BMCR 2010.04.12

Making Myths: Jews in Early Christian Identity Formation

, Making Myths: Jews in Early Christian Identity Formation. Leuven: Peeters, 2009. 151. ISBN 9789042922402. €31.00 (pb).

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La quatrième de couverture de Making Myths: Jews in Early Christian Identity Formation, définit parfaitement le sujet de cet ouvrage qui n’est qu’un des volets d’un vaste projet intitulé “The Rise of Christianity: A New Interdisciplinary Perspective”: les juifs apparaissant dans les ouvrages des premiers auteurs chrétiens sont-ils de véritables personnages historiques auxquels ces auteurs étaient confrontés au jour le jour, ou bien ne relèvent-ils que de leur imagination et ne sont-ils qu’un outil sous leur plume destiné à servir des intentions cachées ou avérées ? Pour apporter à cette question une réponse nuancée, Rutgers propose d’étudier trois cas à chacun desquels il consacre un chapitre entier — les martyrs Maccabées, les juifs dans la législation romaine de la fin de l’Antiquité et la synagogue dans la littérature.

Quelques remarques générales avant tout. L’introduction est des plus réussies, particulièrement concise et claire. Elle définit et résume les grandes lignes de vastes domaines de recherche tels que celui du Parting of the Ways permettant à n’importe quel néophyte ou amateur d’en comprendre l’ampleur en quelques mots. Il est cependant regrettable que ce don de synthèse ne soit pas utilisé pour mettre de l’ordre dans les discussions — voire pour n’y faire qu’allusion — entre Marcel Simon et ses disciples, d’une part, et Adolph von Harnack et ses disciples, d’autre part, sur le personnage du juif dans la littérature patristique — juif “herméneutique” ou réel ? —, d’autant plus que c’est là l’un des thèmes principaux des trois études présentées par Rutgers. Toutefois, dans la plus grande majorité des cas et ce, tout au long de l’ouvrage, la bibliographie est remarquablement complète et à jour.

L’introduction constitue l’essentiel de l’ouvrage : les thèses de l’auteur y sont présentées, l’essentiel des trois cas qui seront étudiés en détail y est résumé et une partie des conclusions mêmes s’y trouve ! Le rôle des trois chapitres n’est que d’illustrer et de préciser ce qui y est annoncé.

Rutgers propose de lire dans les trois exemples qu’il présente une nouvelle histoire des relations entre juifs et chrétiens à la fin de l’Antiquité. Il veut se situer entre les chercheurs affirmant qu’à cette époque les juifs étaient complètement repliés sur eux-mêmes et n’avaient aucun rapport avec ceux qui les entouraient et d’autres dont l’approche est plus en vogue de nos jours, et qui affirment que les juifs de la fin de l’Antiquité étaient parfaitement actifs dans les sociétés auxquelles ils appartenaient et entretenaient des rapports fructueux et pacifiques avec les chrétiens des premiers siècles. Il me semble que Rutgers met de façon injustifiée un point d’honneur à démontrer que juifs et chrétiens n’étaient pas forcément en bons termés. En effet, Barnes dans la deuxième édition de son Tertullian: An Historical and Literary Study en 1985, revient sur sa position qui niait toute relation entre Tertullien ainsi que sa communauté et leurs contemporains juifs, et précise qu’en effet, il y avait une forme d’interaction entre les communautés qui étaient “rivals and competitors”. Ainsi, ce que Rutgers veut à tout prix démontrer dans son approche des relations entre les deux groupes que sont les juifs et les chrétiens a déjà été dit et Barnes n’en est qu’un exemple. Le but des chercheurs qui parlent de liens entre les communautés n’est pas d’en donner une “optimistic view” ou d’en faire une description idyllique, comme Rutgers le réitère à maintes reprises mais d’en étudier la nature. Quoi qu’il en soit, un autre thème essentiel dans cette étude de Rutgers est le processus de définition par les chrétiens de leur propre identité et le rôle des juifs dans ce processus. Là encore, il se place en opposition par rapport au courant à la mode (Daniel Boyarin en est un des meilleurs représentants) qui compare la façon dont les groupes chrétiens et juifs se sont séparés et constitués en deux orthodoxies parfaitement délimitées avec des théories linguistiques relatives à la formation des langues officielles à partir de nombreux dialectes. Pour Rutgers, d’une part, de telles théories ne peuvent s’appliquer au comportement humain et certainement plus à l’époque qu’il étudie, d’autre part il estime que l’identité juive était clairement définie au moment de l’émergence du christianisme et, enfin, il considère que, dès le début, les chrétiens étaient distincts des juifs et ne se mêlaient à eux en aucune manière. Les juifs avaient une religion clairement établie sur la base d’une conscience éthnique, ce qui, selon Rutgers, provoquait la jalousie des chrétiens et constituait un obstacle à leurs efforts d’auto-définition. Tandis que Rutgers affirme que les chrétiens ne cherchaient qu’à rendre plus évidente une séparation d’avec les juifs qui existait de fait, les partisans des “voies qui n’ont jamais divergé” (ou the Ways that Never Parted) suggèrent que ce sont les élites qui voulaient inventer cette séparation pour qu’elle puisse prendre forme de fait.

