BMCR 2021.09.14

La fortuna umanistica di Elio Aristide

, La fortuna umanistica di Elio Aristide. Recherches sur les rhétoriques religieuses, volume 30. Turnhout: Brepols, 2019. Pp. 330. ISBN 9782503582375. €95,00.

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L’ouvrage de Daniela Caso est issu d’une thèse de doctorat préparée conjointement à l’Université de Strasbourg et à l’Università degli Studi di Torino. Composé globalement d’une introduction, de quatre chapitres et d’une conclusion, ce livre se recommande non seulement par son caractère innovant dans le domaine des études de réception, mais aussi par l’utilité et la finesse des analyses proposées.

Transmis dans l’Antiquité tardive puis dans l’Empire byzantin, le texte grec des discours d’Ælius Aristide (117-après 180 ap. J.-C.) fut introduit en Italie à partir de la toute fin du 14e siècle, en particulier grâce à Manuel Chrysoloras, diplomate et érudit né à Constantinople vers 1350-1355 et mort à Constance en 1415. Dans ce contexte, plusieurs humanistes entreprirent de traduire en latin l’œuvre du rhéteur mysien. Daniela Caso, qui a dressé la liste de toutes les traductions latines connues jusqu’en 1566, a choisi d’étudier quatre traductions effectuées entre 1416 et 1535. Il s’agit de deux traductions restées inédites, dues à Cencio de’ Rustici (1416) et à Niccolò Perotti (1472), quand les deux autres, œuvres de Carlo Valgulio (1497) et de Joachim Camerarius (1535), furent bien publiées, sans avoir été jamais réimprimées.

De manière générale, la recherche systématique du ou des manuscrits grecs que les traducteurs ont utilisés et l’évaluation précise de la qualité des traductions latines prises en examen jettent une lumière nouvelle sur la circulation de l’œuvre d’Aristide et sur les objectifs visés par les traducteurs. Chaque chapitre fournit en outre des éclaircissements précieux sur le contexte de production de la traduction considérée, sur l’humaniste qui en est l’auteur et sur le discours d’Aristide qui a été traduit. Pour chaque cas, sont fournies une édition et une traduction des préfaces, ainsi qu’une édition des traductions considérées.

L’introduction présente de manière efficace le succès dont Aristide a bénéficié depuis l’Antiquité, avec une œuvre transmise par près de 250 manuscrits. Si l’arrivée de son œuvre en Italie est effective dès la fin du 14e siècle, la réception en est attestée au moins depuis 1404, date à laquelle Leonardo Bruni compose sa Laudatio Florentinae urbis en s’inspirant du Panathénaïque.

Le premier chapitre est consacré à la traduction de l’hymne en prose Dionysos (or. 41) par Cencio de’ Rustici (né entre 1380 et 1390, mort en 1445), qui fut un élève de Manuel Chrysoloras et donc le premier traducteur d’un discours d’Aristide. Disponible grâce à deux manuscrits principaux, le Vat. Lat. 1883 et le Laur. Plut. 90 Sup. 42 (si celui de Florence est plus correct, les deux ne dépendent pas l’un de l’autre et dérivent probablement d’un antigraphe commun perdu), la traduction a été préparée au moment du Concile de Constance (lequel a donné lieu, semble-t-il, à de véritables bacchanales) et dédiée à un certain Pandolfo (probablement l’évêque Sigismond Malatesta de Rimini). La traduction, dont le modèle grec s’avère un manuscrit passé par Strasbourg et actuellement conservé à Wroclaw (Wroclaw Akc. 1949 Kn 60), paraît maladroite et obéit à des motivations d’ordre linguistique, Cencio prenant le texte (difficile) d’Aristide comme moyen de s’essayer lui-même à l’exercice de version. Le traducteur a cependant bien perçu l’inspiration rituelle (avec la mention liminaire du rêve fait par l’orateur) et le cadre sympotique de l’hymne en prose, lequel a été vraisemblablement prononcé au cours d’un banquet.

