde grec comme à ses avatars romains, généralement exprimés par le terme mundus. Quelques contributions offrent cependant des aperçus sur les fondements ou contours des cosmologies antiques, ainsi les textes de Malcolm Schofield et Monte Ransome Johnson. Il importe de poser d’emblée que la cosmologie en tant que telle est une invention tardive et qu’elle n’existe pas stricto sensu avant le XVIII e siècle. W. H. Shearin considère que l’on peut dater sa naissance à partir de la Cosmologia generalis du philosophe allemand Christian Wolff, publiée en 1731. L’introduction par l’éditeur propose également une note historique, brève mais érudite et originale (p. xv-xviii), retraçant les principaux moments de l’histoire du terme cosmos, depuis le poème composé par un moine anglais du XIIe siècle, transmis sous le titre Ormulum à partir du nom de son auteur, qui fait entrer le terme et son concept dans la langue anglaise, jusqu’à Alexander von Humboldt et son traité Kosmos : Entwurf einer Physischen Weltbeschreibung de 1845. La même introduction revendique une approche multidisciplinaire du fait de la diversité des sources et des objets réunis dans cette collection d’articles. Il est incontestable que l’entreprise couvre un spectre assez large des études relatives à l’Antiquité classique mais le propos reste pour l’essentiel ancré dans le champ de la philosophie ancienne, avec quelques ouvertures vers l’historiographie (Carol Atack), l’archéologie (Gilles Sauron) ou l’histoire littéraire (Robert Germany). La multidisciplinarité étant devenue un mot d’ordre, chacun tend à en adapter l’extension à l’aune de son horizon propre, plus ou moins étendu. La progression est diachronique, selon une conception somme toute assez classique. Cette diachronie se révèle judicieuse en tant qu’elle souligne la volonté d’établir les conditions d’émergence d’une notion et son extension progressive à différents champs de la pensée. S’il fallait résumer cet historique en une seule phrase, nous pourrions dire, avec Philipp Sidney Horky, que l’usage du terme cosmos relève à l’origine d’une analogie avec les activités humaines avant de migrer, sous l’influence des philosophes, en direction de la divinité et de l’universel.

La première étude proposée par l’éditeur rappelle que l’origine pythagoricienne de la notion, par l’intermédiaire d’Empédocle, lui-même perçu comme un pythagoricien, fut affirmée par des sources doxographiques tardives, une Vie de Pythagore du I er siècle av. J.-C. conservée par Photius et le livre 8 des Histoires variées dans lequel Favorinos d’Arles se livre à l’exercice de l’ heurematographie ou recherche des premières découvertes, cette seconde source étant conservée à l’état de fragments. Le sage serait le premier à avoir posé l’idée de cosmos pour décrire un monde fini et ordonné. Il convient toutefois de questionner la fiabilité de ces comptes-rendus. 1

Arnaud Macé réoriente donc cet historique retenu par la tradition en refusant l’idée d’une dénomination pythagoricienne. Parménide, qui en serait le premier « inventeur » (fragment B 8), aurait été influencé par un usage métaphorique fréquent de la poésie d’époque archaïque. Lorsqu’il recourt à cette notion, il aurait conscience qu’elle constitue un arrangement de mots destiné à ordonner ou construire un monde ; elle présente donc un caractère illusoire. Selon Macé, il faut lire dans l’emploi qu’en fait le philosophe présocratique une critique de l’anthropologisme, tel que Xénophane peut le mettre en œuvre.

Malcolm Schofield poursuit la réflexion dans la même direction et met en balance les termes kosmos et diakosmêsis et montre que la notion peut se comprendre sous deux perspectives : si l’on se fonde sur les modèles physiques des atomistes, kosmos, qui peut se dire au pluriel, représente les complexes d’atomes qui sont à l’origine de la formation des mondes, tandis que la conception d’un Parménide y voit un simple arrangement du monde. Il s’agit bien dans les deux cas de désigner un système du monde mais ce système relève d’une réalité physique dans un cas, qui autorise la pluralité des mondes, tandis qu’il s’agit d’ordonner un monde unique et clos dans l’autre cas.

La lecture de Monte Ransome Johnson complète l’entrée en matière proposée par Horky et confirme la lecture qui précède en rappelant que la notion de kosmos n’est pas centrale dans le système conçu par Aristote. Si elle apparaît bien dans le traité Peri kosmou/De mundo, c’est parce que ce texte fut composé par un péripatéticien de l’époque hellénistique, qui tentait de combler une lacune en réponse aux stoïciens. Aristote pense le monde sous l’angle de la physis, en tant que changement et mouvement. Les emplois du terme kosmos s’inscrivent généralement dans sa dialectique critique et sont de fait souvent liés à la pluralité des mondes des atomistes. De plus, un texte comme les Meteorologica met clairement en évidence que la pensée du Stagirite pose la partition du monde en différentes régions (deux en l’occurrence) régies par des lois de nature différente, d’où la difficulté à concilier la cosmologie aristotélicienne avec l’idée d’un système du monde unifié sur le registre du kosmos.

