Ce nouveau volume dédié à les fouilles du sanctuaire de Déméter et Korè présente deux études indépendantes : les lampes grecques par Nancy Bookidis et les plateaux à offrandes par Elizabeth G. Pemberton.
La première partie publie les lampes grecques provenant du sanctuaire avec un supplément pour les lampes romaines. Au total, 4181 lampes (sur les 4391 exemplaires découverts) ont été étudiées, celles pour lesquelles le lieu de fabrication est identifiable. 60,9 % des lampes attiques ou corinthiennes sont typologiquement reconnaissables. 88,4 % sont corinthiennes, 10,4 % attiques et 1,2 % sont issues d’autres ateliers. 23 % appartiennent à la période archaïque, 38 % datent des V e -IV e siècles et 7 % ont été fabriquées au cours des III e et II e siècles. Le matériel est en grande partie fragmentaire ; seulement 256 lampes sont complètes ou presque, parmi lesquelles seules 150 sont de taille normale. Leur étude est accompagnée par un catalogue sélectif mais représentatif comprenant 214 lampes en céramique (organisé en deux grandes parties : lampes corinthiennes, en suivant autant que possible la classification d’Oscar Broneer, et lampes importées), une lampe en bronze et en marbre et quinze supports de lampe, le tout illustré par d’excellents dessins des profils et des photographies.
Dans le catalogue, l’accent a été porté, avec raison, sur la production des VII e et VI e siècles plutôt que sur celle des V e et IV e siècles, alors beaucoup plus standardisée. Malgré le fait que la production des lampes soit avérée à Corinthe pendant la période d’intérim, leurs dédicaces cessent au sanctuaire de Déméter et Korè après la destruction de la ville en 146 avant n.è. Néanmoins la manière dont la variation du nombre des lampes reflète la fluctuation des visites au sanctuaire n’est pas claire. Par exemple pour les figurines, la période de déposition la plus prolifique est le IV e siècle suivie par une chute soudaine au cours du III e siècle. Sous réserve que la dégradation des couches hellénistiques ait pu altérer notre perception, on peut prudemment avancer l’hypothèse que la différence entre la fréquence des lampes et des figurines selon les périodes puisse refléter un changement dans les pratiques au sanctuaire.
Bookidis présente la stratigraphie et des contextes bien datés permettant de situer les divers types dans le temps. Puis elle aborde les lieux de découverte au sein du sanctuaire et elle replace les trouvailles dans leur contexte historique et cultuel. Selon ses conclusions, le nombre important de lampes est une caractéristique des sanctuaires de Déméter et Korè. Des investigations minutieuses permettent de préciser davantage les circonstances de leur utilisation. 31 % des lampes provenant du sanctuaire de Déméter à Corinthe ont été découvertes dans les couches noires et moelleuses identifiées comme des résidus de sacrifices, ce qui indiquerait que les lampes ont joué un rôle important lors des sacrifices et des rituels nocturnes et, comme les sources antiques le suggèrent, également diurnes. L’éclairage des salles de banquet est un autre domaine d’utilisation des lampes attesté à Corinthe. Les lampes en bronze et en marbre pourraient être des offrandes, ainsi peut-être qu’une partie des lampes à becs multiples.
Cette étude approfondie démontre l’importance de la réalisation d’une nouvelle classification des lampes de Corinthe et d’une étude de la production des lampes dans les ateliers de la ville.
La deuxième partie de l’ouvrage publie les plateaux à offrandes autres que ceux du type liknon portant diverses offrandes alimentaires, déjà publiés par Allaire Brumfield,1 c’est-à-dire des plateaux avec des vases miniatures et quelques vases annulaires miniatures. Pemberton classe les 1014 exemplaires dans plusieurs groupes typologiques : 160 appartiennent au groupe A (plateaux vides) ; 596 aux groupes B1 et B2 (plateaux avec trois coupes ou plus) ; 160 aux groupes C1 et C2 (plateaux avec phiales et coupes) ; 78 au groupe E (plateaux avec des vases divers—jarres, cruches, cratérisques et œnochoés ) et 4 au groupe F (vases annulaires). 2138 coupes peuvent appartenir aux groupes B, C ou D et 376 phiales aux groupes C ou E.
