BMCR 2025.08.02

Pompei I 14. Le unità abitative e i materiali in contesto

, Pompei I 14. Le unità abitative e i materiali in contesto. Studi e ricerche del Parco Archeologico di Pompei, 50. Rome: L'Erma di Bretschneider, 2024. Pp. 442. ISBN 9788891332004.

Lorsque l’on évoque Pompéi avec des étudiants ou avec le grand public, le moyen le plus simple pour créer un moment de gêne mêlée d’effroi reste de signaler que, à plus de 275 ans des premières fouilles officielles, seuls deux îlots sur les 67 intégralement dégagés – sur 112 qui ont été au moins partiellement identifiés – ont bénéficié d’une étude exhaustive des objets découverts[1]. Avec l’ouvrage de Carmen D’Anna, l’insula I 14 devient la troisième pour laquelle on peut finalement réussir à suivre, même schématiquement, grâce à l’archéologie du bâti, l’évolution d’un îlot de ses origines à son ensevelissement en 79 de n. è., et à appréhender l’état des habitations à partir des artefacts observés lors de l’enlèvement du matériel éruptif.

Le bloc mêlant habitat et activités productives ou commerciales étudié dans cet ouvrage est probablement un de ceux dont le dégagement a été particulièrement complexe et source de pertes documentaires. Traversé par le Canale del Conte di Sarno creusé à la fin du xvie siècle, il a été très rapidement déblayé par Amedeo Maiuri dans les années 1950, sans le purger complètement, puis a “bénéficié” des fonds FIO (Fondo di Investimento e Occupazione) dans les années 1980-1990 qui ont permis d’achever la fouille et de “restaurer” une grande partie de ses murs. Pendant de nombreuses années, les archives et le mobilier de ces travaux alternaient entre être considérés comme perdus ou placés sous séquestre judiciaire.

Le livre commence par une courte “Préface” qui est une bien trop brève évocation de la méthodologie appliquée à l’examen de cet îlot — sur l’archéologie du bâti, les rares sondages stratigraphiques et l’étude du matériel. S’ensuit un rappel du cadre topographique général puis de l’historiographie concernant la portion de la Regio I dans laquelle se trouve l’îlot, où sont très fréquentes les habitations ne relevant pas du canon vitruvien, appelées Case a schiera (“maisons mitoyennes”) depuis un article pionnier d’Adolf Hoffman paru en 1984[2]. Un récit du déroulé des dégagements et des rares fouilles stratigraphiques menées dans l’îlot est proposé ; il s’achève avec les restaurations conduites en 2017.

Le cœur de l’ouvrage est organisé en embrassant un plan topographique : on parcourt l’îlot en débutant par les maisons situées sur la via della Palestra au sud (d’est en ouest), puis on remonte le long de via Nocera à l’est, avant de finir par la via di Castricio (d’ouest en est) — sans que ce choix, qui ne suit pas la numérotation également arbitraire des entrées, soit expliqué ou justifié. Le texte adopte alors un ordre immuable qui sera observé ici, sans aborder le détail de chacune de ces dix unités d’habitation.

Chaque étude commence par une description physique des différentes pièces, à laquelle succède le déroulé des dégagements tel qu’il a pu être restitué par la consultation des journaux de fouille des années 1954-1957 – dont la paternité est attribuée à Amedeo Maiuri, bien qu’ils ont probablement été écrits par l’assistente agli scavi, seul présent en permanence sur le chantier – et de l’éventuelle documentation rédigée lors des travaux de déblaiement réalisés sur les fonds FIO. L’analyse est ainsi menée pièce par pièce, avec d’abord une description du bâti qui donne lieu à une exploration des fonctions et de l’évolution, puis avec celle de la décoration, quand elle existe. La partie suivante concerne les objets découverts dans chacune des pièces. Dans le livre, sont présentées des figures avec des assemblages fonctionnels par pièce. En complément, un catalogue – mis en page selon les mêmes standards, mais rendu disponible en ligne – propose la liste analytique de tous les artefacts mis au jour, par pièce, par matière et par grands groupes fonctionnels, reproduits avec des photographies en couleurs. Une discussion est ouverte sur le rôle des pièces, basée sur les regroupements d’objets, dans la lignée revendiquée des travaux de Penelope Allison[3]. Le chapitre s’achève systématiquement sur une synthèse assortie d’une prompte mise en phase des différentes évolutions observées. L’ouvrage proprement dit se conclut quant à lui sur un tableau général des transformations survenues à l’échelle de l’îlot, illustré par sept planches correspondant chacune à une des phases identifiées.

La principale surprise de ce volume, pour quiconque s’est déjà intéressé avec attention aux îlots “maudits” de l’est de la Regio I – trop rapidement dégagés, trop fortement restaurés –, reste qu’il soit possible d’y pratiquer l’archéologie du bâti. Bien que rendant les observations peu claires et obligeant à adopter une vision assez large, les épais rejointoiements, souvent utilisés pour les restaurations et consolidations depuis les années 1990, n’ont pas complètement oblitéré les évolutions dont témoignent les constructions. S’il faut s’en réjouir, on soupçonnera parfois qu’une lecture plus fine aurait permis de mettre en évidence plus de transformations, en particulier celles probablement liées aux réparations des séismes ayant frappé la ville à partir des années 60. La synthèse de l’évolution de l’îlot est assez difficile à lire graphiquement : l’insertion des adjonctions réalisées à chaque phase sur le plan correspondant à l’état de 79 brouille considérablement la compréhension.

