William D. Furley nous propose ici une édition critique et commentée des Epitrepontes de Ménandre. Celle-ci est d’une rare qualité et d’une exhaustivité sans tâche. La dimension pédagogique de certaines parties le dispute à la scientificité de l’ensemble. C’est donc le résultat particulièrement réussi d’un travail scientifique exemplaire. L’ouvrage est divisé en cinq chapitres, sans compter les annexes.
Le premier chapitre correspond à l’introduction (p. 1-35). William D. Furley y présente utilement un résumé précis de l’intrigue (toujours précieux quand on lit une comédie de Ménandre). La suite de l’introduction, sans être une présentation systématique de la pièce, met l’accent sur les problèmes principaux de la poétique de Ménandre et de la représentation de ses pièces qui permettent d’apporter l’éclairage qui convient à la pièce ici étudiée. Le premier point concerne les rapports de Ménandre et de la tragédie. Il commence par un parallèle suggestif avec la série Friends, puis souligne avec raison la précaution qu’il faut prendre quand on veut parler de métathéâtralité : mais je ne suis pas certain que cet emploi conduise nécessairement à une rupture délibérée de l’illusion dramatique (p. 5-6) ; c’est une chose certaine que les spectateurs d’une pièce aient toujours conscience d’être au théâtre ; c’en est une autre que le dramaturge joue avec cette conscience même. William D. Furley montre bien quelle est la particularité de l’emploi de la tragédie par Ménandre, employée non pour créer de la paratragédie, mais pour renforcer l’effet comique. Le deuxième point d’analyse dans l’introduction concerne le prologue perdu de la pièce dont l’absence pose de réels problèmes pour la lecture. William D. Furley, tout en reprenant les analyses déjà existantes, propose que ce prologue pourrait être prononcé par une personnification de la Réconciliation (Diallagè), en raison des références à cette situation qui parcourent la pièce. Le point suivant, très développé, est consacré aux différents problèmes posés par la mise en scène, qu’il s’agisse de la date de la représentation, des jeux de scènes, de la distribution des répliques entre les personnages et des rôles entre les trois acteurs (auxquels William D. Furley ici se limite), de la langue comique (qui mêle volontiers la langue philosophique et le langage quotidien) et de la métrique dont les effets sont toujours très ponctuels. L’avant-dernier point est plus historique et concerne l’arrière-plan juridique de la pièce dont le titre reflète une scène capitale, celle de l’arbitrage. La spécificité de la scène éponyme ici réside essentiellement dans le choix du juge (laissé au hasard) et dans l’état de servitude des parties. Le dernier point de l’introduction présente les différentes sources qui nous livrent, de manière parcellaire, le texte de Ménandre : la liste de la p. 32 donne utilement, pour les différentes sections du texte, les sources correspondantes.
Le deuxième chapitre donne le texte de la pièce (p. 37-80). La liste des personnages est d’abord livrée dans l’ordre d’apparition. On notera l’usage judicieux de vignettes représentant des masques qui correspondent aux personnages en question : ces vignettes sont ensuite reprises dans le texte, en marge de droite, en guise de didascalies, pour signifier les entrées et sorties des personnages. Cet usage a ceci de judicieux qu’il opère sur un autre niveau que le texte lui-même et qu’il facilite également la lecture. Le texte est présenté avec grand soin, et pour ne pas imputer à Ménandre ce qui ne relève que de conjectures, William D. Furley a choisi d’imprimer en gris tous les ajouts qui ne sont pas livrés par les sources. Toutefois cette pratique ne semble pas systématique et l’on ne comprend pas toujours clairement ce qui justifie l’emploi du gris ou du noir dans les passages conjecturaux (par ex. v. 17, 358-9, 920…).
Le chapitre 3 (p. 81-92), qui vient compléter l’apparat critique de certains passages délicats (150-164, 657-670, 676-710, 786-835, 1128-1144), est particulièrement heureux et bien venu : le choix de couleurs différentes pour faire apparaître dans le texte les différentes sources papyrologiques qui se complètent est très éclairant, même pour qui ne pratique pas la papyrologie. Ce décorticage du texte met très bien en évidence l’importance du travail de l’édition et la fragilité du texte de Ménandre. C’est à mon sens le chapitre le plus novateur de cette édition de William D. Furley dont il révèle les grands talents scientifiques et pédagogiques. L’un ne va pas sans l’autre !
Le chapitre 4 donne une traduction nouvelle de la pièce (p. 93-118), dans laquelle William D. Furley ajoute quelques indications didascaliques quand elles permettent de mieux comprendre à qui parle un personnage ou dans quelle situation se trouve le locuteur.
Le chapitre 5 est le plus long (p. 119-257) et consiste en un commentaire linéaire de la pièce, scène après scène. Il est difficile de rendre compte en un si bref espace des qualités multiples de ce commentaire. Tous les aspects du texte sont l’objet de l’attention de William D. Furley : les problèmes d’édition, d’attribution des répliques sont soigneusement justifiés (voir à titre d’exemple à la p. 139sq la présentation du fragment Onov : P.Oxy. 4641). Les scènes sont commentées dans leur ensemble et William D. Furley recourt aux commentaires antérieurs qu’il sait critiquer ou améliorer quand il le faut. De nombreux renvois aux autres pièces de Ménandre ou à d’autres passages parallèles permettent souvent d’éclairer utilement le texte. C’est donc une très riche lecture que nous propose William D. Furley, à la fois papyrologique, philologique, ecdotique, littéraire, intertextuelle, sémantique et dramaturgique. Il se montre donc un guide particulièrement efficace pour entrer dans le texte, souvent difficile, de Ménandre. La facilité et la simplicité avec laquelle il circule lui-même dans ce texte fait de ce parcours un véritable plaisir et l’on en ressort tout transformé, étonné même d’avoir pu lire Ménandre autrement que ne le fait ici William D. Furley avec le plus grand talent.
Le volume s’achève sur une riche bibliographie vraiment internationale (p. 259-275) qui montre que William D. Furley n’ignore rien de ce qui se fait sur le texte de Ménandre : c’est là une des ses autres grandes qualités. Enfin deux index (mots anglais ; mots grecs) viennent clore le volume et en font un véritable instrument de travail.
L’édition que donne ici William D. Furley des Epitrepontes de Ménandre me semble donc être un ouvrage désormais incontournable.