BMCR 2020.12.32

Théophraste. Les signes du temps. Les vents

, Théophraste. Les signes du temps. Les vents. Collection des universités de France. Série grecque, 547. Paris: Les Belles Lettres, 2019. Pp. l, 182. ISBN 9782251006338. €39,00 (pb).

Ce volume vient compléter l’entreprise de réédition et de traduction en langue française de l’œuvre de Théophraste au sein de la Collection des Universités de France, entreprise dont Suzanne Amigues, reconnue pour ses travaux sur la botanique antique, est la cheville ouvrière en ce qui concerne la partie de l’œuvre relevant de l’étude de la nature. On doit déjà en effet à la même éditrice le traité sur Les Pierres, les 5 volumes des Recherches sur les Plantes (Historia plantarum) et les 3 volumes des Causes de phénomènes végétaux (De causis plantarum) dans cette même collection.

Les deux textes réunis ont été transmis par la tradition sous les titres De signis et De ventis. Malgré la liste des œuvres établie par Diogène Laërce (V, 36-57), la question de l’attribution au même auteur a été posée dès les premières éditions imprimées, l’authenticité du De signis ayant été largement mise en doute. Selon Suzanne Amigues, il ne subsiste cependant aucune raison de maintenir ce doute. Le De ventis renvoie à un ouvrage antérieur de météorologie qui ne saurait être que le De signis. Amigues situe la rédaction de l’exposé sur Les signes du temps (Περὶ σημείων ὑδάτων καὶ πνευμάτων καὶ χειμώνων καὶ εὐδιῶν) dans la jeunesse de Théophraste, entre 333 et 330. Elle fonde en particulier sa démonstration sur l’analyse du prologue, qui affirme la modestie de son auteur par rapport à l’entreprise littéraire dans laquelle il se lance. Bien que nous retenions volontiers cette chronologie, nous relevons une légère contradiction dans les termes de l’exposé, puisque l’éditrice relève également, à juste titre, que cette posture de la modestie constitue un procédé rhétorique topique ; on la retrouve en effet chez nombre d’auteurs, y compris parmi les plus rompus à l’écriture. Il faut donc accepter de ne pas prendre Théophraste au mot sur ce point. Notons toutefois que cette affirmation relevant d’un êthos ne revient pas aussi explicitement dans le reste de l’œuvre. Quant au traité sur Les vents (Περὶ ἀνέμων), Amigues situe la rédaction après 310.

Parmi les points saillants de la présentation, il faut retenir l’analyse de la forme et du style de l’auteur, dont les analogies avec la littérature chaldéenne sont précisément mises en valeur. La séquence protase/apodose, si caractéristique des écrits cunéiformes relevant de l’interprétation des signes, est en effet à l’œuvre dans l’exposé de Théophraste. S’appuyant sur le commentaire de Proclus au Timée, Amigues montre avec justesse l’influence de l’« interprétation ‘orientale’ des signes de toute nature » (p. xviii).

Elle rappelle également que Théophraste a pu être considéré comme le « père de l’écologie », en invoquant deux passages importants de l’oeuvre (Historia plantarum, IV, 1, 1 ; De causis plantarum, V, 4, 2-6). L’exposé liminaire comme les notes mettent en avant ce qui fait le fond méthodologique propre à l’auteur, c’est-à-dire l’appui constant sur les faits d’expérience. Selon Amigues, cette démarche témoigne d’une continuité entre les deux écrits et renforce par conséquent la thèse de l’authenticité du De signis. Théophraste affirme son refus des déductions tirées du seul raisonnement, prenant ainsi une distance marquée par rapport à l’approche de son maître Aristote.

La notice propose un sommaire des deux textes, synthétique mais précis, qui s’avère très utile pour consulter le texte sur une recherche ciblée. Les indices viennent compléter celui-ci.

Il est important de bien préciser quelle est la part du travail éditorial effectué par Amigues. Pour le De signis, elle se fonde sur l’édition par Sider-Brunschön (Brill, Leiden & Boston, 2007) dont elle vante le soin et la minutie ; elle reprend donc pour l’essentiel ce texte, tout en proposant un apparat critique très détaillé. L’établissement du texte du De ventis tire également grand profit des éditions récentes mais n’en prend aucune en particulier comme base de référence ; Amigues réalise en quelque sorte un travail de synthèse par comparaison. On pourrait être tenté de contester la démarche mais, outre le fait que l’éditrice explique clairement son parti pris et sa méthode, on peut voir dans cette approche une forme de pragmatisme efficace et nécessaire dans l’état actuel des études philologiques. S’il existe encore de nombreux textes requérant un travail d’établissement et d’édition complet, le dynamisme éditorial des dernières décennies a également permis la production de nombreuses éditions de grande qualité. On ne verrait pas l’intérêt de se consacrer à reprendre à nouveau frais ce travail pour aboutir à une version du texte sensiblement identique. Seule l’identification de nouveaux témoins manuscrits pourrait justifier l’entreprise. Amigues s’est donc surtout concentrée sur la traduction et l’analyse de ces deux traités, tout en exerçant ponctuellement ses compétences d’éditrice à chaque fois que cela semblait nécessaire.

Ainsi, même si son travail ne nous livre pas à proprement parler un texte nouveau, il n’en est pas moins fort précieux pour notre connaissance de l’œuvre de Théophraste. L’honnêteté intellectuelle remarquable dont fait preuve Suzanne Amigues à cet égard, en explicitant ce dont elle est redevable, n’est pas le moindre des mérites de ce volume.