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Au moment où paraissent chez le même éditeur, deux tomes sur les Étrusques,1 G.D. Farney et G. Bradley fournissent un imposant volume consacré aux peuples de l’Italie préromaine. On ne peut que se réjouir de disposer de sommes importantes, en anglais, portant sur le peuplement et l’histoire de la Péninsule italienne au I er millénaire avant J.-C. Ce volume, contrairement à ce que les curateurs affirment en préambule, n’est certes pas le premier à présenter un cadre complexe du peuplement de l’Italie préromaine.2 Les ouvrages antérieurs sont d’ailleurs amplement utilisés et cités par les auteurs des différentes contributions.
L’ouvrage est divisé en deux parties : la première traite de thèmes transversaux (l’économie, la diversité linguistique, la religion…) et des grandes phases historiques (la conquête romaine, la 2 e guerre punique, la guerre sociale) ; la seconde est consacrée à des contributions portant chacune sur une population, en partant de l’extrême sud de la Péninsule et en remontant vers le nord, jusqu’à la plaine du Pô, qui est fort heureusement incluse. Cette volonté manifeste d’exhaustivité et de ne pas surévaluer la présence d’une population par rapport à une autre nous vaut ainsi des synthèses d’autant plus intéressantes qu’elles sont rares sur les Aurunces, sur les Vestins, sur les Falisques et les Capénates etc. On s’étonnera alors de quelques omissions : si l’Italie centrale est bien décrite avec des contributions sur les Samnites, les Vestins, les Èques ou sur les Marses, pourquoi ne trouve-t-on rien sur les Péligniens ou sur les Marrucins? De même, si un effort très louable est fait pour présenter les populations de Cisalpine (Ligures, Celtes, Vénètes), pourquoi a-t-on fait l’impasse sur les Rhètes et sur toutes les populations du versant italien des Alpes, qui appartiennent pleinement à l’espace cisalpin et font partie—notamment comme adtributi aux villes du piedmont—de l’Italie romaine? Les Rhètes et les populations de la Val Camonica n’apparaissent que dans la contribution de D.F. Maras sur les inscriptions. Ces omissions sont d’autant plus surprenantes qu’on évoque dans un des chapitres les « Prétutiens » (O. Menozzi et A. Chiarico, p. 579-602), dont l’existence en tant que groupe ethnique est loin d’être évidente.3 De la même manière, alors que les peuples d’Italie sont constamment décrits dans le cadre de leurs relations avec Rome, on peut déplorer que les interactions avec le monde méditerranéen (Phéniciens et Puniques, Grecs), avec les îles, avec l’Illyrie et le monde celtique continental n’aient pas fait l’objet d’un traitement spécifique. Un chapitre sur la Grande Grèce semblerait en particulier indispensable. Les poleis grecques, qui n’apparaissent guère ici que dans la contribution de M.W. Horneaes sur la monnaie, sont pourtant une réalité incontournable et participent pleinement de l’histoire de l’Italie préromaine.
Les contributions sont toutes globalement de qualité, même si, inévitablement, d’un niveau parfois un peu inégal. Si plusieurs textes se bornent à reproduire ou à énumérer un certain nombre de données (les informations contenues dans la Géographie de Strabon, sans aucune considération pour la Cisalpine pourtant largement décrite par le géographe d’Amasée pour D.W. Roller, p. 27-34, les différentes émissions monétaires pour H.W. Horneaes, p. 35-61 ou les différentes langues d’Italie pour N. Zair, p. 127-148), d’autres proposent fort heureusement de bonnes synthèses, comme D. Briquel sur la question de l’horizon mythographique (p. 11-26), D.F. Maras sur l’épigraphie et l’onomastique (p. 63-88, avec notamment la question de la mise en place du système gentilice) et M. Di Fazio sur la religion (p. 149-172). Deux dossiers en particulier retiennent l’attention : la question de l’identité ethnique elle-même et celle des différentes étapes de la « romanisation ».