Dans le fond, la principale objection que l’on peut adresser à ce livre reste qu’il aurait gagné à procéder à un examen critique beaucoup plus approfondi des sources disponibles, qu’il s’agisse de la documentation de fouille – souvent indigente quand elle n’a pas été perdue –, des objets – potentiellement moins fréquemment inventoriés que lors de périodes antérieures – ou des vestiges — lourdement restaurés et donc à peine exploitables. Il aurait ainsi été possible de poser des bornes à ce qu’il était permis d’attendre de l’étude de cet îlot.

Toute complexe à mener qu’elle soit, la comparaison avec la série consacrée à l’îlot du Ménandre (I 10) est inévitable. Une première limite tient, cela va sans dire, à la différence entre un projet qui a duré près de 30 ans, de l’étude de terrain à la publication – encore incomplète à ce jour –, et une thèse, réalisée par une personne seule, en 4 ans et publiée 3 ans après la soutenance. Indéniablement, le recours massif aux techniques numériques de représentation, principalement photographique, sert le propos, notamment dès lors que l’on aborde l’étude du bâti qui devient beaucoup plus compréhensible dans ses moindres détails. De la même manière, l’impression intégralement en couleurs facilite la lecture des photographies proposées en appui de l’étude. Je ne saurais trop insister sur l’avancée que constitue la publication in extenso des journaux de fouille subsistants : tout imparfaite qu’elle soit, il s’agit pratiquement d’une première à l’échelle d’un îlot[4]. Il aurait cependant été nécessaire de donner les autres sources disponibles, particulièrement les livres d’inventaire qui fournissent souvent des informations complémentaires – mais parfois contradictoires – à celles données par les journaux. Tout explicable que cela soit, il est regrettable que les objets ou les élévations n’aient bénéficié que de photographies et non de dessins. Ces derniers auraient véritablement été utiles dans le catalogue des artefacts, en particulier pour des confrontations typologiques, surtout quand celles-ci s’appuient sur une bibliographie un peu ancienne, comme c’est le cas pour les outils en fer. Certaines interprétations fonctionnelles paraissent parfois rapides ou insuffisamment fondées.

Certains choix éditoriaux restent étonnants[5]. Si l’iconographie est d’une très grande richesse dans la partie imprimée de l’ouvrage – 223 figures, 134 planches, toutes en couleurs –, il faut systématiquement atteindre la fin de chaque chapitre pour disposer d’un plan synthétique indiquant les numéros de pièces et la localisation des US construites, alors même que toutes les pages d’intertitres annonçant le changement d’unité d’habitation et donc de chapitre ont un verso non imprimé qui aurait pu recevoir une planche d’orientation générale. On regrette également que la plupart des plans souffrent d’un problème de définition les donnant comme légèrement flous, bien qu’ils ont été produits à partir du relevé géoréférencé établi dans le cadre du Piano della conoscenza dans la seconde moitié des années 2010.

Il faut accueillir cet ouvrage pour la documentation nouvelle qu’il dévoile. L’exemple qu’il constitue illustre une fraction de Pompéi moins connue, dégagée avec moins de précision, mais qui doit être prise en compte dans les réflexions plus générales sur la ville.

 

Notes

[1] Le premier à avoir été publié est l’îlot I 8 (Vincenzina Castiglione Morelli Del Franco et Raffaele Vitale, “L’insula 8 della Regio I. Un campione d’indagine socio-economica”, Rivista di Studi Pompeiani 3 (1989): 185‑221). La série de référence en la matière concerne l’îlot I 10, dit “du Ménandre », dont quatre volumes ont été publiés jusqu’ici, à propos des structures (cf. BMCR 1998.01.20), du trésor d’argenterie (cf. BMCR 2002.09.29), des enduits peints (cf. BMCR 2007.01.18) et des objets.

[2] Adolf Hoffmann, “L’architettura”, in Pompei 79. Raccolta di studi per il decimonono centenario dell’eruzione vesuviana, éd. par Fausto Zevi (Napoli: Gaetano Macchiaroli, 1984), 97‑118.

[3] Penelope M. Allison, Pompeian households. An analysis of the material culture, Cotsen Institute of Archaeology Monograph 42 (Berkeley: University of California Press, 2004); Penelope M. Allison, The insula of the Menander at Pompeii. Volume III, The finds: a contextual study (Oxford: Clarendon Press, 2006).

[4] Si les journaux de fouille ont été exploités dans les années 1990-2000, notamment par Joanne Berry ou Penelope Allison, ils n’ont pas été publiés. Seules la Casa dei mosaici geometrici et la Casa di Championnet ont bénéficié jusqu’ici d’une publication exhaustive de ces journaux (Sandra Zanella, La caccia fu buona. Pour une histoire des fouilles à Pompéi de Titus à l’Europe, Mémoires et documents sur Rome et l’Italie méridionale 10 [Naples: Centre Jean Bérard, 2019], 197‑333).

[5] On ne s’étendra pas sur certains manques qui sont déconcertants, comme l’absence de toute figure donnant la localisation exacte de l’îlot étudié dans le tissu urbain de Pompéi.