BMCR 2021.12.29

Governare l’impero. La “praefectura fabrum” fra legami personali e azione politica (II sec. a.C. – III sec. d.C.)

, Governare l'impero. La "praefectura fabrum" fra legami personali e azione politica (II sec. a.C. - III sec. d.C.). Stuttgart: Franz Steiner Verlag, 2021. Pp. 613. ISBN 9783515125222. €92,00.

Sommario

Conçu à l’origine comme une thèse de doctorat soutenue à l’Università di Pisa en 2017, l’ouvrage d’Alberto Cafaro, traite de la praefectura fabrum, communément appelée « préfecture des ouvriers », tout au long de son histoire, depuis l’époque républicaine jusqu’au début du IIIe siècle de notre ère. En résumé, il s’agissait d’un poste institutionnel, fruit d’une nomination directe de la part de magistrats cum imperio, qui définissaient les sphères de compétence des individus qu’ils désignaient à cette fin. Cependant, comme le précise avec justesse l’auteur dans son introduction, certains points qui restent problématiques ne feront pas l’objet d’un traitement particulier, parce que la documentation dont on dispose ne permet de toutes façons pas de fournir une explication satisfaisante. Citons par exemple la durée en fonction, les tâches précises qui leur sont conférées, leur statut équestre ou encore le rôle de la préfecture dans le panorama institutionnel et politique romain. En effet, aux yeux des chercheurs d’aujourd’hui, cette charge conserve encore un caractère quelque peu insondable. Deux raisons expliquent ce fait : d’une part, la disparité des sources, littéraires, essentiellement, pour la période républicaine, mais presque exclusivement épigraphiques pour l’Empire, avec pour corollaire la question de leur représentativité, loin de toute volonté statistique. D’autre part, les travaux actuels, qui, à l’exception des vieilles études globales du XIXe ou du début du XXe s., n’abordent cette thématique que de manière partielle, selon un critère chronologique, géographique ou dans le rapport avec l’ordre équestre.

Cafaro entend donc réexaminer cette question, en insistant sur les relations complexes de patronage-clientèle entre le magistrat et le préfet ou en dévoilant les liens qui les unissaient avec les communautés locales, au cœur d’un fructueux dialogue entre le centre (Rome) et la périphérie (l’Italie et les provinces). Pour ce faire, le propos du livre est divisé en trois parties : alors que la première présente une série de réflexions fondées sur les sources et les travaux contemporains, la deuxième et la troisième, quant à elles, sont respectivement consacrées à l’époque républicaine et impériale. Ensuite, viennent les conclusions qui précèdent le catalogue de 432 préfets des ouvriers connus sous l’Empire, la bibliographie et les index.

Dans la première partie, l’auteur s’attache tout d’abord à une présentation des sources, qui sont principalement littéraires pour l’époque républicaine : le témoignage le plus précoce que l’on a conservé se trouve dans un fragment de M. Aemilius Scaurus daté des environs de 115 avant notre ère et à la lecture de la documentation disponible on constate que la figure du magistrat cum imperio est systématiquement mise en valeur. Dans le même temps, on ne précise aucunement les fonctions du préfet, avec lequel existe une grande familiarité et l’accent est porté aux missions contingentes. En revanche, dans les sources épigraphiques, prépondérantes sous l’Empire (sans oublier toutefois l’allusion contenue dans la lex coloniae Genetiuae Iuliae de l’an 44 avant notre ère), il n’est pas fait état du magistrat qui les choisit, avec lequel du reste se maintient le lien de patronage. Ensuite, Cafaro passe en revue les positions défendues par les chercheurs actuels, depuis les travaux pionniers de Maué[1] et de Bloch[2] jusqu’à nos jours, sous oublier les réflexions de  Dobson[3], pour n’en citer que les plus exhaustifs. Pour clore cette première section, l’auteur s’intéresse au texte tardif de Végèce qui évoque la préfecture des ouvriers et dont il souligne la validité, malgré les tentatives de le discréditer.

L’époque républicaine est au cœur de la deuxième partie. Après un rapide rappel des sources disponibles, qui peuvent mener à des distorsions en raison à la fois de leur nature et de leur conservation aléatoire, mais aussi des informations qu’elles nous procurent, l’auteur évoque les références fondamentales sur le sujet (Welch et Badian).[4] Il en vient ensuite au contexte politique complexe et à son analyse qui le mènent à décrire les diverses interprétations émanant des écoles historiographiques contemporaines, pour certaines inspirées par la sociologie politique anglo-saxonne. C’est pourquoi il est nécessaire de replacer la préfecture des ouvriers dans le cadre plus large de la structure politique romaine pour le moins instable au cours du dernier siècle de la République. Basée sur un rapport de confiance entre les deux parties, parfois héréditaire, elle finit par devenir un instrument de la dynamique patronale. Cela lui confère une valeur politique indéniable, compte tenu de la position qu’occupe le magistrat cum imperio élu au terme d’une compétition féroce avec d’autres aristocrates et responsable en dernier recours de la nomination directe à ce poste. Afin d’illustrer cette situation, Cafaro examine avec force de détails le témoignage relatif à T. Turpilius Silanus, actif durant la guerre contre Jugurtha. Ce dernier fut le préfet malheureux de Q. Caecilius Metellus, rival de Marius qui le fit condamner à mort pour nuire à son adversaire, dont Silanus était l’affidé. Cette mésaventure confirme que le sort et la carrière future d’un préfet dépendaient grandement de l’influence du patron, qui pouvait le choisir pour ses compétences techniques, qui lui ouvraient peut-être les portes du consilium. Quoi qu’il en soit, le recrutement des préfets au sein des socii, puis des cités italiennes, au terme de la Guerre sociale, fruit d’un dialogue nourri entre les élites urbaines et les domi nobiles, sans qu’ils soient forcément equites Romani, ira en s’accélérant. Cela contribuera à l’intégration progressive de l’Italie, puis des provinces, en passant d’une relation d’égal à égal entre aristocrates de Rome et des cités de la Péninsule à un lien de patronage, dont tous tirent bénéfice, ainsi que l’illustrent les quinze biographies de préfets ayant vécu entre Sylla et Auguste, que l’auteur a rassemblées dans la dernière partie de cette section.