La présentation se poursuit par l’étude de leur fabrique et la méthode de fabrication et de décoration. La chronologie est quant à elle une question plus difficile. Les contextes clos bien datés ne sont pas nombreux dans le sanctuaire. Ces plateaux apparaissent plus tard que les likna dont quelques-uns avec vases et nourriture pourraient être des précurseurs des plateaux à offrandes. Les premiers plateaux apparaissent probablement vers le milieu du VI e siècle. Les plateaux à trois coupes sont les plus fréquents au V e siècle, ils restent populaires au IV e siècle et leur production continue au moins dans le III e siècle. Les groupes C et E ont probablement commencé un peu plus tôt que le groupe B et le groupe C perdure jusqu’à la fin de l’époque classique. Le groupe E apparaît au VI e siècle, peut-être vers 550 avant n.è., mais la fin de leur production ne peux pas être datée avec précision. Les vases annulaires (groupe F) datent de la phase tardive du VI e et du début du V e siècle.
Dans la suite, sont analysés les contextes de découverte de plateaux dans le sanctuaire et au dehors. Ils apparaissent dans le quartier des potiers (où une partie d’entre eux a été produite), dans le dépôt votif de Vrysoula, datant de l’époque classique, et dans une fosse votive du Bâtiment I. Deux coupes détachées de leur plateau se trouvent dans le matériel de la fontaine sacrée. L’analyse suggère que ces plateaux n’étaient pas spécifiques à une pratique cultuelle, mais plutôt à une déesse. Pemberton évoque la possibilité que les exemplaires trouvés sur des maisons détruites dans le quartier puissent être rattachés au culte de Déméter Epoikidie. En dehors de la ville, nous en retrouvons trois dans l’Héraion de Perachora, un à Isthmia et un exemplaire typologiquement distant de ceux de Corinthe à Rachi. Étonnement aucun n’est connu dans le sanctuaire de Déméter de Solygia. En revanche au moins 19 importés de Corinthe ont été mis au jour dans le sanctuaire de Némée.
Une contribution importante est apportée par l’analyse de la relation entre les plateaux à offrandes et les kernoi et d’autres vases munis de vaisselles miniatures attachées. Pemberton suppose que les vases attachés sur les plateaux du sanctuaire n’ont jamais contenu aucune substance. On peut regretter l’absence d’analyses de contenu (cf. 125, n 98) qui ont apporté des résultats prometteurs pour des formes similaires.2
Comme comparatifs aux vases annulaires, Pemberton cite quatre exemplaires corinthiens, tous datant du Corinthien ancien, auxquels on peut peut-être ajouter un kernos (corinthien ?) provenant de l’Antre corycien.3 Les vases annulaires du sanctuaire de Déméter sont plus tardifs. Ils sont datés vers la fin du VI e siècle ; donc environ un siècle les sépare des kernoi du Corinthien ancien. Leur forme est également différente, le support est un anneau bas et solide, les vases attachés n’ont pas de trou sur le fond relié avec l’anneau et ils sont posés de manière plus espacée. Une autre différence fondamentale est que, contrairement aux kernoi du Corinthien ancien, sur lesquels des cotylisques sont rattachés, les vases annulaires du sanctuaire de Déméter ne portent pas de vase à boire. En effet ces deux groupes ne sont pas en relation ; il s’agit de deux expériences indépendantes qui n’ont pas eu beaucoup de succès à Corinthe.
En cherchant une interprétation des plateaux à offrandes, en l’absence de sources écrites, nous devons nous tourner vers les représentations (dont Pemberton présente un recueil) sur des vases et des panneaux peints sur lesquels des plateaux similaires sont représentés. On peut faire quelques remarques concernant sa liste : le n o 1 est le vase éponyme du Peintre de la Fête des Femmes ( Frauenfest) de Béziers ;4 le n o 3 est également dû à ce peinte ;5 le n o 2 est attribué au Peintre du Patinage 6 ; le n o 8 est dû au même peintre et est désormais publié ;7 d’après la publication le n o 9 n’est pas une pyxide, mais un plat ;8 le n o 11 provient de Vulci —une amphore décorée par le Peintre de Politis ;9 le cratère n o 12 a été décoré par une main proche du Peintre de Klyka.10 Pour la liste des représentations, on peut ajouter une amphore du Peintre de Politis.11
Une différence fondamentale entre les scènes corinthiennes et leurs semblables attiques est le rôle plus important des femmes dans les premières et le fait que le plateau soit porté par une jeune fille. Pemberton émet l’hypothèse plausible que les plateaux à offrandes soient des représentations miniatures de ceux utilisés dans le sanctuaire probablement dans les pratiques cultuelles en relation avec Déméter et Korè plutôt qu’avec Dionysos. Lors du VI e siècle, le liknon, un panier en vannerie, a remplacé le large plateau ouvert, ce qui est représenté sur les vases.