Enfin, la thèse essentielle de l’ouvrage de Rutgers est que, pour que l’autodéfinition des chrétiens fonctionne, ils doivent forcer la réalité à devenir telle qu’ils l’imaginent. Comme Andrew Jacobs auquel il fait allusion à un moment, Rutgers suggère que les juifs apparaissant dans les traités des premiers auteurs chrétiens sont à la fois le fruit de leur imagination et des juifs existant dans la réalité. Cependant, Rutgers a une façon originale d’expliquer sa position. Les chrétiens se considérant comme les véritables héritiers du judaïsme sont confrontés à un problème de grande envergure : les juifs qu’ils étaient censés remplacer existent toujours, ne se convertissent pas, et le christianisme ne ternit en rien leur vivacité — ici de nouveau, il aurait été louable que l’auteur profite de sa capacité à résumer en peu de mots des problèmes complexes pour exposer les théories de Martin Goodman et d’autres sur le fait que les juifs n’étaient actifs à cette époque qu’envers ceux qui venaient à eux, contrairement à ce que Marcel Simon décrivait comme un prosélytisme juif agressif s’adressant à tous. Pour pouvoir continuer à se définir selon la théorie supersessioniste, le christianisme, qui a gagné en puissance politique dans le monde romain, a besoin de réinventer la réalité juive à travers des mythes et de la mettre en application. La dernière proposition de Rutgers dans cette introduction est d’utiliser les outils fournis par l’anthropologie culturelle, la socio-psychologie, l’archéologie et des exemples empiriques pour interpréter les rapports entre juifs et chrétiens à la fin de l’Antiquité. Il est aussi proche de la méthode de l’archéologue Karen Stern quand il désire comprendre tous les contextes des phenomènes qu’il se propose de commenter.

Le premier chapitre souligne l’importance des Ecritures dans les débats entre juifs et chrétiens. Rutgers se penche sur le cas des sept Maccabées morts en martyrs et dont la tradition veut qu’ils aient été enterrés dans la ville d’Antioche sous une synagogue qui fut plus tard convertie en église. Après avoir étudié plusieurs sources en rapport avec cette légende, Rutgers conclut qu’archéologiquement parlant on ne peut savoir si une synagogue se trouvait à Antioche, ni si des tombes se trouvaient en-dessous, ni comment l’Eglise se serait appropriée cette synagogue. Le seul point évident est que la présence de cadavres à l’intérieur d’une ville est en parfaite opposition avec les coutumes de l’Antiquité et avec les règles de pureté observées par les juifs. Cela mène Rutgers à chercher des explications à l’invention d’un tel mythe de la présence de reliques de martyrs sous une synagogue. Pour lui, tout se passe dans la seconde partie du quatrième siècle lorsque les chrétiens inventent l’idée que les reliques des saints ne sont pas impures. A partir de là, certains chrétiens, au grand dam de la majeure partie de la population de l’époque, commencent à enterrer leurs morts à l’intérieur des villes et à déplacer des ossements pour les rapprocher de leurs églises proposant le culte des corps en substitution à l’attrait que le judaïsme et sa magie fascinante exerçaient encore sur les chrétiens. D’autre part, le fait de s’approprier la synagogue locale symbolisait le remplacement du judaïsme par l’Eglise et permettait en même temps de séduire tous ceux qui étaient proches de la synagogue (chrétiens d’origine juive, prosélytes juifs…) en leur donnant la possibilité de continuer à fréquenter un lieu familier mais sous des aspects chrétiens. Très rapidement, l’appropriation du lieu par les chrétiens est si complète que certains pensent que les reliques des Maccabées ont toujours été adorées en ces lieux tandis que d’autres ont du mal à croire que ces héros sont d’origine juive !

