C’est un lieu commun, dans le pré carré de l’étruscologie, de déplorer la rareté des fouilles d’habitat des anciennes métropole d’Étrurie. Une tentative importante pour pallier cette lacune revient au Centro di studio per l’ archeologia etrusco-italica du C.N.R. (aujourd’hui Istituto per l’Archeologia Etrusco-Italica), alors placé sous la houlette de Mauro Cristofani, qui mena entre 1983 et 1989, dans le cadre du “ Progetto Caere ”, une série de campagnes de fouille au lieu-dit Vigna Parrocchiale à Cerveteri. Depuis sa disparition, en 1997, ses collaborateurs et ses successeurs ont assuré la reprise des travaux sur le terrain, entre 2003 et 2005, ainsi que la poursuite de la publication des fouilles, dont cet ouvrage représente le cinquième volume.1 Si le site s’est révélé compliqué à l’extrême, compte tenu de l’absence presque totale de stratigraphie, et si les vestiges mis au jour se rapportent, ici encore, surtout à des édifices publics, cette fouille a apporté, en quelques années seulement, une moisson de données nouvelles dont le traitement, combiné avec celui des fouilles anciennes, requérait un plan de publication rigoureux, évoqué en préface (p. 5) par Francesco Roncalli.
Issu d’une tesi di laurea soutenue en 1998, cet ouvrage regroupe les fragments de terres cuites fabriquées au moule découverts au cours des fouilles dirigées par M. Cristofani, soit 1100 fragments dont l’auteur a choisi de cataloguer les 560 les mieux conservés (p. 12 ; mais voir infra), ici divisés en deux lots (catalogue et appendice) selon qu’ils se rattachent, ou non, à des typologies connues (p. 17). D’emblée, on est donc un peu déçu de ne pas y trouver aussi les terres cuites architectoniques – du reste peu nombreuses – en ronde-bosse, en haut-relief, ou décorées selon la technique white on red (p. 12), ni celles issues des fouilles anciennes ou de prospections plus récentes (p. 11), qui auraient renforcé l’intérêt du corpus en tant qu’“insieme statistico valido” (p. 12).
Une brève introduction (p. 11-13) rappelle l’histoire des fouilles de ce secteur, entreprises en 1840 pour remettre au jour le théâtre romain, et reprises par Raniero Mengarelli en 1911 et 1912. L’absence de tout plan complique malheureusement considérablement la contextualisation, et la simple compréhension, des informations présentées par l’auteur : le lecteur devra donc se reporter, notamment, au dossier planimétrique figurant dans Caere 3 et 4.
Le catalogue constitue la partie principale de l’ouvrage (p. 15-154). L’auteur a classé les fragments selon leur chronologie, du troisième tiers du VIe siècle au Ier siècle, en les répartissant entre huit principaux éléments ( lastra, tegola di gronda, antefissa, tegola terminale, cortina pendula, cornice traforata, sima, pinax) ; chacun des 44 types ainsi définis fait l’objet d’une bonne présentation synthétique. Les dessins, tous portés à une échelle commode de 1:2 ou 1:4, sont de qualité – il est seulement dommage que la polychromie n’y ait pas été indiquée directement, mais selon une échelle conventionnelle de gris. On peut en outre regretter que le numéro de catalogue ne figure pas sur les figures ou sur les planches : lorsque l’image se trouve dans le texte, comme dans la première partie du catalogue, le problème ne se pose pas ; lorsque les objets se succèdent dans le même ordre dans le catalogue et sur les planches hors texte, comme pour l’appendice, il n’est pas trop difficile de rapprocher la fiche de l’illustration;2 mais dans le cas des quatre planches en couleurs ici présentées, conformément à une mode sans doute tardivement inspirée par le succès des éditions FMR, sur un lugubre fond noir, il faut parcourir tout l’ouvrage pour retrouver la fiche de l’objet.3
Le catalogue comporte 634 entrées, auxquelles il faut toutefois ajouter 32 fragments auxquels ont été affectés des numéros déjà attribués,4 soit un total de 666 objets (moins un, puisque le n. 225 manque) – erreurs d’autant plus surprenantes que la troisième de couverture du livre assure que ses épreuves ont été soumises à non moins de trois correcteurs. Tous font l’objet d’une fiche individuelle soigneusement rédigée, mais qui ne comporte pas la provenance du fragment – lacune inexplicable, même si les neuf “contextes” très brièvement présentés (p. 19) n’apportaient manifestement aucun éclaircissement sur l’origine ou la chronologie des objets. Moins du tiers d’entre eux peut être considéré comme complètement publié, c’est-à-dire illustré soit par un dessin, une photo et un profil (119 objets), ou plus simplement par une photo (65 objets de l’appendice, avec des clichés de qualité très inégale). On peut donc s’interroger sur l’intérêt des fiches restantes, qu’auraient pu avantageusement remplacer des tableaux de comptage indiquant le nombre de fragments attribués à un