BMCR 2017.07.49

Brill’s Companion to the Reception of Senecan Tragedy: Scholarly, Theatrical and Literary Receptions. Brill’s companions to classical reception, 5

, Brill's Companion to the Reception of Senecan Tragedy: Scholarly, Theatrical and Literary Receptions. Brill's companions to classical reception, 5. Leiden; Boston: Brill, 2016. xii, 332. ISBN 9789004266469. $163.00.

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Ce volume, appartenant à la série des Brill’s Companions consacrés à la réception de l’Antiquité classique, étudie celle de la tragédie sénéquienne d’un triple point de vue : réceptions scolaire, théâtrale et littéraire. Il complète deux volumes précédents, les Brill’s Companion to Seneca (2014) et Brill’s Companion to Roman Tragedy (2015), où les études abordaient de façon classique, respectivement, la vie et les œuvres du philosophe et du dramaturge ; la tragédie sous la République, l’Empire, et au-delà de l’Antiquité, avec trois chapitres consacrés à la réception de la tragédie sénéquienne, vue par Schlegel, Shelley, T.S. Eliot, ou adaptée par Hugo Claus.

Ici la perspective est élargie dans le temps, dans l’espace et dans les méthodes, car les contributions partent de la réception des tragédies de Sénèque dans l’Antiquité même pour aller jusqu’à notre dernière décennie ; elles sont écrites par des spécialistes d’horizons disciplinaires et géographiques (quoique le tout soit en anglais) variés. La cohérence du volume est assurée par le sujet même et par l’organisation choisie : la première partie est consacrée à l’Antiquité, la deuxième à la Renaissance et à la première Modernité, avec des chapitres traitant de la réception de la tragédie de Sénèque pays par pays, la troisième et dernière partie étant réservée aux temps modernes. Cette composition, marquée par un saut séparant Antiquité et Renaissance, reflète le fait majeur de l’histoire des tragédies de Sénèque : tombées dans l’oubli dans l’Antiquité tardive, elles sont redécouvertes quand un manuscrit du XI e s. (le fameux Etruscus) contenant neuf tragédies est exhumé en Italie par Lovato de’Lovati au XIII e s. (il meurt en 1309). Si les XIII et XIV e s. sont cruciaux pour leur histoire avec l’apparition des premiers commentaires, comme le montre G. Guastella, si les XIV et XV e s. sont également des jalons importants (T. M. Romero), l’intérêt que les tragédies suscitent et l’influence qu’elles exercent sont à leur apogée aux XVI et XVII e s., ce qui mérite que quatre spécialistes s’y attardent.

L’ouvrage offre ainsi une synthèse très commode des principaux aspects de la question (philosophiques, politiques, littéraires, poétiques, génériques, traductologiques, scéniques), à l’heure où Sénèque intéresse non plus seulement les antiquisants mais les comparatistes, les spécialistes des reception studies et des arts du spectacle. Il a le mérite de reposer les uexatae questiones qui ont fait couler tant d’encre (rapport entre œuvre dramatique et œuvre philosophique de Sénèque : voir C. Star ; représentabilité des tragédies : voir notamment J. Harst, J. Winston et R. Remshardt) en en proposant des bilans bibliographiques, méthodiques et scientifiques achevés. Il est cependant une question qui aurait parfaitement trouvé sa place ici et aurait bien mérité un point définitif (pour compléter l’exposé sommaire de C. Star), celle du nom de Sénèque et des nombreuses identités que les savants ont mis derrière durant des siècles, dans la mesure où cette question a rejailli sur l’attribution des tragédies, ensemble ou séparément. Une autre de ses originalités est d’ouvrir, dans la dernière contribution (S. McElduff), sur les années à venir, signe que la réception de ces tragédies est un sujet qui ne sera pas épuisé avec ce guide, ce dont on ne peut que se réjouir.

L’introduction de l’éditeur scientifique du volume, Eric Dodson-Robinson, replace l’objet du Companion dans le contexte des Reception Studies, est l’occasion de proposer une bibliographie critique, et aborde pour commencer la question de l’intérieur : il s’agit de voir comment Sénèque dessine lui-même la tradition et la réception de ses tragédies via ses prologues métadramatiques. L’auteur, proposant de voir cette réception comme agonistique, s’appuie sur les théories de narratologie, d’herméneutique, et même de métaphysique pour approfondir sa description de la réception des tragédies. Passant par une comparaison de Sénèque avec Shakespeare (son auteur de prédilection, traité dans une contribution séparée de P. Gray dans le volume, sur le thème de la dignité humaine, abordé à travers le lexique de la dignitas et surtout de l’ imperium sui) et Racine, il en conclue que Sénèque est pertinent pour notre temps, et surtout que le texte, fort de son autonomie, échappe à son auteur et dure bien sûr plus que lui.

