BMCR 2014.05.60

Women and the Roman City in the Latin West. Mnemosyne Supplements. History and Archaeology of Classical Antiquity, 360

, , Women and the Roman City in the Latin West. Mnemosyne Supplements. History and Archaeology of Classical Antiquity, 360. Leiden; Boston: Brill, 2013. xxii, 408. ISBN 9789004255944. $180.00 (hb).

Table of Contents

Présentés à l’origine sous la forme de conférences et de posters lors d’une réunion scientifique qui eut lieu à Amsterdam à la mi-décembre 2011, les essays (cf. p. 1) rassemblés dans ce volume, au nombre de 19, traitent, chacun à leur façon et en claire allusion à l’ouvrage devenu classique de R. van Bremen,1 des « limites » de la participation des femmes dans les sociétés civiques dans l’Occident romain, à l’exclusion de la ville de Rome, entre la fin de l’époque républicaine et le Haut-Empire. Examiné sous l’angle de la multidisciplinarité, l’objectif est donc de participer à une approche intégrée de l’étude de la société urbaine romaine et de celle des femmes, qui ne formèrent jamais un monde à part, car elles constituaient un élément important au sein de leurs propres familles. Pour ce faire, les éditeurs se proposent donc d’examiner à la fois les collectivités locales romaines du point de vue des femmes et du genre, tout en les étudiant au sein de leur contexte social et civique, afin de contribuer à terme à une histoire sociale gendered des femmes. C’est la raison pour laquelle le livre se trouve divisé en cinq parties, dont certaines totalement innovantes, comme nous aurons l’occasion de nous en apercevoir.

La première contribution de la section liminaire, « Civic Roles » (p. 7-106), rédigée par Francesca Cenerini, s’intéresse aux termes mater et parens, tels qu’attribués au II e s. pour qualifier ou créer des relations institutionnelles entre des femmes et des colonies ou des municipes, mais dont l’interprétation est malaisée (p. 9-22). Inspirées de modèles fournis par les représentantes de la famille impériale et couplées à l’implication des dames issues des notabilités locales élues flaminiques voire au besoin de certaines collectivités d’honorer leurs bienfaitrices, ces appellations doivent éventuellement être mises en relation avec la création contemporaine des fondations alimentaires.

Alison Cooley, quant à elle, examine les mécanismes grâce auxquels a été rendue possible l’intégration des femmes, clairement visible au II e s. de notre ère, dans l’espace public et la vie municipale, en tant que flaminiques, bienfaitrices ou patronnes de collectivités, sans toutefois devenir magistrates (p. 23-46). Si l’époque d’Auguste constitue la période charnière, le rôle des princesses de la famille impériale n’est pas à négliger, sans qu’on ne puisse nier non plus la part active prise par les dames issues des élites locales dans ce processus.

Pour sa part, Werner Eck s’interroge sur la présence des femmes dans les inscriptions ainsi que sur la représentativité des sources, qui ne reflètent pas un portrait fidèle de la société romaine dans son ensemble, d’autant plus que ses diverses composantes ne s’exprimèrent pas toutes épigraphiquement (p. 47-63). Rien de surprenant, écrit-il, si, à l’une des quelques exemples qu’il a tirés de diverses cités italiennes, telles qu’Assise ou Terracina, les témoignages relatifs aux femmes sont si peu nombreux, puisque celles-ci apparaissaient rarement en public, même si dans le même temps on ne peut nier l’existence de variations locales quant au nombre d’attestations de dames conservées sur pierre.

Ensuite, Emily Hemelrijk aborde la question de la munificence civique au féminin, entendue ici comme une généreuse donation faite par une femme seule ou avec un autre donateur à une cité (p. 65-84). Il s’avère, sur la base des 363 cas étudiés, chronologiquement, géographiquement et numériquement plus circonscrits que ceux de leurs pères, maris, etc., que les bienfaits accordés par ces dames comptaient parmi les plus onéreux, quand ils n’étaient pas les plus élevés de leur région. Indépendamment du type d’édifices financés, ces interventions en public contribuaient à intégrer ces femmes exemplaires, dont on recherchait les faveurs, dans la société locale et dont la dignitas rejaillissait immanquablement sur leurs proches susceptibles d’exercer les honneurs.

