BMCR 2011.09.43

Monument und Inschrift. Gesammelte Aufsätze zur senatorischen Repräsentation in der Kaiserzeit

, , Monument und Inschrift. Gesammelte Aufsätze zur senatorischen Repräsentation in der Kaiserzeit. Berlin/New York: W. de Gruyter, 2010. xii, 442. ISBN 9783110246940. $165.

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Édité par Walter Ameling et Johannes Heinrichs, cet ouvrage est le troisième recueil d’articles de W. Eck.1 Il regroupe 18 contributions parues entre 1981 et 2009 dont plusieurs, originellement en anglais, ont été reprises en allemand – sauf la dernière. Quatre d’entre elles faisaient déjà partie du recueil publié à Rome en 1996, mais, comme pour tous les textes de l’ouvrage, elles ont été revues et complétées par leur auteur. Ce choix comporte des textes de synthèse ainsi que des analyses centrées sur des problèmes spécifiques (l’âge dans les inscriptions sénatoriales, la relation entre salutations impériales et attribution des ornamenta triumphalia) ou des documents particuliers (l’inscription au proconsul de Pont-Bithynie [- – -] L. f. Rufus : CIL VI, 1508 ; l’inscription de Pline le Jeune CIL V, 5262 ; une base dédiée à M. Lollius à Sagalassos). Comme l’indique le titre, le thème fédérateur de ces écrits est la « représentation » des membres de l’ordre sénatorial, c’est-à-dire les modalités de construction et de diffusion de leur image dans l’espace public ou privé. Une lecture suivie du recueil met en évidence la cohérence de la démarche et des travaux de W. Eck dans ce domaine, et, au-delà d’inévitables redites, montre que l’auteur a sans cesse cherché à en explorer les différentes implications, au point que la portée du livre dépasse largement le champ annoncé par son titre. Ce cheminement justifie la décision de présenter les articles dans un ordre chronologique plutôt que par regroupements thématiques dont les critères auraient été malaisés à établir. Par conséquent, il est tout aussi difficile qu’inutile de proposer un résumé de chaque contribution et je me contenterai de relever les enjeux principaux de l’ensemble.

Le point de départ presque systématique des analyses est constitué par les inscriptions lapidaires puisque, comme W. Eck le rappelle, une très large part de ce qui formait en quelque sorte le quotidien épigraphique du monde romain, gravé sur des supports périssables, est généralement perdu (p. 283). La différence de support traduit en outre une différence d’intention, car une inscription sur pierre ou sur bronze relève d’un souci de pérennisation du message. L’auteur entend porter une attention plus particulière au contexte et au support de l’inscription, qui n’était qu’une partie intégrante d’un monumentum. Ce constat, qui commence fort heureusement à se banaliser parmi les épigraphistes mais qui était moins évident il y a quelques années, l’a conduit à critiquer à plusieurs reprises la notion d’ « inscription honorifique » ( Ehreninschrift). Le texte épigraphique ne constituait pas l’honneur en lui-même, le plus souvent une statue : il n’était qu’une sorte de légende, indispensable, notamment en contexte public, pour signaler qui était honoré, par qui et, éventuellement, pour quelles raisons (e.g. p. 55, 143-144 et 386). De même, W. Eck refuse d’isoler une catégorie de Cursusinschriften, mise au premier plan par les études prosopographiques. Ce type de texte, qui énonce les fonctions publiques ou les sacerdoces exercés par un sénateur ou un chevalier, se retrouvait en effet dans des contextes variés où dominaient naturellement les monuments honorifiques et funéraires. De manière un peu moins attendue cependant, ces cursus se lisaient aussi sur des bâtiments (ainsi, probablement, les thermes édifiés par Pline à Côme : CIL V, 5262) ou dans des inscriptions votives (exemple notable d’une dédicace à Vulcain par le préfet des vigiles Gn. Octavius Titinius Capito : CIL VI, 798) et caractérisaient parfois également l’auteur d’une dédicace (e.g. CIL VI, 40489). En somme, W. Eck avertit que l’interprétation des inscriptions ne doit pas se laisser entraîner par des typologies déterminées à partir de la seule forme des supports ou de leur contenu documentaire, mais également par une réflexion sur leur fonction originelle.

