BMCR 2017.03.51

Boiotia in Antiquity: Selected Papers

, Boiotia in Antiquity: Selected Papers. Cambridge: Cambridge University Press, 2016. xxi, 440. ISBN 9781107053243. $135.00.

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L’aboutissement d’une longue et prolifique carrière de chercheur ; c’est bien cela que l’on a en tête lorsqu’on manipule ce volume de plus de 400 pages ! Albert Schachter, Professeur émérite de Classics à l’Université McGill (Montréal) et auteur d’un ouvrage désormais classique, Cults of Boiotia, n’a cessé de publier et d’œuvrer pour la recherche béotienne, comme en témoigne aujourd’hui encore son rôle d’éditeur de la revue électronique de recensions bibliographiques et historiographiques Teiresias. Accédant à la requête de Hans Beck, A. Schachter livre ici une sélection de 23 articles traitant tous de la Béotie dans l’Antiquité, dans une perspective diachronique qui nous conduit de l’époque mycénienne jusqu’à la période romaine.

Si ce volume ne contient aucun élément inédit (à l’exception des articles 4 et 7), la réunion d’articles rédigés entre 1985 et 2010 en une somme aussi longue est un événement important pour l’histoire de la Béotie. L’auteur ne s’est pas contenté de reproduire les articles dans leur état originel ; il s’est en effet efforcé d’en proposer une vision réactualisée, notamment sur les questions du dialecte ou de la monnaie (no. 3), et tenant compte des remarques qu’ils avaient pu soulever. Ce volume, dont on saluera la cohérence interne et la lecture agréable malgré son épaisseur, facilité par l’usage d’un style clair et dépourvu de tout jargon inutile, permet de remédier au moins partiellement au faible nombre de monographies consacrées à cette région majeure de Grèce.

Les articles sélectionnés par l’auteur s’articulent autour de cinq axes thématiques, assez déséquilibrés et à la catégorisation peu convaincante, tant certains auraient pu être placés dans une autre partie sans que cela ne change en quoi que ce soit le propos de l’ouvrage. Le volume fait ainsi la part belle à l’histoire (parties II et III) ainsi qu’aux cultes de la Béotie (partie VI) – cela n’étonnera guère ! – mais propose également une étude très succincte des institutions béotiennes (partie IV) ainsi que de la littérature régionale (partie V). Une préface, une carte, une abondante bibliographie ainsi que des index reprenant les sources, les noms propres, la toponymie et les thèmes complètent ce volume. L’absence de liste systématique recensant tous les travaux et ouvrages publiés par A. en paraît d’autant plus curieuse. Bien entendu, le choix de publications de cette sélection induit d’inévitables recoupements entre les articles, mais cela n’est guère gênant pour le lecteur qui, loin de déplorer les redondances, saluera tant le travail du maître qui établit de fréquents rappels que la cohérence interne à l’ouvrage permise par ces renvois. Signalons un regret d’emblée : l’unique carte présentée au début de l’ouvrage – non datée – ne permet pas toujours de se représenter clairement les espaces et sanctuaires étudiés ; on aurait ainsi souhaité pouvoir mesurer l’évolution de la géographie politique béotienne aux époques examinées. Le thème de la création de l’ ethnos des Béotiens, qui forme l’unique article de la partie introductive, permet à l’auteur de présenter les deux thèmes de prédilection de l’ouvrage : la religion – le système cultuel béotien étant frappé de particularités auxquelles l’auteur aura dévolu une bonne partie de sa vie – et les institutions béotiennes. Pour l’auteur, c’est la conjonction de ces deux éléments qui, avec un dialecte commun, a permis la constitution de l’ ethnos béotien au cours de l’époque archaïque. Si Schachter insiste tout particulièrement sur l’activité cultuelle – soulignons à ce point qu’il a été l’un des premiers à s’intéresser au rôle majeur joué par la religion dans la formation du koinon – il délaisse volontairement les mythes locaux, pourtant facteurs d’unité fédérale (no. 1, 1996).1