Le premier de ces thèmes transversaux est donc la question de l’expression et de la perception des différences, à travers les manifestations de l’ethnicité, et de l’existence même des peuples. Deux contributions reviennent sur les critères de définition des différents ensembles ethniques. E. Benelli (p. 89-103) rappelle les difficultés d’attribution de la documentation archéologique à des étiquettes ethniques définies par les sources littéraires, en prenant l’exemple du matériel des nécropoles d’Italie centrale. Dans le même ordre d’idée, R. Scopacasa (p. 105-126) expose de façon très claire les enjeux du phénomène de définition ethnique (ethnicité)—même si on peut lui reprocher (p. 105) de mettre dans la même catégorie ethnè (peuples) et populi (qui correspondent à des unités politiques). Il passe en revue les éléments sur lesquels se fondent l’identité ethnique d’un groupe, notamment le nom ethnique (manifesté dès le Ve s. avec le terme safin- à Penna Sant’Andrea ou avec la légende monétaire Kampanos), le territoire et ses frontières, les éléments culturels et enfin les liens entre identité ethnique et organisation politique—les identités ethniques servant souvent de « ciment » pour les ligues et autres groupes « confédéraux ».
Le deuxième thème transversal—la conquête, l’intégration de l’Italie dans le système confédéral romain et la romanisation culturelle qui en découle—court à travers 7 contributions. S. Roselaar (p. 173-190) tente le tour de force de retracer l’évolution socio-économique de l’Italie du VIII e au I er s. av. J.-C. environ, ce qui la contraint à insister sur les phénomènes généraux (le grand commerce étrusque, l’exploitation de l’ ager publicus et le développement des cultures spéculatives, de l’élevage transhumant et du commerce italien en Méditerranée aux IV e -II e s., les productions de grandes séries céramiques, l’augmentation démographique et la proportion toujours croissante de population de statut servile). G. Bradley et J. Hall (p. 191-214) retracent les grandes étapes de la conquête et le développement de l’impérialisme romain ; deux de ces étapes sont analysées de façon plus détaillée par M.P. Fronda (p. 215-230 : le rôle des Italiens dans la 2 e guerre punique) et F. Santangelo (p. 231-253), dans deux belles contributions qui mettent en évidence les lignes de fractures internes (entre communautés d’un même peuple ou entre « plèbes » et « nobles » d’une même cité). L’intégration dans le système militaire et politique romain est ensuite envisagée par P.A. Kent, qui décrit le fonctionnement des foedera et de la formula togatorum (p. 255-268) et par T.D. Stek qui fournit une synthèse très à jour sur les débats actuels touchant à la colonisation romaine et latine et à son impact culturel, économique et politique (p. 269-294), en montrant que la colonisation n’est plus tellement considérée désormais comme l’imposition d’un modèle urbain par Rome, mais plutôt comme une série d’expériences pragmatiques, de cohabitations et d’interactions multiformes entre « colons » et « indigènes ». R. Roth enfin prolonge ces réflexions (p. 295-317) en dressant un bilan des discussions autour de la question complexe de la « romanisation » et en mettant en avant les concepts très en vogue de « networks », de « cultural connectivity » et d’« agency ».
Ces deux grands thèmes laissent toutefois de côté certaines questions qui auraient mérité d’être exposées plus clairement. Il manque une synthèse sur les formes d’organisation politique—qui ne sont évoquées qu’à travers les différentes contributions régionales, celle de G. Tagliamonte sur les Samnites notamment. Le phénomène des tombes « princières » et la mise en place des systèmes monarchiques, maintes fois évoqués à propos des Étrusques, des Latins, des Vestins, des Picéniens etc., la généralisation de la cité-État et l’organisation des magistratures, le fonctionnement des ligues (commandement militaire, représentation des populi, diplomatie), toutes ces questions auraient pu faire l’objet d’un chapitre de synthèse. De même, l’organisation territoriale, le phénomène urbain ou la remise en cause du concept d’organisation paganico-vicanica, désormais tombé en désuétude mais auquel certaines contributions font encore référence (O. Menozzi et V. Acconcia, D. Manconi) auraient mérité un traitement plus développé.
La seconde partie présente donc (presque) toutes les populations de la Péninsule, en 19 contributions. On pourra bien sûr lire individuellement chacun de ces textes et y chercher des informations sur les populations afférentes. Je conseillerais toutefois une lecture en continu de l’ensemble, car elle met clairement en lumière—tant les textes se répondent l’un l’autre —un certain nombre d’évolutions conjointes : l’émergence des identités et de la structuration sociale à l’extrême fin de l’Âge du Bronze, le renforcement des inégalités et l’affirmation d’élites politiques guerrières au début de l’Âge du Fer, les processus graduels de concentration démographique et d’urbanisation, précoces (dans le Latium, en Étrurie, en Campanie, en Vénétie, dans le monde « golasecchien ») ou plus tardifs (en Apulie, dans le Samnium, en Ombrie), la persistance dans certaines régions d’une organisation plus décentralisée ou polynucléaire, les transformations progressives qui suivent l’insertion dans le système politique romain, avec la réorganisation des réseaux routiers ou du système productif, la participation à la formula togatorum, l’insertion des familles autochtones dans les ordres supérieurs romains etc.
