BMCR 2012.08.35

Images of Woman and Child from the Bronze Age : Reconsidering Fertility, Maternity, and Gender in the Ancient World

, Images of Woman and Child from the Bronze Age : Reconsidering Fertility, Maternity, and Gender in the Ancient World. Cambridge; New York: Cambridge University Press, 2011. x, 384. ISBN 9780521193047. $95.00.

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L’ouvrage de Stephanie Lynn Budin s’inscrit dans le vaste mouvement de regain d’intérêt pour l’histoire de l’enfant dans l’Antiquité. Entamé depuis une quinzaine d’années, ce renouveau est alimenté par une approche pluridisciplinaire, croisant la relecture des textes avec l’étude de corpus iconographiques et de matériel archéologique, principalement funéraire, longtemps négligé ou peu accessible.1 La démarche est complexe, car l’étude des systèmes de représentation, qu’il s’agisse de rites funéraires ou d’iconographie, soulève de nombreuses questions méthodologiques. Si le sujet de l’identité et du statut de l’enfant aux époques archaïque et classique commence maintenant à être bien documenté,2 l’âge du bronze reste relativement méconnu. Stephanie L. Budin livre une étude ambitieuse qui entend combler cette lacune en se basant sur l’étude d’un motif particulier, la figure de mortels ou de divinités dits « kourotrophes », un nom qui désigne conventionnellement des femmes – ou des hommes – qui portent ou nourrissent un enfant, du 3e au 1er millénaire avant J.-C.3 L’espace géographique envisagé est vaste et comprend sept régions du bassin méditerranéen antique : l’Egypte, le Levant, l’Anatolie, la Mésopotamie, l’Iran, Chypre, le monde égéen (la Crète minoenne et la Grèce mycénienne). Le livre est organisé géographiquement, d’Est en Ouest, en partant de l’Egypte, qui offre le corpus d’images le plus abondant de l’ouvrage.

Les enjeux sont posés dans l’introduction : démontrer par l’étude d’un exemple qu’il n’existe pas d’icone universelle de la maternité, mais que derrière un motif similaire se déclinent des significations différentes selon les époques et les cultures. La figure de kourotrophos (qui n’est pas « almost inevitably female », comme l’affirme l’auteure p. 1, si on ne la limite pas la nourriture à l’allaitement) doit être replacée dans le contexte culturel qui l’a produite ; il aurait été utile d’inclure plus largement d’autres catégories de documents apparentés, comme les représentations de femmes enceintes, d’accouchements ou de divinités protectrices et nourricières comme le dieu Bès, afin d’appréhender dans sa globalité le phénomène de la maternité et de ses acteurs. L’intérêt du questionnement de Stephanie L. Budin est de rappeler que dans les cultures qui connaissent le recours aux nourrices, une femme allaitant un enfant n’est pas nécessairement sa mère, ni une personne apparentée, et que sa nudité n’a pas automatiquement de connotation érotique. L’auteur rappelle longuement la prégnance de la théorie de la « Grande déesse Mère » originelle, régnant sur la fécondité et la fertilité, au début du XXe siècle. Elle lui substitue une autre théorie, basée sur la distinction entre sexe biologique et genre culturel développée dans les années 1990 par les études sur le genre. Pour l’auteure, les figures kourotrophes renvoient au principe masculin qui seul détient le pouvoir reproducteur dans l’antiquité (p. 11-20). Au féminin revient d’une part l’érotisme qui suscite l’union fécondante, d’autre part le soin des enfants, rendu visible par l’allaitement. Le couple femme-enfant n’incarne donc pas la maternité idéale, à l’image de la Vierge à l’enfant, tandis qu’à l’inverse une « déesse-Mère » peut se passer de maternité (p. 32-34). Ce renversement provocateur a l’intérêt de mettre en jeu les a-prioris culturels modernes, mais il n’est pas exempt de raccourcis caricaturaux, notamment en faisant l’économie du discours biologique et médical antique qui appelle une définition beaucoup plus complexe de la participation féminine et masculine à la génération. 4 La notion de parenté, qui n’est pas synonyme de procréation, mais où le masculin effectivement domine,5 aurait pu apporter des clés d’interprétation à l’auteure qui la mentionne brièvement sans y recourir clairement (p. 338).

