BMCR 2011.07.18

Esercizi plautini. Letteratura e antropologia 10

, Esercizi plautini. Letteratura e antropologia 10. Urbino: Quattro venti, 2009. 350. ISBN 9788839208880. €28.00 (pb).

Renato Raffaelli, auteur et éditeur de nombreuses études sur Plaute, Térence et leur réception, et notamment éditeur des Lecturae Plautinae Sarsinates qui paraissent chaque année depuis 1998, réunit dans cet ouvrage vingt-deux articles concernant la comédie plautinienne. Parus entre 1984 et 2010 dans divers recueils collectifs et revues, ils illustrent la grande attention que l’auteur porte aux textes comiques et livrent des analyses fines et érudites. Ils sont organisés en trois chapitres qui reçoivent leur unité de critères thématiques et formels : le premier réunit les six articles que l’auteur a consacrés aux prologues comiques ; le second regroupe huit études de pièces ou de thèmes précis, tandis que le troisième chapitre est un ensemble de courts articles, « notes » consacrées à des problèmes philologiques ou à des études de réception très circonscrits.

Malgré la cohérence interne des trois chapitres, le lecteur regrettera que Renato Raffaelli n’ait pas donné à son ouvrage la forme d’un véritable livre, en palliant l’inévitable morcellement inhérent à ce type de recueil par un plus grand effort d’harmonisation. Une bibliographie générale, par exemple, aurait été la bienvenue, d’autant plus que les références apparaissent tronquées dès leur seconde mention, et que l’auteur pratique à plusieurs reprises l’art de l’allusion bibliographique. De plus, de nombreuses redites et répétitions, loin de créer un effet de cohérence, que certains échos internes auraient pu suffire à susciter, rendent la lecture parfois fastidieuse. Cela est particulièrement patent dans le premier chapitre, qui aurait mérité d’être remodelé en profondeur, et ce d’autant plus que trois des six articles qui le composent ont déjà paru ensemble dans un recueil antérieur.1 En effet, Renato Raffaelli, tout en pratiquant le renvoi interne, répète intégralement certaines démonstrations, si bien que la première partie du sixième et dernier article est presque entièrement faite de reprises et d’auto-citations.

Il est donc regrettable que Renato Raffaelli n’ait pas davantage transformé ses articles. Le premier chapitre fournissait la matière à une synthèse sur les prologues de comédie romaine qui se serait révélée fort utile. En l’état, elle reste malheureusement incomplète et éclatée. Ainsi, l’auteur identifie-t-il trois types de prologues, en fonction du personnage qui les prononce : divinité, personnage de la comédie, ou acteur en fonction de prologus (type que Renato Raffaelli appelle « prologo ‘di capocomico’ »). Il livre tout d’abord une analyse très fine de la structure du premier type et de sa mise en variation dans l’ Aulularia. Dans le second article, il définit les traits qui caractérisent le prologue de personnage. Mais il ne réserve pas le même traitement au troisième type de prologue, qu’il n’analyse pas pour lui-même. En effet, Renato Raffaelli isole le prologue prononcé par un prologus et tend à en faire un cas atypique chez Plaute (où il représente cependant la moitié des exemples – huit sur les quinze prologues qui nous ont été transmis), le réduisant au rang d’embryon du prologue térentien : l’auteur estime que ce dernier constitue un type à part, fruit d’une évolution littéraire dont il relève les traces dans le prologue de la Casina, qui n’est pas de Plaute mais d’un retractator ultérieur, et qui se situe donc justement, sur le plan chronologique, entre Plaute et Térence (hypothèse au demeurant intéressante). Le prologue « di capocomico », dominant chez Plaute, est ainsi considéré, dans cette perspective historique et évolutionniste, non pas comme un type de prologue en soi, mais comme l’ancêtre des prologues de Térence.

Ce traitement imposé au prologue prononcé par un prologus, qui représente pourtant le groupe le plus important des prologues plautiniens et l’intégralité des prologues térentiens, est en fait la conséquence de la définition que Renato Raffaelli donne du prologue comique, définition qui tend à en exclure plusieurs exemples. En effet, l’auteur attribue au prologue une double fonction : une fonction mimétique, le prologue coïncidant avec l’entrée progressive dans la représentation théâtrale, caractérisée par la mimesis; une fonction diégétique, étant entendu que le prologue plautinien a systématiquement pour but d’exposer aux spectateurs les éléments de l’intrigue qui lui permettront de comprendre la comédie, dans un récit désigné par le terme argumentum. Mais un certain nombre de prologues ne remplissent pas ces fonctions, ce qui amène Renato Raffaelli à les exclure de son système : il s’agit des prologues de Térence, qui ne sont ni mimétiques ni diégétiques, et des prologues « di capocomico » chez Plaute, dépourvus de toute mimesis et dont l’ argumentum peut être absent ; il s’agit aussi des prologues retardés, qui interviennent après ce que l’auteur identifie comme l’entrée dans un spectacle mimétique. Renato Raffaelli classe ensuite (p. 20) les trois types de prologue qu’il a identifiés en fonction de leur degré de mimesis et du degré d’autorité dont jouit le narrateur des faits. Dans les deux cas, le prologue « di capocomico » se trouve bon dernier, ce qui manifeste son isolement dans le système d’analyse de Renato Raffaelli.