La plupart de ces contributions proposent une heureuse synthèse des informations tirées de la documentation littéraire, de l’épigraphie étrusque, osque etc. et de la documentation archéologique, avec parfois des références à des découvertes très récentes, qui ont bouleversé nos connaissances (comme la fouille des nécropoles de Satricum présentée par M. Gnade, p. 461-472) ; tout au plus pourra-t-on regretter que quelques textes se limitent à l’analyse de la documentation littéraire. Le découpage chronologique varie, selon que les auteurs aient choisi de commencer leur présentation aux premières manifestations d’une culture matérielle distincte, en général à la fin de l’Âge du Bronze, ou qu’ils soient partis plutôt des premières mentions dans les textes de ces populations, nettement postérieures (à partir du V e s. av. J.-C. par exemple pour les Bruttiens ou les Lucaniens). Dans l’ensemble, le propos est toujours au fait des dernières découvertes et stimulant ; les textes sont soignés, à quelques exceptions près (quelques fautes comme « ethnoi » qui revient plusieurs fois sous la plume de R. Haüssler, p. 723 (3 fois), 725, 726… ; une carte de la Sabine, p. 545, qui n’inclut pas Amiterne… ; Grumentum qui est localisé « en Apulie », p. 239). Chaque contribution insiste bien entendu sur des points particuliers : l’organisation politique des communautés bruttiennes est bien mise en lumière par L. Cappelletti, l’évolution socio-économique des peuples d’Apulie (Dauniens, Peucétiens, Messapiens) par D. Yntema, la différenciation sociale dans les nécropoles latines par F. Fulminante (p. 473-497 ; mais manquent dans cette contribution des informations sur la ligue latine et sur la relation des Latins avec Rome…), l’organisation territoriale décentralisée des Marses par C. Letta, les situations d’inter-culturalité et de mixité ethnique par S. Paltineri et R. Haüssler etc.
Les illustrations sont abondantes, mais curieusement assez mal réparties. Certains chapitres proposent des illustrations de qualité (D. Yntema sur l’Apulie ; G. Tagliamonte sur les Samnites ; O. Menozzi et V. Acconcia sur les Vestins ; S. Paltineri pour les Ligures), alors que d’autres n’en proposent que peu (une carte assez peu lisible dans le chapitre d’E. Benelli sur les Èques ; id. pour J.W. Wonder et les Lucaniens), voire pas du tout (C.J. Smith sur les Aurunces et Sidicins ; C. Letta sur les Marses ; G.D. Farney et G. Masci pour les Sabins ; R. Haüssler pour les Gaulois). Certains textes décrivent même les processions sur les cippes de Chiusi ou les fresques de Paestum alors que les objets correspondant ne sont pas montrés. Il aurait par exemple été possible de proposer des photographies ou du tumulus de Corvaro, de tombes ou de nécropoles de Cerveteri, Orvieto ou Tarquinia, de l’inscription de Prestino, des plans d’agglomérations lucaniennes, des images des imposantes murailles des villes herniques etc.
Malgré leur caractère disparate et quelques approximations, ces contributions apportent toutefois une quantité impressionnante d’informations et proposent une riche moisson de références bibliographiques, qui permettront d’approfondir les différentes questions. Les chapitres de synthèse de la première partie fournissent de même une base solide pour une entrée en matière dans « l’histoire de la première Italie ».4
Table des matières
Farney, Gary D., Bradley, Guy, Introduction, p. 1-8.
Themes in the Study of the Ancient Italian Peoples
Briquel, Dominique, “How to Fit Italy into Greek Myth ?”, p. 11-25.
Roller, Duane W., “Strabo and Italian Ethnic Groups”, p. 27-34.
Horsnæs, Helle W., “Ancient Italian Numismatics”, p. 35-61.
Maras, Daniele F., “Epigraphy and Nomenclature”, p. 63-88.