Le deuxième chapitre traite de l’iconographie égyptienne, découpée en grandes catégories organisées chronologiquement de l’époque prédynastique au Nouvel empire : Egyptian Decorum, Divine Wet Nurse, Parents and Nurses and Tutors, Potency Figurines, Ostraca and Wall paintings, Flasks, Male Kourotrophoi (iconographie publique, privée, religieuse, funéraire, objets utilitaires…), avec un accent marqué sur le Nouvel empire où la thématique est d’une grande diversité qu’il reste à expliquer. La conclusion du chapitre surprend le lecteur: « kourotrophism came well and naturally to the Egyptians » (p. 148), après la longue introduction théorique sur le genre rejetant précisément la notion de « nature ».

Le troisième chapitre concerne le Levant (Syrie, Palestine) et l’Anatolie. Les objets sont organisés par sites, puis matériaux (figurines ou plaques en argile, plomb, bronze, or, reliefs en pierre). L’auteure s’oppose à l’idée développée par Othmar Keel et Christophe Uelinger6 qu’il existe en Palestine une forme cananéenne de déesse nourricière (p. 171). Selon elle, les kourotrophes recensées sont des adaptations de motifs égyptiens, produites « under excessive influence from Egypt », comme elle le répète en conclusion (p. 347), qui ne livrent pas d’information sur la société levantine. Son enquête se conclut en répétant le principe posé en introduction : les kourotrophes féminines sont absentes car seul le masculin incarne le pouvoir générateur: « Human fertility was conceived of in male, rather than in female terms (…) the mother served as an incubator and nurturer of the child, but did not provide it with life » (p. 173). Le thème d’Eve pourvoyeuse de vie est pourtant bien attesté dans la Bible (Genèse 3 : 20 : « Mère de tout vivant ») et son iconographie documentée par Othmar Keel dans le catalogue de l’exposition L’Eternel féminin. Une face cachée du Dieu biblique (Musée d’art et d’histoire de Fribourg, 6 décembre 2007-6 avril 2008), Genève, 2007. Stephanie L. Budin clot sa démonstration sur une absence : « Perhaps, if we want to find icons of human fertility in the ancient Levant, we would better off looking at images of males », mais ces représentations font défaut …

La Mésopotamie et l’Iran constituent le quatrième chapitre, organisé à nouveau par catégorie et par période. Le corpus se compose principalement de sceaux-cylindres ainsi que de plaques en terres cuites provenant de contextes domestiques dont le répertoire comprend des personnages divins et protecteurs (Pazuzu, Kusariku…). Le motif de la kourotrophe, nue ou vêtue, allaitant ou non un enfant, pourrait représenter comme eux une divinité protégeant l’entrée de la maison.

Les chapitres 5 et 6 parties sur Chypre et le monde égéen sont les plus problématiques, en partie à cause du manque d’illustrations qui rend le propos difficile à suivre. Si le monde chypriote a livré de nombreuses figurations de kourotrophes en pierre et en terre cuite (sous l’influence de la religion levantine selon Stephanie L. Budin, p. 262), le monde minoen les rejette. Cette absence est attribuée à un refus volontaire (« active rejection » p. 328, 332) que l’auteure met en rapport avec une société dévalorisant le statut de mère. A l’époque mycénienne, seule une petite série de figurines en terre cuite montrent le couple femme (parfois allaitante).

La conclusion reprend les hypothèses proposées en introduction : pourquoi les images de kourotrophes sont-elles si rares à l’âge du bronze, à l’exception de l’Egypte qui aurait largement contribué à diffuser ce motif ? La raison tiendrait à l’ambivalence de ces différentes sociétés envers la maternité et le soin des enfants qui ne recevrait pas de reconnaissance sociale. La fécondité n’y est pas une prérogative féminine et le motif de la kourotrophe a d’abord servi à stimuler la capacité reproductrice des hommes (p. 342, 348).