Les contributions de la première partie traitent de la réception des tragédies dans l’Antiquité. Christopher Trinacty traite la réception de Sénèque par Sénèque lui-même, à partir des Lettres; également, de façon plus originale, de l’ Apocoloquintose, qu’il propose de voir comme un guide pour comprendre la réception des sources de Sénèque ; enfin des tragédies, où il choisit d’étudier l’intertextualité avec Horace, ce qui demandait à être fait. Les premières sections brossent à grands traits des caractéristiques bien connues (intertextualité philosophique, rhétorique, grecque et romaine). Les passages sur l’intertextualité ovidienne et horatienne sont rapides mais très suggestifs, tout comme la piste d’un « excès intertextuel », ouverte par le fameux article d’A.J. Boyle.1 C. Star reprend le dossier des liens entre Sénèque le tragique et le Stoïcisme, tout en posant en termes nouveaux le problème : pourquoi n’y a-t-il pas consensus ? comment a-t-on envisagé ces rapports ? comment peut-on et doit-on le faire ? La réponse, convaincante, tient en la nature de ces textes : multivalente, avec des points de vue et des priorités variables. La démonstration pourra s’enrichir de références qui étayent le propos de l’auteur.2 Quant à Peter J. Davis, il soulève la question de l’impact immédiat des tragédies sur la littérature flavienne, à travers l’examen de trois œuvres (la Thébaïde, les Argonautiques et Octavie), dans lesquelles il montre, respectivement, des échos thématiques et structuraux ; des situations analogues ; des épisodes, champs lexicaux et structures comparables. La conclusion synthétise efficacement le poids respectif de telle tragédie ( Thyeste, Médée, Œdipe, les Phéniciennes) sur ces œuvres poétiques qui en ont chacune fait un usage particulier.

La deuxième partie s’ouvre sur l’article fondamental de G. Guastella, qui retrace l’histoire des tragédies comme le fruit d’une longue gestation : histoire des manuscrits, « oubli » des tragédies et redécouverte, premières analyses métriques (Lovato), premières imitations (Mussato), premiers commentaires (Trevet). Autant de jalons qui marqueront durablement les humanistes, tant pour les méthodes que pour le sens (philosophique, dramaturgique) qu’ils ont assigné aux tragédies. T. M. Romero enchaîne sur la réception de Sénèque en Aragon et en Castille aux XIV et XV e s. en conjuguant généralités (comme sur la réception manuscrite) et applications pratiques. Il présente successivement les cas de traduction et de réception en catalan et en castillan et précise les types d’opérations subies par les tragédies (emprunts, traductions, redéploiements de situations et de thèmes) que l’on retrouve chez tels écrivains et dans telles œuvres. La Celestina, traitée en fin d’article, est un exemple passionnant qu’on aimerait voir développé. La conclusion, sur l’influence de Sénèque sur la comedia et de la tragicomedia ne peut être pleinement appréciée que si l’on connaît les spécificités de ces genres dramatiques en Espagne. Le volumineux article de F. De Caigny, élaboré à partir de sa non moins copieuse somme,3 présente la réception de Sénèque en France en fonction de trois grandes phases (1550-1610 ; 1610-1645 avec le tournant critique des années 1634-35 ; fin du XVII e s.). Cette périodisation permet une grande précision, mais perd parfois le lecteur dans une accumulation de remarques très détaillées, alors que sont régulièrement examinées les composantes dramatiques (action, personnages, style, structure). Sont néanmoins dessinés trois mouvements nets. Durant la première période d’étude, la question qui se pose est celle du mode d’appropriation de Sénèque le Tragique : imitation ou traduction ? Cette question débouche sur une typologie claire permettant de situer les essais des divers auteurs français sur une échelle allant de la fidélité assez stricte à la grande liberté par rapport au modèle. Quand celui-ci est remis en question, à l’époque suivante, l’auteur observe une tension entre continuité et rupture : Sénèque demeure présent, mais les sujets dramatiques et les débats théoriques évoluent (vers une réflexion sur la structure, avec la question des trois unités ; vers une critique du style sénéquien). Enfin, dans la dernière phase, c’est la problématique de la traduction qui occupe et ouvre les pièces sur un nouveau public (élargi), sur de nouveaux sujets (l’amour) et sur de nouveaux types de personnages (affadis). Chez J. Harst et J. Winston, la réception scénique est traitée conjointement avec, respectivement, l’usage scolaire et les traductions de Sénèque. Le premier se centre sur l’Allemagne et les Pays-Bas, mais ses réflexions, bien que nourries de focus sur Lipse et des passages clefs de Sénèque, valent pour une aire géographique plus large (théâtralité interne des tragédies ; rapports, dans les commentaires, entre philosophie et philologie et entre rhétorique et poétique). La dernière partie, sur la présence de Sénèque dans le Trauerspiel, s’appuie efficacement sur les préliminaires méthodiques et implique, comme pour les comedia et tragicomedia, que l’on connaisse bien cette forme dramatique pour vérifier la pertinence du rapprochement. La seconde fait de l’Angleterre son terrain d’investigation et développe thématiquement les modes de transmission et de traduction des tragédies, la présence de l’‘English Seneca’ dans la culture anglaise de la première modernité, étudie précisément quelques passages pour souligner les effets de traduction ou d’adaptation, et termine sur une bibliographie critique récente et utile.

