Cet ouvrage offre la première édition anglo-saxonne, par John Magee, de la traduction (partielle) du Timée et de son commentaire par Calcidius. À l’introduction de quelque 20 pages (vii-xxvi) font suite le texte latin et la traduction distribués comme suit : après l’épître dédicatoire (p. 2-5), le lecteur trouve en effet, selon l’ordre habituellement adopté par les éditeurs modernes, la traduction des deux parties du Timée intéressant l’exégète (17a-39e = p. 8-69, et 39e-53b = p. 70-121), suivie de leur commentaire (c. 1-118 = p. 124-317, et c. 119-355 = p. 318-689). Les 23 diagrammes qui illustrent divers chapitres de la première partie se trouvent regroupés dans une section à part (p. 693-706). Après les abréviations des ouvrages cités en note (p. 707-708), l’éditeur précise les trois éditions suivies : celle de Bakhouche (2011), Waszink (1975), Wrobel (1876), en choisissant les leçons tantôt des uns, tantôt des autres, tout en proposant ses propres émendations. Il précise encore l’origine des dessins : Waszink pour 22 d’entre eux et Bakhouche pour le diagramme 19. Quant à la graphie des mots grecs, Calcidius a dû, selon Magee, les écrire en grec et ils ont été ensuite latinisés au cours de la transmission. Les « notes au texte » qui suivent (p. 711-713) offrent un apparat critique a minima. Et les pages 715-761, quant à elles, proposent les notes au texte même de Calcidius. Une bibliographie—minimaliste elle aussi—occupe les pages 763-764, l’ouvrage se terminant par un index aux pages 765-768.
Après cette vue générale de l’ouvrage, revenons au détail : en introduction, J. Magee discute assez longuement du christianisme de son auteur. Les conclusions tirées de la référence aux Hébreux au chapitre 219 et qui présentent Calcidius « unissant le platonicien et le chrétien dans un contexte polémique » me paraissent sujettes à caution dans la mesure où nous sommes dans un cadre doxographique (voir Bakhouche 2011 II, 791-792). Pour l’éditeur, « Calcidius interprète le Timée métaphoriquement plus que littéralement, posant la supériorité de l’âme sur le corps comme élément causal plutôt que temporel », sans que son christianisme—ou non—puisse être pleinement démontré, pas plus que l’identité de son dédicataire. Magee insiste ensuite sur les grécismes de la langue calcidienne qui témoignent de son bilinguisme et, par suite, de son origine grecque, vu ses erreurs syntaxiques aux chapitres 286 et 68, sans qu’aucune note ad locum ne donne la moindre précision.
Dans le second volet de l’introduction (p. xvii-xxiii), Magee présente les quatre parties généralement dégagées dans le Timée de Platon, soit, après une introduction, les œuvres de la Raison (27d-47e), celles de la Nécessité (47e-69a) et celles de la Raison associée à la Nécessité (69a-92c). Le problème c’est que la division par Calcidius de la traduction et celle – identique – du commentaire ne suivent absolument pas cette répartition du dialogue grec, ce que ne paraît pas avoir remarqué Magee : la première partie concerne en effet les pages 31c-39e du grec et les chapitres 8-118, et la seconde les pages 39e- 53c et les chapitres 119-355. L’éditeur évoque ensuite très brièvement les points topiques dans les introductions à Calcidius, à savoir la question de l’inachèvement de l’œuvre (à laquelle l’éditeur ne croit pas), celle des différentes distributions entre les deux parties de l’œuvre (T1-C1 et T2-C2 ou T1-T2 et C1-C2), ou celle d’une division en 39b plutôt qu’en 47e (c. 277), ce qui, aux yeux de Magee, permet de passer harmonieusement du macrocosme au microcosme. Le commentaire lemmatique s’appuie essentiellement sur Pythagore (je dirais plutôt sur les idées pythagoriciennes) pour la première partie où sont abordées les quatre sciences du nombre. La seconde, elle, s’appuie sur de nombreuses références philosophiques, dont nombre ressortissent à des doxographies, Magee ne tranchant pas sur une influence de Porphyre. Quant à une éventuelle dette à l’égard de Jamblique, si elle est possible, elle situerait le commentateur latin un peu après 325. Calcidius était-il « médio- » ou « néo-platonicien » ? Il utilise, selon Magee, les deux types de sources, avant de devenir à son tour une source d’inspiration fondamentale pour les penseurs du XII e siècle. Cette postérité, rapidement traitée, justifie cependant la publication de cette édition dans une collection dédiée au Moyen Âge (« Dumbarton Oaks Medieval Library »).
Bref, l’éditeur aborde tous les points incontournables dans une introduction à Calcidius, mais parfois très brièvement.
Quant à la traduction, je me suis contentée de faire quelques sondages, tant le texte est long et le latin de Calcidius complexe, voire torturé et, par là, difficile à traduire, transposant souvent une terminologie grecque qui n’est pas toujours identifiée. La traduction de Magee est assez littérale, comme suffiront à le montrer deux exemples tirés de la première partie du commentaire : le titre de la section De stellis ratis et errantibus est traduit mot à mot par « On the Fixed and Wandering Stars », alors que l’expression des « étoiles errantes » n’est guère utilisée aujourd’hui pour désigner les planètes ; au chapitre 73, Pythagoreum dogma est (ratione harmonica constare mundum […]) est littéralement rendu par « The Pythagorean doctrine is that (the world consists of harmonica ratio […]) ». Quant à l’adverbe artificialiter (c. 56 et 62), traduit par « techniquement » ( technically), il fait faux-sens pour désigner une démonstration ‘rationnelle’ appliquée à l’âme, l’adverbe s’opposant au naturaliter (c. 61), bien rendu par Magee en « from the standpoint of physics ». Vers la fin du chapitre 102, utpote quae diuisa sit numeris ne signifie pas tant « car divisible par des nombres » (Magee : « for being divisible by numbers ») que « parce qu’elle est divisée numériquement ». Plus ennuyeux, au c. 107, Calcidius écrit : Quid quod etiam illa quae non sunt esse dicimus, cum eadem non esse uolumus ostendere ?, expression du raisonnement par l’absurde que l’on peut rendre par : « Bien plus, nous disons que ce qui n’est pas ‘est’ quand nous voulons montrer précisément le contraire » ; or, Magee paraît avoir lu […] quae sunt non esse […], si l’on en croit sa traduction : « And what about our even saying that things which are not ‘are’ when our focus is on showing their nonbeing ? ». Dans ce même chapitre, perfectio et species ne me paraissent pas avoir le sens choisi par Magee : dans le groupe […] quod nulla siluestria habeant ullam perfectionem, ce dernier mot a moins le sens courant de « perfection » (« degree de perfection ») que le sens étymologique de « forme achevée ». Dans la phrase suivante enfin : Dum enim sunt adhuc siluestria, informia sunt ac sine ordine ac specie, species ici n’a pas le sens de « form » que lui donne Magee et qui serait redondant par rapport à informia, mais plutôt celui de « beauté ».
Ce ne sont là que quelques vétilles qui ne sauraient en quelque façon amoindrir l’important travail réalisé par Magee pour mettre à la disposition d’un lectorat anglo-saxon un texte aussi difficile que fondamental pour la transmission du Timée de l’Antiquité tardive au Moyen Âge et à la Renaissance.