La deuxième partie comprend sept articles qui viennent illustrer toutes les périodes de l’histoire de la Béotie. Après avoir tenté de montrer qu’il existait des fondements historiques à la légende de Kadmos comme fondateur de Thèbes dès l’âge du Bronze (no. 2, 1985), l’auteur s’attache à décrire le paysage civique de la Béotie archaïque (no. 3, 1989), avant de proposer un examen très stimulant de l’existence d’une forme de gouvernement pambéotien archaïque – fragile union sans doute soumise à la coercition thébaine, ne reposant sur aucun fondement ethnique et qui aurait préexisté à l’institution fédérale d’époque classique connue grâce à un papyrus d’Oxyrhynchos (no. 4, 2010). Cette source permet de faire le lien avec l’article suivant, centré sur la vie politique de la Cité aux Sept Portes à l’époque classique, en proie aux luttes de pouvoir entre la faction d’Eurymachos et Léontiadès et celle d’Isménias (no. 5, 2004). L’auteur prend soin cependant de ne pas laisser Thèbes monopoliser toute l’attention ; ainsi la cité de Tanagra bénéficie-t-elle également d’un traitement privilégié. L’auteur présente en effet dans l’article no. 6 (2004) le contexte géographique et historique de la cité grâce à une analyse méticuleuse de sources variées, qui a permis d’établir un support d’étude et de comparaison pour les résultats des prospections de Leiden-Ljubljana récemment menées à Tanagra. Le tropisme thébain est de nouveau perceptible dans l’article suivant qui évoque le sort mouvementé de Thèbes entre la bataille de Mantinée en 362 avant J.-C. et sa destruction par Alexandre le Grand en 335 avant notre ère (no. 7, 2005). Cette partie historique s’achève avec l’étude de l’œuvre et du parcours du Périégète, qui donne à l’auteur l’occasion de proposer une description de la Béotie d’époque impériale. Loin de l’image déclinante d’un ethnos sous domination romaine, on assiste au contraire à un regain d’intérêt pour le passé glorieux de cette région, où s’est même reformé un nouveau koinon, sans prétention politique néanmoins (no. 8, 2008).2

La troisième partie, très courte puisqu’elle ne comprend que deux articles, rompt l’isolat propre au genre monographique en resituant la Béotie au cœur d’un réseau cultuel plus vaste, transcendant les frontières régionales. Ainsi, les dédicaces des Athéniens Alcméonidès et Hipparque au sanctuaire oraculaire du Ptoion (Akraiphia) au VI e siècle avant J.-C. donnent à l’auteur l’occasion d’affirmer que l’ethnique dans les inscriptions d’époques archaïque et classique ne saurait permettre d’identifier la cité à laquelle appartient un sanctuaire (no. 9, 1994). L’article suivant pose l’hypothèse (contestée par Flower et Marincola) selon laquelle les Klytiadai, famille de devins d’Olympie, n’auraient guère commencé à exercer cette charge avant le renouveau de l’activité cultuelle à Olympie, encouragée par Auguste (no. 10, 2000).

La quatrième partie s’ouvre avec un article bien plus ambitieux que le titre ne le laisse présager puisqu’il vise à montrer le rôle de la religion comme moyen d’élaboration de l’identité fédérale béotienne, voire comme instrument de domination politique à certaines époques, de l’Age du Bronze jusqu’à la période romaine (no. 11, 1994). Les articles suivants permettent à l’auteur de montrer toute l’ampleur de son savoir-faire et de son érudition, en proposant une étude diachronique des corps d’élite militaire béotiens, qui ne sauraient se résumer au seul bataillon sacré thébain (no. 12, 2007), ainsi qu’une étude prosopographique de magistrats de la cité d’Akraiphia, donnant lieu à une nouvelle chronologie des charges exercées par ceux-ci au II e siècle avant J.-C. (no. 13, 2007).

Avec la cinquième partie, qui ne nécessitait pas de faire l’objet d’un découpage particulier, l’auteur souhaite redonner un nouveau souffle à ses hypothèses concernant l’élégie de Simonide sur Platées, qu’il interprète comme un élément de propagande pro-spartiate destiné à être joué devant la tombe d’Achille, à l’entrée de l’Hellespont, vers 478 avant J.-C. (no. 14, 1998). L’article suivant lui donne l’occasion d’exposer ses arguments pour une nouvelle datation des œuvres de la poétesse béotienne Corinne ainsi qu’une relecture du fragment 654, appréhendé comme un poème à la gloire de Thèbes et s’élevant contre Platées, au moment de l’hégémonie thébaine. Cette datation haute ne fait néanmoins plus l’unanimité (no. 15, 2005). Plus intéressant peut-être car moins connu : l’auteur livre enfin une étude de l’influence exercée par la Béotie dans les œuvres d’Ovide et des liens entretenus entre les amis du poète et cette région (no. 16, 1990).