Benelli, Enrico, “Problems in Identifying Central Italic Ethnic Groups”, p. 89-103.
Scopacasa, Rafael, “Ethnicity”, p. 105-126.
Zair, Nicholas, “Languages of Ancient Italy”, p. 127-148.
Di Fazio, Massimiliano, Religions of Ancient Italy, p. 149-172.
Roselaar, Saskia T., “Economy and Demography of Italy”, p. 173-190.
Bradley, Guy, Hall, Joshua, “The Roman Conquest of Italy”, p. 191-214.
Fronda, Michael P., “The Italians in the Second Punic War”, p. 215-230.
Santangelo, Federico, “The Social War”, p. 231-253.
Kent, Patrick Alan, “The Italians in Roman Armies”, p. 255-268.
Stek, Tesse D., “The impact of Roman expansion and colonization on ancient Italy in the Republican period. From diffusionism to networks of opportunity”, p. 269-294.
Roth, Roman, “Beyond Romanisation : settlement, networks and material culture in Italy, c. 400-90 BC”, p. 295-317.
The Peoples of Ancient Italy
Cappelletti, Loredana, “The Bruttii”, p. 321-336.
Yntema, Douwe, “The Pre-Roman Peoples of Apulia, (1000-10 BC)”, p. 337-367.
Wonder, John W., “The Lucanians”, p. 369-384.
Mermati, Francesca, “The Campanians”, p. 385-418.
Tagliamonte, Gianluca, “The Samnites”, p. 419-446.
Smith, Christopher J., “The Aurunci and Sidicini”, p. 445-460.
Gnade, Marijke, “The Volscians and Hernicians”, p. 461-472.
Fulminante, Francesca, “The Latins”, p. 473-497.
Benelli, Enrico, “The Aequi”, p. 499-507.
Letta, Cesare, “The Marsi”, p. 509-518.
Menozzi, Oliva, Acconcia, Valeria, “The Vestini”, p. 519-542.
Farney, Gary D., Masci, Giulia, “The Sabines”, p. 543-557.
Tabolli, Jacopo, Neri, Sara, “The Faliscans and the Capenates”, p. 559-578.
Menozzi, Oliva, Ciarico, Alessandra, “The Picentes / Piceni”, p. 579-602.
Manconi, Dorica, “The Umbri”, p. 603-636.
Macintosh Turfa, Jean, “The Etruscans”, p. 637-671.
Paltineri, Silvia, “The Ligurians”, p. 673-699.
Lomas, Kathryn, “The Veneti”, p. 701-717.
Haeussler, Ralph, “The Galli”, p. 719-754.
Notes
1. Quant à l’autre volume, voir A. Naso (éd.), Etruscology, 2 vol., Boston; Berlin, 2017 (cf. BMCR 2018.08.14).
2. Cf. les deux volumes, richement illustrés, Italia omnium terrarum alumna. La civiltà dei Veneti, Reti, Liguri, Celti, Piceni, Umbri, Latini, Campani e Iapigi (Milan, 1988) et Italia omnium terrarum parens. La civiltà degli Enotri, Choni, Ausoni, Sanniti, Lucani, Brettii, Sicani, Siculi, Elimi, (Milan, 1989), le petit ouvrage dirigé par F. Pesando ( L’Italia antica. Culture e forme del popolamento nel I millenio a.C., Rome, 2005), le volume dirigé par G. Bradley, E. Isayev, C. Riva, Ancient Italy. Regions without Boundaries (Exeter, 2007), ainsi que la synthèse consacrée au même thème par l’auteur de ces lignes (S. Bourdin, Les peuples de l’Italie préromaine. Identités, territoires et relations inter-ethniques en Italie centrale et septentrionale (VIII e -I er s. av. J.-C.), Rome, 2012, BEFAR 350) et encore récemment M. Aberson, M.C. Biella, M. Di Fazio, M. Wullschleger (éd.), Tra archeologia e storia. Dialoghi sulle popolazioni dell’Italia preromana, Francfort, 2014.
3. A. La Regina, Il Guerriero di Capestrano e le iscrizioni paleosabelliche, dans L. Franchi Dell’Orto (dir.), Pinna Vestinorum e il popolo dei Vestini, Rome, 2010, p. 230-273.
4. M. Pallottino, Storia della prima Italia, Milan, 1984.