BMCR 2020.06.10

Censorinus, Le jour anniversaire de la naissance

, , Censorinus, Le jour anniversaire de la naissance. Collection des universités de France. Série latine, volume 423. Paris: Les Belles Lettres, 2019. lxxxiii, 158 p.. ISBN 9782251014838. €39,00 (pb).

Gérard Freyburger est professeur émérite à l’Université de Strasbourg (France) et président de la section alsacienne de l’Association Guillaume Budé, qui préside à la publication des volumes de sources éditées par les Belles Lettres sous le nom de « Collection des Universités de France » (CUF). C’est un spécialiste reconnu de la religion romaine antique, féru de philologie. Agrégée de grammaire, Anne-Marie Chevallier est professeur honoraire de lettres classiques.

Le jour anniversaire de la naissance (De die natali) est une publication dans la grande tradition des Belles Lettres : présentation sobre, introduction substantielle, liste des abréviations, édition bilingue de la source en vis-à-vis, notes de bas de page donnant les diverses leçons du texte, notes de fin d’ouvrage éclairant ce même texte aux plans civilisationnels et historiques, bibliographie exhaustive, index nominum rerumque, et même un index græcus. Disons-le tout de suite, un régal pour l’utilisateur. On nous permettra malgré tout de regretter que les annexes complétant cet impressionnant appareil critique, ne soient vraiment pas à sa hauteur : en plus d’être énigmatiques, les images qu’elles reproduisent sont très difficiles à déchiffrer. Un petit effort, des éditeurs scientifiques pour accompagner ces images d’un bref commentaire (plutôt que la source moderne de l’image, au minimum la référence dans le De die natali, à savoir : 8,6 pour l’annexe 1 ; 8,7 pour l’annexe 2 ; et 8,9 pour l’annexe 3) et de la maison d’édition pour les rendre lisibles, aurait été souhaitable.

L’introduction est une pièce magistrale. Selon la loi du genre, elle présente l’auteur, le dédicataire de l’œuvre, toutes les questions liées à l’œuvre elle-même, sa matière, et enfin une étude philologique de détail s’achevant sur un exposé des principes retenus pour l’édition de l’œuvre. Le tout est mené comme une enquête au sens où Hérodote entendait le mot. De l’auteur, Censorinus, on apprend qu’il était un grammairien de renom dont, paradoxalement, seul le cognomenest parvenu jusqu’à nous, et que les éditeurs scientifiques proposent de rattacher à la gens des Marcii, qui donna deux consuls à Rome : comme il faut toutefois supposer beaucoup pour arriver à cette conclusion, nous préférons, comme Gérard Freyburger et Anne-Marie Chevallier, nous en tenir au fait qu’il s’agit d’une hypothèse plausible, peut-être même probable, mais sans plus. Cela n’empêche pas d’en savoir finalement beaucoup sur l’auteur du De die natali, du fait des nombreuses notations le concernant dont il a parsemé son œuvre : il vivait au début du iii siècle p. C. (lui-même ayant précisément daté son œuvre de 238, entre le 25 juin et le 28 août, donc en pleine « anarchie militaire »), étant alors âgé de nettement moins de 49 ans (l’âge du dédicataire de l’œuvre, Quintus Cærellius, « un chevalier important, mais non de premier plan »)[1] ; c’était un homme peu fortuné ― du moins s’en plaignait-il, peut-être à dessein ―, qui résidait vraisemblablement à Rome, bien qu’ayant tout aussi vraisemblablement été originaire d’Italie ; il maitrisait le latin et le grec et composa plusieurs ouvrages consacrés à des points de grammaire ― peut-être faut-il aussi lui attribuer un opuscule consacré aux disciplines de ce que Boèce devait désigner sous le nom de quadriuium ―, dont seul le De die natali est parvenu jusqu’à nous.

Sur le plan formel, le De die natali est « un florilège d’exposés relevant de disciplines très diverses […] une réunion de quæstiunculæ »,[2]  composé à l’occasion du quarante-neuvième anniversaire de Cærellius.[3] C’est un ouvrage érudit qui puise son information principalement dans les œuvres de Varron (propriétés des nombres, âges de la vie, calendrier) et de Suétone (données calendaires, peut-être tirées de Varron elles aussi), Censorinus ayant su garder une distance critique envers ses sources. Sur le plan formel, le De die natali est caractérisé par un style « d’une certaine élégance teintée d’archaïsme »[4]  ainsi que par la breuitas qui, selon Gérard Freyburger et Anne-Marie Chevallier expliquerait le fait que l’œuvre paraisse inachevée, thèse défendue jusqu’alors par beaucoup d’éditeurs modernes de cette source.[5] Le De die natali est une source d’information particulièrement intéressante pour ce qui concerne les conceptions religieuses des Romains. Intéressante d’abord par son silence à propos du christianisme dont les éditeurs scientifiques rappellent avec justesse qu’il est « pourtant déjà bien implanté dans l’Empire à cette époque »,[6] avant d’ajouter que « c’est dans le strict cadre du paganisme traditionnel que la religion fait l’objet d’exposés dans le De die Natali, mais d’un paganisme revu à la lumière du pythagorisme  »,[7] encore une fois sous l’influence de Varron. À ce titre, l’œuvre de Censorinus témoigne que la religion traditionnelle de Rome, loin d’avoir alors été dans un état de déliquescence avancé était encore vivace et connaissait même un regain dans « une période de retour à la tradition et de restauration religieuse, notamment sous Gordien III »[8] : peut-être faudrait-il néanmoins distinguer les intentions du pouvoir et des élites, de l’attachement effectif des masses, sur lesquelles nous ne sommes malheureusement guère informés. Parmi les autres apports importants du De die natali on notera un chapitre sur le genius (De die natali, 3), un sur l’origine des hommes (ibid., 4), deux sur la génération humaine (ibid., 5-6), un à propos de la notion de siècle (ibid., 17), un consacré au calendrier romain (ibid., 20) et un autre au calcul des heures (ibid., 23-24), en plus de nombreuses spéculations sur les nombres qui parcourent le texte.