type donné et les différents groupes d’argile attestés (indication qui manque dans les fiches). On peut par ailleurs douter de l’utilité du fastidieux travail consistant à indiquer les couleurs de pâte en référence au code Munsell, surtout, comme c’est le cas ici, lorsqu’aucun décodage en clair n’est proposé. Les limites de ce système sont aujourd’hui évidentes pour quiconque (l’auteur de ces lignes compris) l’a appliqué de manière systématique : absence de protocole rigoureux d’observation des pâtes (sur une cassure fraîche ? en surface ?), diversité des couleurs sur un même fragment (selon l’exposition au feu, entre cœur et surface…), subjectivité du regard du descripteur (en fonction de sa vue, de sa fatigue, de l’intensité de la lumière…). Cet instrument très lourd à manier n’a apporté à ma connaissance, depuis son introduction en archéologie, aucun progrès significatif, et pourrait s’effacer au profit d’indications en clair en apparence plus subjectives, mais certainement plus utiles.
L’étude des argiles, traitée dans une partie spécifique (p. 155-158, soit une grande page), est renvoyée aux lendemains où elle pourra se fonder sur des analyses de laboratoire. Pourtant, le simple examen autoptique aurait parfaitement permis de procéder, selon des critères classiques, à une première répartition en groupes, travail qui semble bien, du reste, avoir été effectué par l’auteur ; mais s’il indique que l’on peut distinguer de six à huit groupes différents, il ne nous fournit que peu d’informations sur ses principes de classement. Son analyse de leur utilisation différenciée dans le courant de l’histoire du sanctuaire demeure donc, en l’état, faiblement étayée.
Le chapitre de conclusion (p. 159-181) rassemble l’ensemble des données – typologie, chronologie et contexte de découverte – et propose d’attribuer les terres cuites à trois édifices distincts : la “résidence” construite vers 540 et abandonnée quelque trois décennies plus tard ; le temple, qui remplace cet édifice vers 490 ; l’édifice elliptique, daté traditionnellement de la même époque. Comme le souligne l’auteur à différentes reprises, le dossier archéologique est très lacunaire, puisque toute la zone n’a pas été fouillée, et qu’il existait évidemment d’autres édifices à ses marges. Son étude, fondée sur quatre diagrammes qui auraient gagné à intégrer la documentation ancienne, lui permet de distinguer trois principaux pics : entre 540 et 510, en relation avec la “résidence” ; entre 500 et 480, époque de construction du temple ; entre 320 et 280, avec la réfection de son décor et la création, peut-être, de celui de l’édifice elliptique. La tentative de restituer des complexes unitaires à partir de ces disiecta membra est bien menée, même si l’on peut regretter que l’auteur n’ait pas composé de planches récapitulatives pour chacun des ensembles ainsi recomposés. Plus que pour le décor de la “résidence” ou du temple, pour lesquels cette étude confirme des points déjà acquis, c’est la question du grand édifice elliptique (p. 175 sq.) – interprété, selon les auteurs, comme un bouleuterion/comitium ou comme un édifice de spectacle – qui retient l’attention. Sur ce point, on est loin d’être frappé par l’“inattesa chiarezza” évoquée par F. Roncalli dans sa préface (p. 5), d’autant qu’il est difficile de raisonner sur le décor d’un édifice dont ne nous sont fournis aucune mesure, aucun plan, aucune restitution. Contre l’idée reçue selon laquelle il aurait été édifié en même temps que le temple, l’auteur propose de le dater du début de l’époque hellénistique, ce qui lui permet de faire l’économie de l’hypothèse bancale d’une construction publique demeurée deux siècles sans décor. Toutefois, compte tenu du chaos stratigraphique du site, il me semble très difficile de tirer argument de la centaine de fragments sur lesquels repose l’analyse, apparemment concentrés dans le secteur de cet édifice, moins parce qu’aucun élément incurvé censé s’adapter à la courbe de l’édifice n’a été retrouvé (p. 176, note 58) – les plaques pouvant sans difficulté avoir être fixées sur une surface courbe -, que parce que rien n’indique que cet édifice en grand appareil, reconstruit en blocage au début de l’époque romaine (moins sans doute comme “restaurazione antiquaria”, p. 177, que parce qu’il avait conservé une fonction pratique) ait été couvert avec une charpente en bois qui aurait nécessité ce type de protection. Cette hypothèse encore bien fragile devrait être contrôlée par l’examen de l’ensemble des fragments du site et par une étude architecturale approfondie des vestiges du bâtiment. Sous le titre cryptique de Considerazioni, la fin du chapitre offre une bonne mise en contexte des types catalogués par rapport à ceux attestés à Caere et dans les grandes métropoles étrusques de Véies, Faléries et Orvieto.