C’est d’un thème proche que s’occupe Christian Witschel : la présence monumentale des femmes sur des inscriptions et des statues érigées sur les places publiques de Thamugadi et Cuicul (p. 85-106). L’auteur se décide toutefois, compte tenu de la masse documentaire (environ 600 inscriptions par cité), à examiner l’ensemble de la société de Thamugadi, mais, dans le cas de Cuicul, à ne prendre en considération que les monuments avec leurs inscriptions situés sur les espaces publics. Il en résulte que, dans un contexte public, bien que présentes activement, les femmes, membres de l’élite, n’en restaient pas moins marginalisées et leurs actions restaient toujours liées à celles des hommes de leur entourage.

La religion est au cœur de la deuxième section, « Participation in Cult » (p. 107-168), qui s’ouvre avec l’article de John North qui, en étudiant la question du point de vue des cultes de Mithra, Isis et Attis, avec une analyse de leurs critères d’admission et de leurs mythes, soutient, sans nier une convergence au fil du temps, l’existence d’une certaine compétition entre eux, à laquelle a pu contribuer leur attitude et leur ouverture vis-à-vis des femmes (p. 109-127).

Dans quelle mesure des femmes furent-elles habilitées à célébrer un sacrifice d’un animal, est la question qu’entend tirer au clair James Rives (p. 129-146). Si le fait est avéré, il démontre, sur la base d’une documentation peu explicite, qu’en de rares occasions ce furent en tant que prêtresses et/ou bienfaitrices (cf. banquets) qu’elles présidèrent à un sacrifice, en rappelant également fort à propos cette règle méthodologique d’autant plus criante dans le cas du thème central de l’ouvrage, selon laquelle l’absence de preuve n’est pas une preuve d’absence (p. 144).

Pour clôturer la deuxième partie, Wolfgang Spickermann revient sur la participation des femmes au culte de Magna Mater, aux multiples aspects (cultuels, onomastiques ou iconographiques) (p. 147-168). Il conclut en affirmant qu’en dépit de participer aux cérémonies ou d’en financer temples et autels, elles n’en restaient pas moins condamnées à occuper une place secondaire, jusqu’au III e s. au moins, quand des femmes semblent avoir pris une part active dans le rituel de castration, comme le révèlent deux autels à la chronologie proche.

Intitulée « Public Representation » (p. 169-268), la troisième section s’attache aux représentations figurées et iconographiques. Sont ainsi traitées les différences pouvant exister entre les six types de statues drapées érigées dans un contexte honorifique et funéraire, par Glenys Davies (p. 171-199). Se fondant sur les observations d’Elizabeth P. Forbis2 qui avait remarqué l’existence de formulaires épigraphiques distincts quand il s’agissait de louer les vertus dans un hommage funéraire ou la générosité, quand l’hommage était public, l’auteur ne parvient pas à une conclusion claire, car il subsiste des variations en fonction de la géographie et de la chronologie. En d’autres termes, on ne peut pas toujours rattacher un type statuaire concret à une circonstance précise.

Centrée sur Délos entre les années 167/6 et le milieu du I er s. avant notre ère, la contribution de Sheila Dillon recense les représentations figurées de femmes avec leurs bases inscrites, dont le nombre augmente sensiblement après le passage de l’île sous domination athénienne (p. 201-223). Si les Grecques sont fort présentes, on ne peut en dire autant des Romaines : suite au sac de la cité par Mithridate en 88, l’activité honorifique y a décru considérablement, ce qui explique l’absence pratiquement complète de statues à la différence du reste du monde grec.

Menant une réflexion sur les vêtements portés par les femmes au quotidien, Mary Harlow revendique leur rôle dans l’espace public, où elles sont, sur ce point, laissées pour compte (p. 225-241). L’auteur évoque ainsi les codes vestimentaires ou encore des questions très concrètes comme le textile employé, avec les problèmes que cela pouvait poser, par exemple, pour leur mobilité.

Enfin, Ursula Rothe analyse les modes vestimentaires à Arlon (Gaule Belgique) et Flavia Solva (Norique), cités aux conditions socio-économiques similaires, où le genre est un facteur à prendre également en compte (p. 243-268). De fait, les femmes du Norique, telles des guardians of ethnicity, apparaissaient plutôt vêtues en habits « traditionnels », tandis qu’à Arlon elles se présentaient à la Romaine, sans doute parce que l’identité locale n’y paraissait pas menacée, comme elle semblait l’être à Flavia Solva.