La dernière partie, sur laquelle nous passerons rapidement faute de place, est une invitation à exploiter la riche matière d’un Sénèque présenté par presque tous les contributeurs comme pertinent pour notre Modernité. L’intérêt de H. Slaney est de ne pas se limiter aux atrocités des tragédies mais d’étudier finement comment Sénèque est, dans le courant gothique, ressource stylistique ou intertexte fonctionnel et activé. F. Citti, R. Remshardt et S. McElduff se consacrent aux réceptions récentes de Sénèque, non seulement sur scène mais dans les autres arts et medias, et révèlent une présence de Sénèque parfois inattendue.

Nous saluerons la clarté de la présentation ainsi que le soin apporté à l’orthographe et à la ponctuation, tel que nous n’avons relevé aucune coquille. Il est une seule image, p. 234, qui illustre l’incarnation de Richard III par l’acteur Edmund Kean dans une mise en scène du XVIII e s., ce qui nous fait déplorer l’absence d’une telle illustration p. 95 pour la miniature illustrant un codex du XIII e s. que décrit G. Guastella. L’index final cumule les entrées par noms propres (auteurs anciens et modernes, personnages mythiques), notions, et titres des œuvres, ce qui a l’avantage de condenser la matière mais l’inconvénient de mêler des entrées diverses qu’on a plutôt tendance à consulter séparément. Nous regretterons l’absence de bibliographie générale, à côté des bibliographies partielles de chacun. Dans des bibliographies, il est curieux de trouver les sources mélangées aux études secondaires et déroutant de lire seulement les dates d’éditions modernes pour des textes des siècles précédents. Une conclusion qui aurait comparé la réception des tragédies entre les divers pays, qui aurait tracé de grandes lignes d’évolution à partir des contributions, aurait été appréciable. À tout le moins, il y aurait pu avoir des renvois internes entre les contributions, par exemple à propos du traducteur Hughes, de la question des Sénèque(s), de l’intertextualité, dont il est question plusieurs fois et dont la présence dans l’index ne suffit pas pour élaborer une véritable synthèse.

Ces menues réserves ne diminuent en rien la valeur du volume, qui devient un précieux outil de référence pour tous ceux qui s’intéressent à l’histoire des tragédies et du théâtre latin en général, à la diffusion de Sénèque, à la circulation des idées et des formes artistiques antiques du Moyen-Âge à nos jours.

Table of Contents

List of Contributors
1 Introduction, Eric Dodson-Robinson
Part 1 – Antiquity
2 Imago res mortua est : Senecan Intertextuality, Christopher Trinacty
3 Seneca Tragicus and Stoicism, Christopher Star
4 Senecan Tragedy and the Politics of Flavian Literature, Peter J. Davis
Part 2 – Renaissance and Early Modern
5 Seneca Rediscovered: Recovery of Texts, Reinvention of a Genre, Gianni Guastella
6 The Reception of Seneca in the Crowns of Aragon and Castile in the Fourteenth and Fifteenth Centuries 101, Tomas Martinez Romero
7 The Reception of the Tragedies of Seneca in the Sixteenth and Seventeenth Centuries in France, Florence de Caigny, Translated by Eric Dodson-Robinson
8 Germany and the Netherlands: Tragic Seneca in Scholarship and on Stage, Joachim Harst
9 Early ‘English Seneca’: From ‘Coterie’ Translations to the Popular Stage, Jessica Winston
10 Shakespeare vs. Seneca: Competing Visions of Human Dignity, Patrick Gray
Part 3 – Seneca in the Modern Age and Beyond
11 Senecan Gothic, Helen Slaney
12 Nineteenth- and Early Twentieth-Century Receptions of Seneca Tragicus, Francesco Citti
13 Seneca Our Contemporary: The Modern Theatrical Reception of Senecan Tragedy, Ralf Remshardt
14 Rereading Seneca: The Twenty-First Century and Beyond, Siobhan McElduff
Index

Notes

1. Boyle A.J. (1987) « Senecan tragedy : twelve propositions », Ramus, 16, p. 78-101.

2. Mader G. (1997) « Duplex nefas, ferus spectator : Spectacle and Spectator in Act 5 of Seneca’s Troades », Latomus, 239, Studies in Latin Literature and Roman History, VIII ; et Aygon J.-P. (2016) Vt scaena, sic vita. Mises en scène et dévoilement dans les œuvres philosophiques et dramatiques de Sénèque, Paris, De Boccard (qui n’a sans doute pu être consulté).

3. de Caigny de F. (2011) Sénèque le Tragique en France (XVIe-XVIIe siècles), Paris, Classiques Garnier, Bibliothèque de la Renaissance, 3. ​