Car il s’agit bien d’un système qui, en combinant diégèse et mimesis, entend rendre compte du fonctionnement de ce que l’auteur appelle le « prologo di tipo plautino, espositivo » (p. 61), modèle dominant qu’il reconstitue au prix de bien des évitements. Prenons l’exemple du prologue retardé du Miles gloriosus : il est prononcé par un personnage de la comédie, l’esclave Palestrion ; celui-ci, selon les critères de Renato Raffaelli, jouit de toute l’autorité nécessaire pour exposer les faits et donc d’un caractère de vraisemblance ; or Palestrion annonce dès le prologue une ruse qu’il n’a pas encore inventée, anachronisme dont l’auteur minimise l’invraisemblance (p. 45-46), de même qu’il signale sans la commenter (note 18 p. 44) l’absence dans cette annonce destinée, selon lui, à informer les spectateurs, d’une information essentielle. Il semble donc que la fonction diégétique ne soit pas première, puisqu’elle n’est pas complètement accomplie, et que le critère de vraisemblance ne soit pas pertinent pour analyser les prologues. De plus, sur le plan mimétique, le prologue de Palestrion remet en cause une autre affirmation de Renato Raffaelli, selon laquelle seul le prologue « di capocomico » présente des ruptures de l’illusion scénique : le prologue du Miles gloriosus, comme d’ailleurs de nombreux prologues de personnage ou de divinité, présente plusieurs adresses au public et références au contexte de la performance, à commencer par la mention de l’original grec de la comédie. C’est donc en gommant ces caractéristiques communes à tous les prologues comiques que Renato Raffaelli construit son système mimético-diégétique, reconstitue artificiellement un modèle narratif de prologue plautinien et distingue trois types différents, là où l’on aurait préféré qu’il s’attache à identifier les principes de fonctionnement propres au prologue comique en général, qui se caractérise toujours par une situation d’énonciation précise : un acteur s’adresse directement aux spectateurs. Car la typologie proposée par l’auteur trouve ses limites dans les nombreuses exceptions qu’il est forcé de relever, et qui montrent qu’on a affaire avec le prologue comique non pas à plusieurs modèles concurrents, mais à une seule convention, dont les éléments se combinent de diverses façons. C’est pourquoi le prologue prononcé par Mercure, dans l’ Amphitruo, semble participer des trois types de prologue identifiés par Renato Raffaelli (p. 48) : les éléments métathéâtraux qu’il contient ne constituent pas un écart par rapport au modèle du prologue narratif, mais sont omniprésents dans tous les prologues comiques, dont ils révèlent le mode de fonctionnement.

La perspective exclusivement narrative de Renato Raffaelli l’empêche ainsi de prendre en compte comme ils le méritent les jeux métathéâtraux avec le public : quand le prologus du Poenulus affirme qu’il tient la nouvelle de la mort d’un personnage de l’embaumeur lui-même (v. 63), s’agit-il d’une captatio fidei sérieuse, qui confirme l’importance des critères de vraisemblance et d’autorité (p. 16), ou plutôt d’un jeu avec cette même notion d’autorité ? En affirmant que seul le prologue de « capocomico » contient des éléments métathéâtraux, et en considérant ce type de prologue comme une anomalie face au modèle narratif qu’il reconstitue, Renato Raffaelli ignore donc le mode de communication propre aux prologues comiques, fait d’adresses directes aux spectateurs, et désigné généralement par le terme métathéâtre. Il est de fait révélateur que l’auteur ne mentionne aucune des études de référence sur le métathéâtre plautinien en général2 et sur la fonction du prologue dans le contexte d’une performance et de sa réception par le public.3