Viennent ensuite les questions économiques, dans la quatrième section « Economics » (p. 269-347), avec tout d’abord Rebecca Flemming, qui traite de la pratique de la médecine et de l’accès à la culture médicale par les femmes ou bien au bénéfice de celles-ci, comme partie intégrante et consciente de la vie civique (p. 271-293).

De son côté, Miriam J. Groen-Vallinga s’intéresse à l’intégration des femmes dans le monde du travail, par le recours au concept d’ adaptive family economy qui lui permet de montrer que les femmes, de toutes catégories sociales, en dépit des sources et de gender bias, participaient à la vie économique, au même titre que les hommes, grâce à l’apprentissage d’un métier en famille, par héritage des affaires familiales ou par l’exercice d’une profession en rapport ou non avec celle du mari (p. 295-312).

En complément à l’article antérieur, Claire Holleran évoque la présence, sans nul doute sous-estimée, des femmes dans le commerce de détail, souvent une affaire de famille d’ailleurs, où ce furent les affranchies et les esclaves qui tenaient le haut du pavé (p. 313-330). Il faut donc les imaginer non seulement en train de vendre divers produits, seules ou en compagnie de proches parents, sur des étals ou des installations que l’archéologie identifie parfois avec peine, mais aussi comme clientes, ce qui ne requérait en fin de compte pas une grande formation intellectuelle ou technique, facilitant par là même leur accès au travail.

Pour finir, Coen van Galen cherche à savoir, sur la base du témoignage de Mallia Aemiliana, si des dames furent bénéficiaires des distributions de blé à Rome (p. 331-347). Bien que les preuves fassent défaut, il est possible que dès l’an 123 avant notre ère, lors de l’instauration du système par les Gracques, les femmes sui iuris aient figuré sur les listes, car rien n’indique a priori qu’elles en aient été exclues en raison de leur sexe.

Dans la dernière section, « Mobility» (p. 349-403), le thème, novateur, de la mobilité est mis à l’honneur. Greg Woolf, en guise d’ébauche sur cette thématique, essaie de déterminer s’il est possible de travailler sur la mobilité au féminin (p. 351-368). Que l’on se fonde sur les sources épigraphiques ou sur l’anthropologie physique, la prudence doit rester de mise, puisque seule une part infime des déplacements peut être identifiée. De fait, les femmes se déplaçaient avec nettement moins de fréquence, rarement sur de très longues distances, et généralement en famille, quand elles n’étaient pas des esclaves, ce qui restreint fortement notre perception du phénomène.

C’est à Vindolanda que nous emmène Elizabeth M. Greene qui nous relate la vie des femmes qui y avait accompagné leurs époux, commandants des unités auxiliaires cantonnées à la frontière septentrionale de l’Empire (p. 369-390). Grâce aux tablettes qui y furent mises au jour, l’auteur nous fait découvrir un monde féminin dans un contexte militaire, parallèle à celui de leurs proches, comme l’illustre p. ex. la correspondance entre Sulpicia Lepidina et Claudia Severa.

Enfin, Lien Foubert évoque les déplacements de deux matrones en Bretagne romaine, Vibia Pacata et Iulia Lucilla, dont nous ne connaissons qu’une brève séquence du trajet qui les menèrent jusqu’à cette province (p. 391-403). Son objectif est de cerner l’influence des voyages, aux motifs variés (raisons militaires, commerciales, religieuses ou familiales), sur l’identité publique des femmes et dans quelle mesure ces dernières ont joué un rôle actif dans la construction de cette identité.

En guise de conclusion, l’ouvrage dresse un tableau complet et tout en nuances de la place des dames dans les provinces occidentales de l’Empire. En effet, le volume offre d’utiles mises au point sur des sujets variés, qui constituent à eux seuls de nouvelles voies stimulantes de recherche. Le mérite des éditeurs est d’avoir su rassembler des études sur des thématiques diverses et originales, afin de nous dévoiler des pans entiers et parfois insoupçonnés de l’histoire des femmes, contribuant de ce fait à en faire à juste titre un livre de référence.

Notes

1. R. van Bremen, The Limits of Participation. Women and Civic Life in the Greek East in the Hellenistic and Roman Periods, Amsterdam, 1996 (J. C. Gieben, xii, 399 p.).

2. E. P. Forbis, Municipal Virtues in the Roman Empire. The Evidence of Italian Honorary Inscriptions, Stuttgart-Leipzig, 1996 (Teubner, vi, 299 p.).