Les quatre chapitres qui suivent mettent en avant les implications éthiques et/ou politiques de la notion dans la tradition philosophique, platonicienne notamment. Ainsi George Boys-Stones montre que la vertu a pu être définie comme une action conforme à l’ordre cosmique et que cette conception se transmet de Platon aux Stoïciens. La démonstration permet également de reposer la question délicate de l’apparence des personnes comme reflet ou non de l’âme. Dans la philosophie platonicienne, la vertu peut se manifester par une forme d’ordre sensible, à travers les actes accomplis sous la conduite de l’âme vertueuse.

Luc Brisson s’arrête plus particulièrement sur les Lois et rappelle que la loi prônée par Platon doit devenir l’expression du kosmos. Cette perspective met ainsi fin à l’opposition entre physis et nomos. La cité de Magnésie décrite dans le dialogue offre la concrétisation de cette conception, sa structuration étant le reflet d’un régime fondé sur la connaissance, une connaissance cosmique. La conclusion proposée par Brisson doit arrêter l’attention car elle invite à reconsidérer le visage sans doute simplificateur que l’historiographie tend souvent à présenter à propos de la pensée de Platon, qui négligerait la dimension spéculative de la philosophie.

Le chapitre que Pauliina Remes consacre à Plotin s’inscrit naturellement dans cette lignée puisqu’il présente le cosmos du philosophe comme une incarnation de Dieu (structures intelligibles) inscrite dans l’espace et la temporalité. Il peut donc faire l’objet d’une imitation par les hommes dans leurs actions. Cette articulation entre cosmos et action n’est pas sans poser quelques difficultés ontologiques puisqu’elle associe ce qui est relationnel par définition (l’action humaine, qui repose sur le principe de l’interaction d’une entité avec une autre) à un système qui ne connaît rien d’externe à lui-même (le cosmos).

Carol Atack élargit les considérations précédentes en étudiant l’analogie kosmos-polis au regard des modèles politiques contemporains. Si la conception du monde comme relevant d’un kosmos observé à l’échelle de la cité (et inversement) constitue bien un lieu commun dès la période archaïque, la diversité des systèmes civiques connus dans le monde grec et de leurs interprétations relatives aux mythes cosmogoniques pose une difficulté qu’il est difficile de surmonter. Il n’existe en effet aucun modèle unique ou consensuel en la matière.

Trois chapitres inscrivent la notion dans sa dimension culturelle. Renaud Gagné décline les nombreuses métaphores qui font de la chorégraphie dramatique une image scénique des corps célestes et de leur kosmos.

À sa suite Robert Germany associe contemplation augurale et organisation théâtrale dans le monde romain. La contemplatio des augures est une theôria portant sur l’observation du mundus. Le chapitre insiste sur l’importance du vocabulaire auspicial dans la comédie romaine (Plaute surtout) et la notion de contemplatio mundi dans les tragédies de Sénèque.

Le chapitre synthétique de Gilles Sauron passe en revue les formes sous lesquelles les inspirations philosophiques (Platon, Aratos) de l’aristocratie romaine s’expriment dans l’architecture et le décor. Leur lecture met en évidence le poids pris par la cosmologie platonicienne dans cette culture aristocratique, ce dont les Tusculanes et le célèbre Somnium Scipionis de Cicéron sont le reflet, ainsi que la richesse de la culture astronomique des mêmes milieux.

W. H. Shearin revient sur la tradition philosophique en milieu romain en établissant une comparaison entre épicurisme et stoïcisme s’appuyant sur les deux textes majeurs que sont le De rerum natura de Lucrèce et les Naturales quaestiones de Sénèque. La perspective du sublime y est présente et l’analyse de Shearin s’attache à montrer qu’elle n’est pas qu’une catégorie esthétique. Le concept de limite qu’elle met en œuvre s’avère fondamental pour toute théorie cosmologique. Cependant l’opposition entre Lucrèce/Épicure et le stoïcien Sénèque se manifeste au sujet du divin. Si le sublime stoïcien repose sur la contemplation de la rationalité divine, c’est la compréhension de l’infini qui le fonde chez Lucrèce.

Après avoir ouvert la réflexion, Phillip Sidney Horky propose un dernier chapitre permettant d’embrasser un vaste cadre chronologique ; il s’intéresse au rôle fédérateur que la notion de pneuma joue dans les cosmologies anciennes, en insistant notamment sur le fait que la théologie pneumatique du Nouveau Testament hérite non seulement du fonds indo- européen et hébraïque mais aussi des cosmologies philosophiques qui la précèdent. On pourra regretter que cet état des lieux, pertinent mais rapide du fait de sa condensation sur un chapitre, ne rende pas crédit à l’entreprise que Verberke avait déjà menée à ce sujet, ignorée de la bibliographie. 2 Bien qu’elle soit datée et présente de nombreuses lacunes, notamment sur la tradition néo-testamentaire, 3 cette monographie n’en reste pas moins érudite et riche en références susceptibles d’étayer la démonstration ; l’auteur, qui était un spécialiste du stoïcisme ancien, avait offert des éclairages très complets sur le pneumatisme du Portique.