Le deuxième chapitre se penche sur la Novella 146 de Justinien, généralement considérée comme l’intervention du pouvoir romain dans un débat interne au judaïsme sur l’usage de l’hébreu ou du grec dans la synagogue. Cela serait un témoignage d’une recrudescence des hébreuophones à la fin de l’Antiquité. Rutgers soulève nombre d’arguments contre cette interprétation. Pour lui, les intentions déclarées de cette loi ne peuvent être ce qui motive réellement le rédacteur. Il s’agit ici d’un moyen mis en oeuvre pour définir l’identité chrétienne. Les chrétiens se sentent toujours en position d’infériorité par rapport aux juifs parce qu’ils utilisent pour s’auto-définir des traductions de textes faisant partie du patrimoine de ces juifs. Non seulement les juifs sont toujours présents et actifs, contrairement à ce qui aurait dû se passer avec l’avènement du Christianisme, mais en plus, ils connaissent mieux que les néophytes chrétiens les textes de base de la nouvelle religion puisqu’ils en maîtrisent la langue originale tandis que les chrétiens n’en sont pas capables. Rutgers replace la loi promulguée par Justinien dans le contexte des préparatifs du Cinquième Concile Oecuménique visant à mettre un terme à l’exégèse biblique littérale pour promouvoir les interprétations allégoriques. Justinien ne peut dire ouvertement le but de cette loi mais, désespérant de convertir les juifs au christianisme ou même de leur faire accepter des interprétations allégoriques de leurs textes, il essaie au moins de neutraliser la menace qu’ils représentent tant qu’ils maîtrisent mieux que les chrétiens leurs textes fondateurs. Ainsi, pour que les chrétiens puissent s’auto-définir, il faut que les juifs renoncent à une partie de leur culture. Imposée par la loi, la volonté des chrétiens a une véritable prise sur la réalité quotidienne des juifs. Justinien ne décrit pas ce qui se passe réellement chez les juifs et ne reconnaît pas non plus avoir de contact avec eux, il imagine simplement comment les contrôler. L’usage du grec rendu obligatoire dans les synagogues neutralise celui de l’hébreu et met donc les juifs au niveau des chrétiens qui pourront désormais les vaincre dans les débats exégétiques.

Le troisième et dernier chapitre traite de l’invention par les premiers auteurs chrétiens de la figure de “La Synagogue” comme antagoniste essentiel de “L’Eglise”. Après avoir fait état de l’effervescence de construction de synagogues, ce chapitre cherche à expliquer ce qui a mené les chrétiens à détruire ou s’approprier ces bâtiments. Contrairement à Seth Schwartz par exemple, Rutgers ne considère pas que les juifs se sont auto-définis en réaction à la montée en puissance des chrétiens mais plutôt que la tendance des juifs à manifester leur existence était déjà amorcée et s’est simplement accentuée avec l’émergence du christianisme. Rutgers étudie dans ce chapitre l’évolution des termes synagogue et ecclesia, et de ce qu’ils désignent remarquant qu’à partir du moment où tous les fidèles chrétiens étaient éduqués selon le schéma qui faisait de la Synagogue, et des bâtiments de synagogues par son intermédiaire, le représentant à la fois de tous les juifs et de tout le Mal bref, de tout ce qui n’était pas l’Eglise, il était inévitable que ces chrétiens s’en prennent physiquement aux synagogues. Rutgers montre très bien comment la construction littéraire investit le domaine de la réalité ; les juifs utilisés par les auteurs chrétiens sont des outils servant leurs propres démonstrations et cependant, arrive un moment où l’invention déborde le cadre littéraire et régit la réalité en imposant ses schèmes au terrain.

En conclusion, Rutgers réitère ses positions sur le fait que juifs et chrétiens étaient très tôt parfaitement distincts, sur le rôle selon lui des juifs dans la définition de l’identité chrétienne et inversement, sur les rapports entre les groupes religieux et sur d’autres points présentés en introduction. Ainsi Rutgers a illustré de quelle façon les juifs des premiers textes chrétiens ne sont que le fruit de l’imagination de leurs auteurs, mais aussi de quelle façon cette imagination influe sur la réalité.

En résumé, la lecture de cet ouvrage de Rutgers est très stimulante. Chacun peut l’apprécier et s’en instruire, mais les lecteurs ayant déjà un certain nombre de connaissances sur les sujets traités profiteront davantage du foisonnement d’idées et d’interprétations originales. Tous les arguments ne sont pas toujours des plus convaincants même s’ils sont répétés plusieurs fois et l’on garde l’impression, comme le dit d’ailleurs l’auteur lui-même en introduction, que cet ouvrage n’est qu’une première étape. Cette étape est toutefois prometteuse et l’on a hâte de voir le tableau se compléter !

CONTENTS

Introduction

Chapter I The Importance of Scripture in the Conflict between Jews and Christians: The Example of Antioch

Chapter II Justinian’s Novella 146 between Jews and Christians

Chapter III The Synagogue as Foe in Early Christian Literature

Epilogue

Bibliography

Index