L’œnochoé de Perachora 2066 (ici n o 10) est particulièrement intéressante car il semble, pace Pemberton, que la fille ne porte pas un plateau mais un panier en vannerie. S’il s’agit vraiment d’un panier, cette représentation prouve une coexistence des deux types au Corinthien moyen. Les versions miniatures en céramique font allusion aux repas communs et aux offrandes de nourriture.
Le chapitre se termine par le catalogue, accompagné par un dossier photographique, des plateaux et des vases annulaires rangés selon les groupes définis dans l’étude.
D’une façon générale, l’ouvrage présente la qualité habituelle de la série Corinth, les dessins et les photographies sont de qualité et les indexes détaillés permettent une orientation facile du lecteur.
Le volume constitue une contribution majeure à notre connaissance sur les pratiques de dévotion des habitants de Corinthe envers Déméter et sa fille, à travers les siècles, et une importante étape pour la publication complète du sanctuaire de Déméter et Korè.
Notes
1. “Cakes in the Liknon: Votives from the Sanctuary of Demeter and Kore on Acrocorinth” Hesperia 66.1 (1997), 147-172.
2. Alessandro Quercia. “I residui organici nella ceramica. Stato degli studi e prospettive di ricerca,” dans Francesco D’Andria, Jacopo De Grossi Mazzorin, Girolamo Fiorentino (éds). Uomini, piante e animali nella dimensione del sacro. Bari, 2008, 209-216 ; Giorgio Samorini, “L’uso di sostanze psicoattive nei Misteri Eleusini,” dans le même volume, 217-233.
3. AC 2395, Anne Jacquemin. « Céramique des époques archaïque, classique et hellénistique. L’Antre Corycien II, » Bulletin de Correspondance Hellénique Supplément IX (1984), 90, n o 36 et fig., l’anneau présente une section à mi-chemin entre le type quadrangulaire et arrondi.
4. Prov. de Délos, Darrell Arlynn Amyx, Corinthian Vase-Painting in the Archaic Period. Berkeley – Los Angeles – Londres, 1988 (= Amyx, CorVPA dans la suite), 230, n o 1, 501.
5. Pour le numéro d’inventaire, mes notes donnent 127 (SA 192), Amyx, CorVPA, 230, n o 2, 501, pl. 98. 2.
6. Amyx, CorVPA, 229, A-3, 654, pl. 98. 1.
7. Hermitage B. 2961. Inv. GR. 8754, trouvée près de Berezan. Le vase a été attribué probablement au Peintre du Patinage par Darell A. Amyx (229, AP-1, 323, 654). La pyxide est désormais publiée, Anastasia Bukina, Anna Petrakova, Dmitry Aleksinsky, Corinthian Vases and Their Antique Imitations. Catalogue of the Collection. St. Petersburg, 2015, 116-118, n o 118, ici attribué au Peintre de la Fête des Femmes de Béziers. D’après les photos publiées ici, l’attribution au Peintre du Patinage est tout à fait justifiée.
8. T. J. Dunbabin, Perachora. The Sanctuaries of Hera Akraia and Limenia. Vol. II. Oxford, 1962, 194, n o 1951, pl. 77.
9. Publiée dans Jack Leonard Benson. Corpus Vasorum Antiquorum Philadelphia 2, Princeton, PA, 1995, pls. 24-26.
10. Amyx, CorVPA, 200, B-1, 563 note 26, pl. 83. 2.
11. Amyx, CorVPA, 312, A-1, 390 note 2, 648, 654 ; Charikleia Papadopoulou-Kanellopoulou. Sylloge Karolu Politi. Athènes 1989, 95, n o 46, figs. 86-91, pl. 14 ; Sotheby’s, Sale Catalogue, 7-8/7/1994, n o 326, ill. (coul.).