La bibliographie5 (p. 183-185), dont les titres les plus récents remontent à 2003, comporte moins de 50 entrées, un chiffre modeste en regard de l’ancienneté des études de coroplastique étrusque et de la multiplication des recherches menées au cours de ces dernières années.6 On note en particulier l’absence de toute mention des volumes 2 et 3 de la série Deliciae fictiles, parus respectivement en 1997 et 2006,7 ainsi que celle plus compréhensible, compte tenu de sa date de parution récente, du précieux corpus de N. A. Winter.8
En refermant l’ouvrage, on peut se demander si ce catalogue manifestement prêt de longue date pour la publication, et qui contient la matière d’un gros article, n’aurait pas mieux trouvé sa place à l’intérieur du volume Caere 4, en replaçant ces terres cuites dans le contexte topographique et architectural qui leur fait ici cruellement défaut ; mais puisqu’il s’agit d’une monographie, on est fondé à regretter qu’elle ne prenne pas en compte le reste du matériel coroplastique trouvé dans la zone. Une telle étude aurait mieux justifié le prix exorbitant de ce volume très aéré (il comporte une quinzaine de pages blanches et, de la p. 120 à la fin, plus du quart de chaque page est vierge).9 Au lendemain de l’effondrement du système de financement traditionnel des publications scientifiques, on demeure partagé entre la reconnaissance envers l’éditeur Fabrizio Serra pour avoir arraché aux limbes des titres voués à une fin inéluctable et la perplexité devant un système éditorial qui tend désormais à interdire au particulier, et à un nombre toujours croissant de bibliothèques, l’acquisition du livre imprimé.
Notes
1. 1, Il parco archeologico, 1988 ; 2, Il teatro e la sua decorazione, 1989 ; 3, Il deposito arcaico di Vigna Parrocchiale, 1992 ; 4, Vigna Parrocchiale, scavi 1983-1989, 2003. Aucun d’entre eux n’a fait, à ce jour, l’objet d’un compte rendu sur ce site.
2. La fig. 141 correspond au n. 588 de la p. 128.
3. La correspondance est la suivante : Pl. I, 1 (n. 3), 2 (n. 51), 3 (n. 85), 4 (n. 87), 5 (n. 110), 6 (n. 111) ; pl. II, 1 (n. 119), 2 (n. 122), 3 (n. 139), 4 (n. 187), 5 (n. 232) ; pl. III, 1 (n. 233), 2 (n. 219), 3 (n. 276), 4 (n. 277) ; pl. IV, 1 (n. 309), 2 (n. 352), 3 (n. 385), 4 (n. 404), 5 (n. 529), 6 (n. 530).
4. Les n. 51, p. 28, et 182, p. 58 et 60 ; et surtout la série complète n. 560-589, doublée aux p. 123-134 (on rectifiera en outre, p. 32, le second n. 82 en 83 et, p. 109, le second n. 460 en 469).
5. L’usage flottant des majuscules dans les titres anglo-saxons ne fait ici que refléter le désarroi de la plupart des éditeurs face à cette question épineuse.
6. Pour le site même, voir, en dernier lieu, V. Bellelli, ” Ricerche nell’area fra l’edificio ellittico e il “tempio di Hera”. Primi dati sulle campagne 2003 e 2005 “ Mediterranea 5 (2008) p. 65-89 (avec planimétrie générale) ; voir aussi, dans ce même volume de la revue, le mobilier de comparaison du sanctuaire cérétain de S. Antonio (p. 91-137).
7. Le quatrième volume de cette série est actuellement sous presse.
8. Symbols of Wealth and Power. Architectural Terracotta Decoration in Etruria and Central Italy, 640-510 B.C., Ann Arbor, 2009 (notamment p. 543-546, avec référence aux fragments de Vigna Parrocchiale, dont les plus anciens sont daté autour de 580).
9. L’éditeur n’en propose pas de version on line.