L’examen minutieux du texte reste néanmoins un moyen privilégié pour compenser l’absence des contextes matériels disparus. La distinction des monuments érigés dans des lieux publics ou privés par le biais du seul formulaire épigraphique se trouve ainsi au cœur d’un article de 1992 (« Ehrungen für Personen hohen soziopolitischen Ranges im öffentlichen und privaten Bereich ») où W. Eck montre que cette différenciation est possible à Rome mais moins perceptible dans les cités de l’empire. Néanmoins, l’originalité de son approche se manifeste surtout dans sa manière d’envisager les cursus. A priori, rien ne semble plus monotone et conventionnel qu’une carrière sénatoriale ou équestre. Pourtant, l’analyse de formulations qui s’écartent des énoncés usuels lui permet d’avancer des hypothèses sur le processus d’élaboration des « inscriptions honorifiques », au cours duquel le bénéficiaire devait être consulté : de même qu’il fournissait un modèle pour le portrait de la statue, il devait transmettre aux dédicants une copie de son cursus, conservée sur un document qui était peut-être mis à jour régulièrement au gré des progressions de sa carrière. W. Eck démontre ainsi que ces cursus, habituellement mis à contribution pour écrire l’histoire politique et administrative de l’Empire, ouvrent la voie à une histoire de certaines pratiques sociales ou culturelles et, en conséquence, de l’idéologie des groupes supérieurs de la société romaine.

De fait, le recueil ne se recommande pas uniquement par les questionnements auxquels sont soumises les inscriptions, mais aussi par les conclusions historiques qui y sont développées. W. Eck est parfaitement conscient que la visibilité des sénateurs dans l’espace public ne se limitait pas aux monuments et qu’elle se traduisait aussi par des cérémoniaux dont les traces sont fugaces (funérailles, banquets, retour des provinces, comme ceux décrits par Tac., Ann., 3, 9, 2 et Agr., 36 pour Cn. Calpurnius Piso et Agricola). Il souligne de plus qu’à Rome, les honneurs publics pour les personnages de haut rang tendirent à se restreindre sous le principat qui instaura un monopole impérial dans ce domaine. En conséquence, les lieux privilégiés de l’expression des sénateurs furent surtout les tombeaux (environ 200 textes) et les maisons. C’est la question de leur place dans l’espace urbain qui a conduit W. Eck à rédiger une synthèse de référence sur les domus sénatoriales à Rome (« Cum dignitate otium. Senatorische Häuser im kaiserzeitlichen Rom », 1997). Reposant sur différentes sources dont, plus particulièrement, les fistulae aquariae, il recense 211 attestations sur cinq siècles. Bien que modeste pour l’étendue de la période, cet échantillon permet d’esquisser une évolution des quartiers de prédilection (Quirinal, Caelius, Esquilin, puis Aventin) et de supposer des changements de propriété, qui paraissent avoir été fréquents : ces domus apparaissent donc comme une image des processus de renouvellement de l’ordre sénatorial, en contraste avec la présence constante du pouvoir impérial dans l’espace urbain (p. 239). Si pour des raisons politiques, juridiques et pratiques, Rome était le cadre de vie principal des sénateurs, l’enquête épigraphique révèle d’autre part qu’il n’était pas le seul (« Rom und die übrige Welt. Senatorische Familien und ihre konkrete Lebenswelt ») : la construction de tombeaux et l’évergétisme de certains sénateurs dans leurs cités d’origine manifeste un attachement à la « petite patrie » – l’exemple le plus notable étant celui de Pline le Jeune à Côme – qui était aussi un lieu où la concurrence symbolique avec leurs pairs était moins directement présente qu’à Rome.

L’élément récurrent dans ces études et le plus emblématique des honneurs octroyés aux membres des deux ordines supérieurs de la société romaine est cependant l’affichage public du cursus honorum. S’il ne renseigne que peu sur la personnalité des sénateurs (« Auf der Suche nach Personen und Persönlichkeiten : Cursus honorum und Biographie », 2005), il est révélateur d’une éthique de groupe et, occasionnellement, d’individualité. Dérivant de la laudatio funebris, il apparaît pour des vivants à l’époque augustéenne – le premier exemple connu concernant L. Aquilius Florus Turcianus Gallus, vers le tournant de notre ère ( I.Corinth., 7, 2, 54 ; CIL III, 551). W. Eck avance avec prudence deux facteurs qui pourraient expliquer son essor : la place nouvelle de l’empereur comme point de référence dans la structure socio-politique de Rome et la possibilité offerte de formuler par ce moyen sa relation avec lui ; surtout, le rôle de modèle joué par les statues honorant les bénéficiaires des ornamenta triumphalia sur le forum d’Auguste avec les inscriptions qui devaient les accompagner (Dio., 55, 10, 3). Cette volonté de signifier la dignité de son rang transparaît également dans l’usage du cursus pour caractériser non pas le destinataire d’un honneur, mais le dédicant lui-même. Sur un autre plan, W. Eck avance que la mention de l’âge témoigne aussi de cette conscience de soi. Elle se rencontre en effet essentiellement pour des enfants ou des jeunes gens disparus avant l’âge de la questure. Variation sur le thème de la mors immatura, elle équivalait donc à une forme de compensation indiquant que l’absence de carrière était une conséquence de la nature et non de la valeur du défunt ou de sa famille. Par ces différents biais se dégage ainsi un ensemble de valeurs où le service de Rome et du prince constituaient des éléments fondamentaux de distinction sociale. De ce fait, ces formules épigraphiques se diffusèrent et furent rapidement adoptées, non seulement par les chevaliers, mais aussi par des affranchis impériaux ou par des dignitaires des cités, devenant ainsi l’une des sources les plus notables et l’une des formes d’expression les plus communes du rang et du prestige individuels.2