Que penser de l’argument de l’absence de statut des mères ? S’agit-il vraiment d’occulter « an extensive involvement in the more grueling and even demeaning aspects of daily child care, those tasks worthy of gratitude but seldom rushed into with glee » (p. 337) ? D’autres logiques semblent être à l’œuvre. Ne pourrait-on pas chercher du côté de la lente émergence de l’iconographie de la sphère privée de manière générale ? Le déni de la fonction maternelle est contredit par les sources écrites. Dans l’ Iliade (22, 82-84), Hécube interpelle son fils adulte en évoquant la force des liens du lait : « Hector, mon enfant, aie respect de ce sein. Et de moi (…) qui t’ai jadis offert cette mamelle où s’oublient les soucis. » Déduire de l’absence de représentations l’absence de statut dans la réalité sociale est un choix qu’a pris Stephanie L. Budin en négligeant de prendre les précautions méthodologiques d’usage sur la fonction et le statut des images. Sa position est en outre desservie par des réflexions personnelles déplacées, telle cette curieuse appréciation de la capacité des divinités masculines à se reproduire (« Serves them right » ( ?), p. 13, note 36) ou le commentaire d’une citation sur la maternité, p. 326: « I have now met enough girls from age 12 to 14 who have had at least one full term pregnancy, that this line makes me want to laugh and cry at the same time. »

En conclusion, l’ouvrage de Stephanie L. Budin repose sur un volumineux corpus de documents relatifs aux figures de kourotrophe, insuffisamment illustré mais accompagné d’une riche bibliographie qui sera utile à un large public intéressé par les études sur le genre. Les hypothèses qu’elle propose ne sont toutefois pas abouties et le débat passionnant qu’elle soulève reste ouvert. L’ouvrage est donc à utiliser avec beaucoup de prudence et un esprit critique constant.

[For a response to this review by Jean-Fabrice Nardelli, please see BMCR 2012.10.16.]

Notes

1. Parmi les publications récentes, signalons Anne-Marie Guimier-Sorbets et Yvette Morizot (dir.), L’enfant et la mort dans l’Antiquité, I, Nouvelles recherches dans les nécropoles grecques : Le signalement des tombes d’enfants, Paris, 2010 ; Antoine Hermary et Céline Dubois (éds), L’enfant et la mort dans l’Antiquité III, Le matériel associé aux tombes d’enfants. Actes de la table ronde internationale organisée à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme (MMSH) d’Aix-en-Provence, 20-22 janvier 2011, Paris et Aix-en-Prove, Paris, 2012.

2. Sur l’iconographie grecque archaïque et classique, Marie-Claire Crelier, Kinder in Athen im gesellschaftlichen Wandel des 5. Jahrhunderts v. Chr. Eine archäologische Annäherung, Remshalden, 2008 ; Martina Seifert, Dazugehören. Kinder in griechischen Kulten und Festen: Bildanalysen zu attischen Sozialisationsstufen (6. bis 4. Jh.v.Chr.), Stuttgart, 2011.

3. Maia Pomadère, Les enfants dans le monde égéen du Néolithique au début de l’Âge du Fer, thèse inédite, Paris I, 2007 ; Susan Langdon, Art and Identity in Dark Age Greece, 1100-700 B.C.E, Cambridge, 2008.

4. Voir l’application large du terme dans Theodora Hadizisteliou-Price, Kourotrophos. Cults and Representations of the Greek Nursing Deities, Leiden, 1978.

5. Par exemple Jean-Baptiste Bonnard, Le complexe de Zeus. Représentations de la paternité en Grèce ancienne, Paris, 2004. Sur les ambivalences du lait en Egypte ancienne et à Rome, voir les articles de Cathie Spieser, « Les nourrices égyptiennes » et de Véronique Dasen, « Construire sa parenté parla nourriture à Rome » dans Véronique Dasen et Marie-Claire Gérard-Zai (dir.), Art de manger, art de vivre. Nourriture et société de l’Antiquité à nos jours, Gollion, 2012, 19-39 et 40-59. Pour le monde grec, Vinciane Pirenne, « Nourricières d’immortalité: Déméter, Héra et autres déesses en pays grec », in Véronique Pache et Véronique Dasen (dir.), Politics of Child Care in Historical Perspective. From the World of Wet Nurses to the Networks of Family Child Care Providers (Paedagogica Historica, 46: 6), 685-697.

6. P. ex. Alain Bresson et al., Parenté et société dans le monde grec de l’Antiquité à l’âge moderne, Paris- Bordeaux, 2006.

7. Othmar Keel and Christophe Uehlinger, Gods, Goddesses and Images of Gods in Ancient Israel, Mineapolis, 1998.