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Ce petit livre, aussi copieux que dense, est riche de 15 études dont 12 portent sur le temple de Zeus à Olympie et les autres sur des questions de méthode liées à son étude. Il s’agit des actes d’un colloque organisé par A. Patay-Horváth en 2014 et publiés avec une louable célérité. C’était évidemment une très bonne idée de rassembler ainsi un ensemble d’études sur le temple de Zeus, même si elles paraissent peu de temps après la grande synthèse d’H. Kyrieleis,1 et si plusieurs des contributeurs de ce nouveau livre (A. Hennemeyer, W. Sontagbauer, U. Weber) ont déjà exposé leurs recherches dans diverses publications. Cependant, l’éditeur constate tristement dans sa préface que les contradicteurs des thèses qu’il a déjà exposées n’ont pas participé au séminaire : les articles rassemblés sont donc favorables à ses thèses ou ne les contredisent pas, sauf celui de T. Hölscher. L’ouvrage est divisé en une introduction et 4 sections : 1°) architecture, 2°) sculpture, 3°) culte et histoire, 4°) une section traitant uniquement de technologies 3D.
Dans l’introduction, A. Patay-Horváth rappelle les raisons qui l’ont amené à critiquer les affirmations de Pausanias sur le sujet du fronton oriental. La première raison réside dans les incohérences iconographiques: d’une part, le personnage de Pélops est revêtu d’une cuirasse et portait un casque, il porte donc la tenue de l’hoplite et non celle d’un conducteur de char ; d’autre part le personnage féminin (Hippodamie ou Stéropè, selon les restitutions) porte une coiffure caractéristique des femmes de rang inférieur, ce qui ne convient ni à une princesse ni à une reine. La présence des deux chars antithétiques est un élément décoratif assez courant qui ne désigne pas nécessairement une course. Quant à Zeus, loin d’être menaçant (d’ailleurs le mythe ne le fait pas intervenir dans la fin du roi Œnomaos), il a au contraire une attitude paisible voire bienveillante. L’auteur propose d’interpréter la scène comme représentant la réconciliation d’Agamemnon et d’Achille ( Il. 19).
D’autre part, Patay-Horváth réfute l’attribution de la paternité du temple aux Éléens. L’histoire du butin pris sur Pise constitue une impossibilité historique. Comme on n’a pas trace (ni épigraphique ni historique) de ressources propres au sanctuaire d’Olympie ou de dons qui auraient permis de financer le temple, l’explication par le butin reste tout de même la meilleure à condition que les vaincus aient été follement riches : l’auteur propose de les identifier dans les Perses vaincus à Platée, ce qui ferait du temple d’Olympie l’équivalent en Grèce des temples d’Himère et de Syracuse. La disqualification de Delphes (pro-mède) et le rôle du devin éléen Tisaménès dans la victoire grecque justifient le choix d’Olympie pour élever cette offrande. L’argumentation ici résumée est audacieuse mais ne manque pas de séduction : Pausanias n’était pas infaillible, il dépendait de ses sources (bien souvent les “guides” locaux), les observations de l’auteur sur les sculptures sont cohérentes, de même que l’analyse historique.
Dans la suite de l’ouvrage, on trouve d’autres communications qui viennent à l’appui de ces thèses : celle de F. Wojan et un autre texte de l’éditeur. Dans la première, Wojan résume sa thèse inédite soutenue en 2011 : “Les Éléens (IVe s. a.C.-IIIe s. p.C.). Recherches de numismatique et d’histoire” (université François Rabelais, Tours) et fait justice du vieux mythe d’un monnayage olympique frappé à l’intérieur du sanctuaire (Ch. Seltman) et qui aurait pu servir à financer le temple. H. Nicolet-Pierre comme Ph. Gauthier avaient déjà fait remarquer que ces monnaies présentent systématiquement l’ethnique éléen. À cela s’ajoutent les contradictions internes (et quelques invraisemblances) de la thèse de Seltman que les études les plus récentes sur ce monnayage n’ont fait qu’accentuer. L’auteur conclut que le monnayage “d’Olympie” était en réalité un monnayage civique éléen et qu’il fut frappé non pas dans le sanctuaire mais dans la ville d’Élis. Dans le second texte (ch. 12), Patay-Horváth s’appuie sur l’expérimentation 3D pour défendre les positions qu’il préconise pour les figures centrales du fronton oriental (que la restitution nouvelle du musée d’Olympie démontre de façon matérielle encore plus irréfutablement).