C’est d’ailleurs l’un des traits qui fondent la cohérence de cet ouvrage : le choix d’une perspective narratologique au détriment d’une analyse du spectacle comique. C’est par exemple en vertu de sa biographie que le personnage de Tyndare, dans les Captiui, est considéré par Renato Raffaelli comme non servile (p. 169-174), même s’il mentionne plus tard (p. 176-177) le fait que ce personnage joue plusieurs scènes typiques du seruus callidus. L’auteur privilégie donc toujours les faits, racontés ou représentés, au détriment du jeu et du spectacle. C’est ainsi que son article sur la mer dans la comédie plautinienne (II7) repose quasi exclusivement sur les récits de faits antérieurs présents dans les prologues, qui renvoient toujours au hors-scène ; ce travail le mène à envisager la comédie comme une œuvre narrative, presque romanesque (p. 254), où la mer aurait la même fonction symbolique que la forêt dans les contes (p. 270). Car Renato Raffaelli est surtout attentif aux structures, structures des prologues mais aussi structures des récits et des intrigues. Cette attention, si elle l’amène à négliger parfois les formules conventionnelles qui participent à ces structures (formules du retour du voyageur, par exemple), est souvent la source d’analyses précises et pertinentes sur des comédies particulières : ainsi de l’étude de l’instabilité scénique d’Euclion, dont les sorties ponctuent et structurent l’ Aulularia; l’analyse de la folie du personnage, considérée non comme un élément du caractère d’Euclion mais comme l’interprétation que les autres personnages font de son attitude inexplicable à leurs yeux, aurait d’ailleurs mérité d’être approfondie, par exemple par une confrontation avec les autres cas de folie supposée de la comédie romaine (dans les Captiui, les Menaechmi) ; l’auteur aurait ainsi constaté que, là aussi, la folie est l’interprétation donnée à une conduite (et notamment à une colère) apparemment sans motif.

Renato Raffaelli privilégie donc les récits et leurs structures plutôt que le spectacle et ses conventions. Cette perspective se révèle particulièrement opérante dans le dernier chapitre de l’ouvrage où l’auteur s’appuie sur la structure narrative des comédies pour proposer des analyses philologiques, qu’il s’agisse de trancher sur un point d’ecdotique (III3-4), ou de proposer des comparaisons avec d’autres œuvres (méthode appliquée notamment au Miles gloriosus) ou des remarques sur des points de réception de la comédie plautinienne. L’auteur, qui mettait son érudition de philologue au service de ses analyses structurelles et narratologiques dans les deux premiers chapitres, inverse cet équilibre pour mettre son analyse des structures narratives au service de la philologie. Cette double alliance est ainsi le fait d’un lecteur érudit et attentif de la comédie romaine – lecteur plus que spectateur, à moins de se représenter le spectateur comme l’auditeur d’un récit : car si Renato Raffaelli souhaite rendre hommage à l’homme de théâtre que fut Plaute (p. 8), il ne prend bien souvent en compte, dans le contexte de la performance comique, que la transmission au public d’informations narratives qui relèvent de la « fable » et non de la fabula, c’est-à-dire du spectacle.

Table of contents

I. Prologhi
1. Narratore e narrazione nei prologhi di Plauto : i prologhi di divinità
2. I prologhi di personaggio
3. Il personaggio Prologus da Plauto a Terenzio
4. Gli antefatti senza il prologo. Sulle prime tre scene della Mostellaria
5. Perspicuitas e comunicazione : nomi di senes nei prologhi plautini
6. « Animum advortite ». Aspetti della comunicazione nei prologhi di Plauto e di Terenzio

II. Letture
1. C’è del comico in quella follia. Le ossessioni di un avaro e le peripezie di una pentola
2. Una commedia anomala : i Captivi
3. « Colle regole non va ». Vere e false agnizioni nell’Epidicus
4. Sogni letterari e sogni teatrali
5. Un racconto arabo, l’Elena di Euripide e la struttura del Miles gloriosus
6. Le case e la città (a proposito di pareti forate)
7. Il naufragio felice e le funzioni del mare
8. Spectator in fabula (racconti di naufraghi sulla scena)

III. Note sul testo e sulla fortuna
1. L’effetto comico di un enjambement (Aulularia, 671-672)
2. Per non sbagliare (sull’esegesi di Captivi, 14)
3. Tra le leggerezze della gioventù e i ricordi della vita militare (Epidicus, 431-434)
4. Critica del testo e analisi del racconto (Miles gloriosus, 770)
5. La sortita dell’avaro : da Plauto a Molière
6. Tracce dell’Euclione plautino nella Clizia di Machiavelli
7. « Charmidare » e « segismundar ». Da Plauto a Calderón
8. La fortuna e i suoi limiti

Notes

1. C. Questa et R. Raffaelli, Maschere Prologhi Naufragi nella commedia plautina, Bari, 1984. C’est le cas des articles I1, I5 et I6, ainsi que II7.

2. N. W. Slater, Plautus in Performance : the Theatre of the Mind, Princeton, 1985 ; T. J. Moore, The Theater of Plautus. Playing to the Audience, Austin, 1998.

3. N. W. Slater, « Plautine negociations : the Poenulus prologue unpacked », Yale Classical Studies, 29, 1992, p. 131-146.