Comme il se doit, les chapitres sont coiffés par un index locorum et un index général, indispensables pour faire d’un tel ouvrage un outil pertinent au travail de recherche. Les sources et références sont regroupées dans une bibliographie générale, qui d’ailleurs ne distingue plus entre sources et littérature secondaire, conformément à un usage qui tend à se généraliser et contre lequel je ne manque aucune occasion de m’exprimer.

Cette dernière remarque méthodologique mise à part, l’ouvrage est d’une grande qualité dans sa conception car, loin de constituer une collection de contributions autonomes, il offre une véritable cohérence et fait apparaître un fil directeur. Les contributions de son éditeur sont particulièrement bienvenues à cet effet. On ne peut que louer la conception du travail d’éditeur mise à l’œuvre dans cette réalisation collective. Considérant son sujet, il est évident que cette publication est loin d’épuiser la question et qu’elle ne peut que laisser de côté certains de ses aspects. Pour n’en citer qu’un, la tradition astronomique/astrologique per se n’est pas traitée, sauf par quelques allusions, notamment dans les chapitres de Robert Germany et Gilles Sauron. Or il est certain qu’elle constitue un volet essentiel de la réflexion pour cerner la notion qui est en jeu. Mais cet ouvrage est le fruit d’un séminaire de recherche et d’un colloque tenus en 2012-2013 et non d’un programme ou d’une enquête menés sur une durée étendue. On ne peut donc lui reprocher une quelconque incomplétude mais au contraire saluer la pertinence des pistes et des questions qu’il ouvre, propres à stimuler la réflexion de ses lecteurs en vue de nouveaux développements.

Table of Contents

List of Contributors ix
Acknowledgements xii
An Historical Note on Kόσμος–Terminology xv
List of Abbreviations xix

Introduction, Phillip Sidney Horky 1
When Did Kosmos Become the Kosmos ?, Phillip Sidney Horky 22
Ordering the Universe in Speech: Kosmos and Diakosmos in Parmenides’ Poem, Arnaud Macé 42
Diakosmêsis, Malcolm Schofield 62
Aristotle on Kosmos and Kosmoi Monte Ransome Johnson 74
Order and Orderliness: The Myth of ‘Inner Beauty’ in Plato, George Boys-Stones 108
Polis as Kosmos in Plato’s Laws, Luc Brisson 122
Relating to the World, Encountering the Other: Plotinus on Cosmic and Human Action, Pauliina Remes 142
Tradition and Innovation in the Kosmos –Polis Analogy, Carol Atack 164
Cosmic Choruses: Metaphor and Performance, Renaud Gagné 188
All the World’s a Stage: Contemplatio Mundi in Roman Theatre, Robert Germany 212
The Architectural Representation of the Kosmos from Varro to Hadrian, Gilles Sauron 232
“The Deep-Sticking Boundary Stone”: Cosmology, Sublimity and Knowledge in Lucretius’ De Rerum Natura and Seneca’s Naturales Quaestiones, W. H. Shearin 247
Cosmic Spiritualism among the Pythagoreans, Stoics, Jews and Early Christians, Phillip Sidney Horky 270
Afterword, Victoria Wohl 295

Bibliography 304
Index Locorum 333
General Index 343

Notes

1. Cette influence de la doxographie dans la lecture que la tradition fit de la pensée pythagoricienne semble relever d’un fait déjà bien connu. J’en veux pour preuve le chapitre XII du roman érudit et spéculatif de Thomas Mann, Doktor Faustus (1947), où le narrateur fait état des premiers cours de philosophie qu’il suivit à Halle en compagnie de son ami Adrian Leverkühn. Ces cours portaient, nous dit-il, sur les présocratiques, philosophes de la nature, en particulier Anaximandre et Pythagore, avec une grande part d’inspiration aristotélicienne, le Stagirite étant le seul à nous renseigner sur l’explication pythagoricienne du monde. Il est certain que la critique aristotélicienne est la première étape incontournable de toute lecture doxographique.

2. G. Verberke, L’évolution de la doctrine du pneuma du Stoïcisme à saint Augustin, Greek & Roman Philosophy, vol. 43, Garland, New-York-London, 1987 2 (1 ère éd. Paris-Louvain, 1945).

3. Je renvoie au compte-rendu acéré et très critique qui en avait été fait par H.-I. Marrou, L’Antiquité classique, 1945, 14.2, p. 415-418.