Deux autres articles traitent du sens dans lequel il faut lire la description de ce même fronton par Pausanias : T. Hölscher montre que la suite de la description de Pausanias (lorsqu’il s’éloigne du temple) implique qu’il a fait sa description comme s’il était, pour ainsi dire, lui-même dans le fronton, Patay-Horváth est de l’avis contraire et argumente à partir des habitudes descriptives de Pausanias.
Les autres contributions de cet ouvrage sont pour la plupart des mises à jour d’études en cours ou récemment terminées, notamment dans le cadre du vaste programme mis en place par le DAI autour du temple de Zeus : Hennemeyer fait un point sur les modifications, récemment constatées, qu’a subies le temple dès une époque proche de sa construction et dont les premières ont certainement été rendues nécessaires par la mis en place de l’énorme statue de Zeus. L’étude des marques de maçon par U. Weber vient à l’appui des constatations archéologiques sur les transformations du temple au cours des âges (et l’éclairage par les tuiles en marbre de Paros translucide), question également traitée par O. Palagia qui montre que l’utilisation du pentélique ne commence pas avant l’extrême fin de l’époque hellénistique. Précisions que ces études ne sont pas redondantes mais convergentes et nous permettent d’avoir une chronologie assez précise des interventions faites sur le temple jusqu’à l’antiquité tardive, fondée sur le croisement d’observations archéologiques précises. Naturellement, la statue de Zeus occupe là une place éminente car l’un des principaux problèmes qu’elle pose est celui de sa visibilité : il est désormais démontré que les modifications des colonnades intérieures de la cella ont nécessité le démontage du toit. Les tuiles d’origines étaient en marbre de Paros extrêmement mince et translucide, de même que celles qui les ont remplacées probablement à la suite du séisme de 374.
Enfin on trouve des communications sur la métrologie du temple (W. Sonntagbauer : des observations très précieuses mais qui se concluent de façon un peu elliptique dans des considérations cosmiques) ; sur la grande hécatombe en l’honneur de Zeus (excellente étude de J. Taita associant les sources épigraphiques et les constatations archéologiques) ; sur les sujets judiciaires abordés dans les inscriptions en dialecte éléen (J. Roy) ; sur les deux allusions topographiques précises faites par Lucien au temple de Zeus (J. S. Krause).
La quatrième section de l’ouvrage est consacrée à la pratique de la 3D, à ses qualités et son futur. Outre le travail déjà cité de l’éditeur sur le fronton oriental, on y trouve une passionnante étude d’un groupe de chercheurs (Ch. 13) sur les œuvres de Polyclète et la question des moulages antiques, dans laquelle ils montrent, grâce à la précision permise par la 3D, que des parties de certaines œuvres étaient répétées intégralement : ainsi trois des « danseuses » de la villa des Papyri ont exactement les mêmes pieds ; le pied droit du Doryphore et celui du Diadumène sont aussi identiques. Ils en infèrent que les maîtres eux-mêmes, à partie du Ve s., recouraient au procédé du moulage pour réutiliser des parties de leurs œuvres dans d’autres créations : il s’agit là d’une possibilité nouvelle offerte par la diffusion de la technique de la cire perdue. Ce constat a évidemment d’importantes implications pour l’étude de la statuaire antique que la pauvreté des sources archéologiques oblige dans la presque totalité des cas à faire d’après les copies : c’est d’ailleurs sur la base des célèbres copies que les auteurs confrontant celles du Doryphore et du Diadumène avec celles des Amazones du concours d’Éphèse concluent que la tête du type Capitole/Sosiclès est la même que celle des deux célèbres statues masculines et doit donc être attribuée à Polyclète, précisant donc les conclusions de C. Mattusch ( The Villa dei Papyri at Herculaneum, Los Angeles, 2005, 278-282).