Pour leur édition, Gérard Freyburger et Anne-Marie Chevallier, en évitant toute correction inutile, ont favorisé la meilleure des leçons données soit par le manuscrit C (Coloniensis Latinus 166, de la charnière des viie et viiie siècles) soit par le manuscrit V (Vaticanus Latinus 4929 du milieu du ixe siècle), c’est-à-dire le plus ancien manuscrit et un autre d’une relative ancienneté par rapport à l’ensemble du corpus conservé qui s’étend jusqu’au xviie siècle, un seul autre manuscrit ayant pu être écrit entre le C et le V, le P (Palatinus Latinus 1588 du ixe siècle, sans plus de précision), mais qui se révèle assez fautif. Les manuscrits C et V présentent par ailleurs l’avantage de donner du texte une leçon très proche, la défense de leur choix par les éditeurs scientifiques étant exposée à travers de longues pages techniques qui forcent le respect par leur niveau d’érudition (p. lxv-lxxix).

Si l’on doit adresser quelques très menus reproches à Gérard Freyburger et Anne-Marie Chevallier à propos de cette introduction, ce sera d’avoir parfois pêché par excès dans leur volonté de démonstration, ce qui donne parfois à cette dernière un tour un peu touffu, par exemple quand il s’agit d’identifier l’auteur du De die natali (p. vii-xii). Par ailleurs on repère quelques redites dans l’introduction, peut-être dues au fait qu’elle aurait été écrite à quatre mains. Enfin, le fait d’ajouter en note le latin des passages cités dans l’introduction l’alourdit inutilement, alors même que le but de cette publication est de donner le texte latin en regard de la traduction. Mais aucun de ces points de détail ne diminue la qualité d’un travail véritablement ébouriffant qui livre une édition impeccable du texte.

Notes

[1] Le jour anniversaire de la naissance, p. xxi & xxviii.

[2] Ibid., p. xvi.

[3] Ayant dépassé quarante-neuf ans, Cærellius voyait s’ouvrir de nouvelles perspectives, le chiffre sept ayant un caractère climatérique pour les Romains (De die natali, 14, 9) et quarante-neuf étant la combinaison de deux sept.

[4] Ibid., p. lx.

[5] L’argument avancé par Gérard Freyburger et Anne-Marie Chevallier allant dans le sens de la thèse d’une œuvre complète paraît convaincant (ibid., p. xxix), à savoir celui d’un plan s’achevant « d’une façon un peu abrupte » (id.) certes, mais terminant par la présentation annoncée de la dernière heure de la journée, à savoir media nox.

[6] Ibid., p. xlvii. Nous suivrons en revanche moins les éditeurs scientifiques quand ils estiment que le christianisme « pourrait néanmoins être présent en arrière-plan » (id.) dans le De die natali : à vrai dire, nous n’en avons vu nulle part la trace. Cela aurait d’ailleurs été particulièrement étonnant ― et même incongru ― eu égard à la personnalité du dédicataire et au fait que l’ouvrage lui fut offert à l’occasion de son anniversaire, ce qui ne portait guère à faire allusion à une religion alors honnie d’une grande partie des élites romaines. Peut-être les éditeurs scientifiques ont-ils perçu une influence discrète du christianisme dans la coloration très légèrement hénothéiste de certains passages du De die natali, mais, en dehors du fait que cela n’étonnera pas dans la Rome de cette époque, la formulation de ce discret hénothéisme ne doit absolument rien au christianisme, mais tout au courant néo-platonicien qui s’est imposé précisément au iiie siècle, ainsi l’allusion aux « […] deis inmortalibus, qui ex anima constant diuina […] (« dieux immortels, qui procèdent de l’âme divine » : De die natali, 12, 2). Notons aussi la mention furtive de la semaine juive (ibid., 11, 6).

[7] Ibid., p. xlvii.

[8] Ibid., p. xlix.