La sixième partie constitue l’élément le plus attendu de l’ouvrage, et sûrement le plus abouti. L’auteur y renoue avec son intérêt pour les cultes grâce à sept études qui balayent tout le territoire béotien. Après avoir cherché à montrer l’évolution et l’adaptation de la fête des Daphnephoria à Thèbes au fil des siècles grâce à un examen minutieux des sources littéraires à disposition (no. 17, 2000), l’auteur livre ses réflexions sur une liste d’offrandes ( SEG 43. 212) gravée sur la même stèle que deux décrets de réponse d’un oracle ordonnant de déplacer le sanctuaire dit de Déméter et Koré dans la cité de Tanagra, qu’il attribue en définitive à Artémis au regard des nombreuses similarités avec des listes trouvées à Brauron – et non aux deux déesses, comme le veut l’opinio communis (no. 18, 1996). Si la façon dont les cultes égyptiens ont été intégrés aux cultes béotiens, dans un processus syncrétique qui semble réservé à une certaine élite, fait l’objet d’une étude cité par cité (no. 19, 2007), le sanctuaire thébain des Cabires bénéficie d’une attention particulière qui permet d’observer son évolution (no. 20, 2003). L’auteur propose ensuite, au regard des publications des Inscriptions de Thespies qui ont permis de revoir la datation de certains documents, un nouvel examen du dossier des Mouseia de Thespies, concours thymélique et triétérique devenu stéphanite puis pentétérique (no. 21, 2011). A l’étude d’un culte typiquement béotien laissé un peu en marge, celui de Tilphossa (no. 22, 1990), succède pour clore la réflexion un article sur ce qui constitue sans nul doute l’oracle béotien le plus intrigant : Trophonios de Lébadée. L’identité du Locrien Kalliklidas, consultant de l’oracle trophoniaque vers 230-225 avant J.-C. mentionné dans IG VII 4136, est analysée par A. Schachter comme celle d’un agent cultuel de la Confédération béotienne, autrement dit d’un magistrat du culte, et non d’un simple particulier (no. 23, 1984).

Malgré tout l’intérêt de ce volume, il aurait été souhaitable que l’auteur, conformément à son souhait initial de mise à jour des articles et des idées, rafraichisse de façon plus systématique ses propos grâce à une rapide mise au point historiographique et bibliographique au moyen de quelques phrases additives en fin d’article, comme il le fait pour les no. 15 ou 19. Il aurait été souhaitable, en outre, que l’auteur insiste davantage dans ses articles les plus récents sur les renouveaux historiographiques concernant les questions d’ethnicité, d’ethnogenèse et d’identité des Béotiens, dont la région a non seulement largement bénéficié depuis les années 1990, mais pour lesquels elle a également fait figure de précurseur. On aurait également aimé que la religion – thème pourtant majeur de ce volume et spécialité d’A. Schachter- soit davantage appréhendée comme un élément primordial du processus d’élaboration du koinon béotien. Des ouvrages désormais essentiels pour quiconque travaille sur cette région, à l’instar de celui de B. Kowalzig pour la Béotie archaïque ou d’E. Mackil pour la création du régime fédéral béotien,3 qui insistent tous deux sur le rôle des rites comme des mythes, auraient enfin pu faire l’objet d’une exploitation plus intensive, comme c’était attendu en introduction. Ces quelques points ne doivent pas cacher les qualités de cet ouvrage, qui montre bien l’ampleur du travail réalisé par A. Schachter tout au long de sa carrière universitaire et met en avant la vitalité même des études béotiennes, lesquelles lui doivent décidément beaucoup.

Notes

1. Ce point a été notamment travaillé par B. Kowalzig (2007) : Singing for the Gods : Performances of Myth and Ritual in Archaic and Classical Greece, Oxford, selon qui les mythes et les rites fonctionnent ensemble et ont interagi dans la constitution de l’ ethnos béotien.

2. Cet article évoque l’ouvrage de S. Alcock, J. Cherry et J. Elsner (2001) : Pausanias : Travel and Memory in Roman Greece, New York, qui n’apparaît étonnamment pas dans la bibliographie, et qui insiste sur la définition forgée par le Périégète d’une identité grecque à la fois passée et présente.

3. E. Mackil (2013) : Creating a Common Polity. Religion, Economy, and Politics in the Making of the Greek Koinon, Berkeley.