Le deuxième chapitre se focalise sur la traduction de la Monodie sur Smyrne (or. 18) par Niccolò Perotti (1429-1480), secrétaire du cardinal Bessarion. Le texte d’Aristide (un des derniers que Perotti a traduits) fait partie d’un corpus de monodies dédié à Pietro Foscari, un homme d’Église important. D. Caso liste les sept manuscrits que Perotti a pu consulter, tout en privilégiant les Marc. Gr. 419, 427 et (surtout) 442. Le travail de traduction manifeste ici un intérêt rhétorique pour le genre de la monodie et de réelles aptitudes littéraires, dans un contexte où Aristide est considéré comme un grand nom de l’éloquence, au même titre que Démosthène et Isocrate. Par des ajouts et des périphrases notamment, Perotti éclaire ce qui, chez Aristide, est concis ou économique dans l’expression, quand la tendance à l’embellissement se double d’une romanisation de certaines notions (par exemple agônes est traduit par bella, tropaiapar triumphi). L’édition de la traduction latine de la Monodie prend appui sur cinq témoins, dont Daniela Caso éclaire les relations en reconstituant un archétype : Vat. Lat. 6835 (manuscrit autographe), Vat. Lat. 8086, Vat. Lat. 8750, Neap. V.F.12 et Hisp. Lat. 7-1-35 (3).

La troisième chapitre traite du discours Aux Rhodiens, sur la concorde (or. 24), qui fut traduit par Carlo Valgulio (1434-1517), secrétaire du cardinal Cesare Borgia, dans un contexte de crise politique, après l’invasion et la retraite du roi de France Charles VIII. Alors qu’il s’est probablement servi du Vat. Gr. 932 ou du Vat. Gr. 933, le traducteur se réfère lui aussi à Cicéron et privilégie (ou abuse de) l’emploi de l’hendiadis pour amplifier certains passages. L’entreprise de traduction a ceci de particulier qu’elle se dote d’un message politique en faveur d’un rétablissement de la paix civique et de l’ordre social, comme en témoigne la préface adressée au cardinal Francesco Piccolomini, neveu de Pie II et lui-même futur Pie III. L’édition proposée a été établie à partir de l’incunable conservé à la Biblioteca Nazionale Universitaria di Torino (XV.VIII.99/2). Fait notable, la traduction de Valgulio était connue de Beatus Rhenanus, qui l’avait acquise en 1505 et qui, en 1523, s’en souvint quand il écrivit à ses concitoyens de Sélestat pour les exhorter à renoncer aux dissensions en période de troubles religieux.

Le quatrième chapitre aborde la traduction du Discours d’ambassade à Achille (or. 16) par Joachim Camerarius, aliasJ. Liebhard (1500-1574), ami de Philippe Melanchthon et universitaire de renom. Attestant le passage et le développement de l’enseignement du grec au nord des Alpes dans le contexte de la Réforme, ce travail s’inscrit dans un ensemble dédié à Ludovicus Carinus (Ludwig Kiel), un ami d’Érasme. La traduction, qui a dû être préparée à partir du manuscrit Marc. Gr. 428 (Mь) et qui illustre la permanence du modèle cicéronien, répond à un objectif didactique et se veut un outil propre à dispenser une formation rhétorique. L’édition proposée se fonde sur l’exemplaire imprimé 1 If30 conservé à la Bibliothèque du Grand séminaire de Strasbourg.

L’ouvrage comporte en outre toute une série d’outils qui en permettent un accès agréable : bibliographie, indices, liste des incunables et livres rares, reproduction des textes grecs d’Aristide pris dans les éditions de référence. En guise d’épilogue, un résumé détaillé en français de 11 pages permet une première approche stimulante – même si l’on peut imaginer qu’une version anglaise eût été encore plus utile pour toucher un public plus large.

Au total, l’ouvrage permet au lecteur de suivre les étapes majeures de la diffusion de l’œuvre d’Ælius Aristide en Europe occidentale. Dès le début du 15e siècle et jusque dans la première moitié du 16e siècle, Aristide fut un auteur lu, apprécié et commenté dans des contextes variés. Ce succès auprès des élites savantes de l’époque s’explique assurément par la singularité (et la difficulté) de la langue et du style d’Aristide, mais aussi par les formes oratoires et par les idées qu’il illustre et qui pouvaient aider à réfléchir sur les événements du temps présent. En ce sens, l’étude de Daniela Caso offre un accès inédit et passionnant à l’histoire de l’humanisme italo-rhénan.