Pour finir on trouve deux contributions extrêmement techniques sur les utilisations et les possibilités de la 3D ainsi qu’un plaidoyer pour l’ open access et ses bonnes pratiques.
Nous nous permettrons une remarque pour regretter que Patay-Horváth n’ait pas pris en compte la thèse de G. Roux,2 qui reconnaissait dans le Parthénon un “temple-trésor”, notion qui nous semble pouvoir s’appliquer aussi au temple de Zeus. En effet, si l’on suit sa même thèse (le temple de Zeus a été construit sur la dîme de Platée et on y a ajouté ensuite la statue chryséléphantine), on ne peut qu’être frappé par la rivalité qu’elle révèle entre l’acropole d’Athènes et Élis-Olympie mais aussi par le caractère anormal des deux édifices: dans les deux sanctuaires, on construit un édifice nouveau et de très grandes dimensions alors qu’il existe déjà un temple à la divinité principale (l’Héraion d’Olympie qui était en fait un temple de Zeus et d’Héra, le Vieux Temple que les Athéniens auraient juré de ne pas reconstruire), on recourt à un financement exceptionnel et on fait appel au même sculpteur pour une statue d’un luxe inouï…
Ce livre apporte des données d’une grande importance et une très riche matière à réflexion et à débat : on n’a pas encore épuisé le temple de Zeus ! On regrettera seulement que le format du livre soit trop petit pour ses illustrations et que les photographies soient uniquement en noir et blanc : ces deux défauts nuisent fortement, en particulier, à la démonstration de l’éditeur sur l’éclairage intérieur du temple.
Table des matières
Introduction. A. Patay-Horváth, “Adopting a New Approach to the Temple and its Sculptural Decoration”
Part I: Architecture
Ch. 1: A. Hennemeyer : “The Temple Architecture and its Modifications during the Fifth Century BCE”
Ch. 2: U. Weber, “Versatzmarken aud Bauglidern des Zeustempels von Olympia”
Ch. 3 : W. Sonntagbauer, “Metrologisches in Olympia”
Part II: Sculpture
Ch. 4: O. Palagia, “Dating the Corner Figures of the West Pediment and Questions Arising from the Use of Parian and Pentelic Marbles in the Sanctuary”
Ch. 5: T. Hölscher: “Noch einmal rechts und links am Zeus-Tempel von Olympia”
Ch. 6: Patay-Horváth : “An der linken Seite des großen Tempels (Paus. 5.26.2) ”
Ch. 7: T. Osada : “The Invisible God : The Representation of Divine Intervention in the Early Classical Period”
Part III: Cult and History
Ch. 8: J. Taita : “The Great Hecatomb to Zeus Olympios : Some Observations on IvO No. 14”
Ch. 9: J. Roy: “The Justice of Zeus at Olympia”
Ch. 10: F. Wojan : “Charles Seltman, le temple de Zeus et le monnayage d’argent des Éléens”
Ch. 11: J. S. Krause : “Lucian on Herodotus : a Possible Second Century AD View on the West Pediment”
Part IV: Digital Technologies
Ch. 12: A. Patay-Horváth, “The east Pediment and the Temple of Zeus Reconstructed in Virtual Reality”
Ch. 13: K. Sengoku-Haga, Y. Zhang, M. Lu, S. Ono, T. Oishi, T. Masuda, K. Ikeuchi, “Polykleitos’ Works “From One Model” : New Evidence Obtained from 3D Digital Shape Comparisons”
Ch. 14: Fr. Gabellone, “Virtual Environments and Technological Solutions for an Enriched Viewing of Historical and Archaeological Contexts”
Ch. 15: Y. Okamoto, “Cloud-based Collaborative Framework for Remote Real-time Interaction with Large-scale 3D Data”
Bibliography
Index of Ancient Personal and Places Names
Notes
1. Helmut Kyrieleis, Olympia. Archäologie eines Heiligtums (Mainz 2011).
2. Georges Roux, “Pourquoi le Parthénon?”, Comptes-rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles- Lettres, 1984, 301-317.