Avec l’avènement de l’Empire, se pose logiquement la question de la continuité ou de la rupture avec l’époque précédente. Le premier écueil que l’auteur rappelle à l’envi, tant le problème est lancinant, est celui des sources. L’épigraphie prend le pas sur les textes littéraires et la qualité de nos informations s’en ressent : on ignore ainsi généralement le nom du magistrat qui désigne le préfet. Quoi qu’il en soit, si la préfecture des ouvriers a quelque peu perdu de son éclat, puisque les sénateurs ne peuvent désormais plus, dans ce nouveau contexte politique pacifié, rivaliser avec le Prince, ce dernier leur laisse toutefois une certaine marge de manœuvre en leur permettant de continuer à choisir un chef de cabinet. En d’autres termes, le Principat n’a pas mis fin au patronage, ce qui explique le silence des sources. Un tel poste gardait toute son utilité pour les membres des élites locales italiennes, qui laisseront, d’ailleurs, de plus en plus la place aux notabilités provinciales. On attendait de ces hommes qu’ils soient loyaux, compétents du point de vue administratif et qu’ils aient une sensibilité politique. Pas de rupture non plus dans le profil social des préfets des ouvriers : la plupart sont ingénus, très souvent riches propriétaires fonciers et magistrats dans leurs communautés d’origine, parfois honorés du cheval public. Ils côtoient dans l’exercice de leurs fonctions, souvent la seule qui les mène hors de leur cité, d’autres préfets d’extraction affranchie et issus du monde des appariteurs. Ils peuvent être nommés à plusieurs reprises et par différents magistrats, pour une durée que nous ignorons. Au terme de leur service, une prestigieuse carrière équestre pouvait s’ouvrir à ceux qui en avaient l’ambition et les moyens, même s’ils parvenaient rarement au Sénat. L’impact des réformes de Claude, étudiée en son temps par Dobson (see n. 3),  sur la préfecture des ouvriers n’est pas à négliger, comme le rappelle Cafaro : les préfets auront désormais de moins de compétences militaires, tout comme leurs patrons, et cette charge sera dorénavant presque exclusivement l’apanage de notables locaux et/ou de chevaliers, tandis que les primipiles disposeront d’un cursus qui leur est propre. Ce schéma, marqué par le poids plus prégnant des provinces, se maintiendra au cours des décennies suivantes, avant un inexorable déclin menant à sa disparition avec la fin de la dynastie sévérienne. Les causes sont peut-être à attribuer à la perte d’attrait pour la fonction à un moment où la diffusion de la catégorie d’honestior se répandait au sein des groupes de propriétaires fonciers, qui constituaient le terreau où l’on recrutait les préfets des ouvriers. À cela, il faut adjoindre l’instabilité chronique postérieure à l’assassinat de Sévère Alexandre et les changements dans les modes de promotion, désormais accaparés et contrôlés par les militaires.

Après cet exposé chronologique viennent les conclusions, puis le catalogue prosopographique, auquel des renvois sont faits systématiquement dans le corps du texte. Ce répertoire présente les 432 préfets des ouvriers d’époque impériale connus à ce jour, dont 59 anonymes, auxquels pourraient être joints les 21 textes où la mention du poste est incertaine. Les individus sont rangés alphabétiquement et classés selon la chronologie : époque julio-claudienne, époque flavienne, puis l’époque de Nerva aux Sévères.

En conclusion, il faut reconnaître à Cafaro la méticulosité avec laquelle il a analysé et examiné sous tous ses angles la préfecture des ouvriers dont il balaie au passage quelques idées reçues. Il réhabilite la fonction dont les nombreuses études partielles parues au cours des dernières décennies, dont certaines rédigées par l’auteur de ces lignes, n’avaient pas permis de la juger à sa juste valeur. Grâce à un répertoire prosopographique, pour lequel on regrettera peut-être l’absence de tableaux qui, par exemple, auraient classé les préfets selon leur province d’origine, il en revendique la portée politique et l’importance à l’intérieur des réseaux de patronage et de clientèle, si indissociables des pratiques de gouvernement à Rome. En d’autres termes, une excellente mise au point sur un poste si familier aux chercheurs d’histoire impériale romaine, qui a reçu ici toute l’attention qu’il méritait et dont on ne peut que recommander la lecture stimulante et érudite.

Notes

[1]  H.C. Maué, Der Praefectus fabrum. Ein Beitrag zur Geschichte des römischen Beamtentums und Collegialwesens während der Kaiserzeit, Halle, 1887.

[2]  A. Bloch, Le praefectus fabrum, Le Musée belge 5, 1903, 106-131 et 7, 1905, 352-378.

[3]  B. Dobson, The Praefectus fabrum in the Early Principate, in M.G. Jarrett et  B. Dobson (eds.), Britain and Rome. Essays in Honour of Eric Birley on his Sixtieth Birthday, Kendal, 1966, 61-84.

[4]  K. Welch, The Office of Praefectus Fabrum in the Late Republic, Chiron 25, 1995, 131-145; E. Badian, Notes on a Recent List of Praefecti Fabrum under the Republic, Chiron 27, 1997, 1-19.