Figurent enfin dans ce recueil deux études en relation avec ces problématiques mais, dans une certaine mesure, périphériques. L’une s’intéresse à la pratique du pouvoir impérial par l’examen des statuts de consiliarius, comes et amicus du prince sous le Haut Empire. Tandis que la dernière qualification, informelle mais officielle, exprimait un lien privilégié avec l’empereur, les deux premières correspondaient à une fonction effective valant à leurs titulaires un salarium ou des cadeaux, sans pour autant témoigner de l’existence d’un consilium principis institué et permanent. W. Eck relève par ailleurs que la mention de consiliarius apparaît à partir de la fin du II e siècle ap. J.-C. dans les cursus de chevaliers n’ayant pas exercé de fonctions palatines. Une seconde étude aborde la question de l’intégration des communautés des provinces nord occidentales à travers les sénateurs et les chevaliers qui en étaient originaires. Puisque ceux-ci sont, sauf pour la Narbonnaise, peu nombreux, l’auteur développe plusieurs considérations méthodologiques pour expliquer cet état de fait. Il s’interroge ainsi sur la représentativité des sources et surtout des inscriptions : rares dans certaines de ces régions, elles impliquent une diffusion limitée de la pratique épigraphique et, même dans les zones les mieux pourvues, on remarque une curieuse absence d’honneurs typiques pour les élites de l’Italie ou d’autres provinces. Sans indiquer une réticence particulière de ces notables, cette situation pourrait tenir selon lui aux structures et aux comportements sociaux de ces cités – affirmation qui serait sans doute à nuancer et à discuter dans le détail, même si, comme le reconnaît W. Eck lui-même, l’absence de sources renvoie aux conditions de la diffusion de la culture épigraphique plus qu’il prouve l’inexistence de familles sénatoriales ou équestres attachées à ces provinces.

L’originalité des approches ou des questionnements et la variété des thèmes abordés font donc de ce volume une contribution essentielle à l’histoire de l’ordre sénatorial sous l’Empire ainsi qu’aux études sur les modalités d’expression du rang ou de la mémoire dans les sphères publiques et privées à travers ce que l’on se plaît à nommer aujourd’hui la communication épigraphique. La consultation ponctuelle sera facilitée par les précieux indices des noms, des lieux, des inscriptions et des sources littéraires. Outre quelques erreurs de renvois ou typographiques qui ont échappé à la relecture des éditeurs et dommageables eu égard au prix du volume, on regrettera seulement l’omission de rares mises à jour qui auraient pu accompagner la révision de ces textes.3

Notes

1. W. Eck, Tra epigrafia, prosopografia e archeologia. Scritti scelti, rielaborati ed aggiornati, Roma, 1996 et Die Verwaltung des römischen Reiches in der hohen Kaiserzeit. Ausgewählte und erweiterte Beiträge, Basel, 1995-1997.

2. Voir aussi W. Eck, M. Heil (dir.), Senatores populi Romani. Realität und mediale Präsentation einer Führungsschicht, Stuttgart, 2005 (BMCR 2006.02.17).

3. Pour n’en signaler qu’une seule, l’épitaphe de M. Nonius Macrinus ( PIR 2, N, 140), découverte en 2008 et citée n. 71 p. 192 et n. 7 p. 364-365 à partir de photographies du web, a fait l’objet d’une publication par G. Gregori, Notiziario della Soprintendenza per i beni archeologici della Lombardia, 2007, p. 273-280 ( AE 2007, 257).