[Une table des matières figure à la fin de cette recension.]
Cet ouvrage collectif est le produit de deux journées de recherche et d’un colloque qui, en 2009, avait réuni les contributeurs. La plupart des articles portent sur le monde grec ou romain, toutefois le reste du monde antique n’est pas entièrement négligé : ainsi, C. Bonnet et I. Slobodzianek évoquent le monde suméro-akkadien et G. Bartholeyns les débuts du christianisme. L’ouvrage, d’un format assez grand, offre de nombreuses illustrations et il se présente aussi comme un « bel objet ». La qualité de l’imagerie va de pair avec le soin apporté à l’édition qui est remarquable.1
Tous les articles sont en français dans le volume, même lorsque les auteurs les ont écrits dans une autre langue : les traductions ont été faites pour la publication. Cela facilite naturellement la tâche du lecteur francophone mais on peut cependant regretter de ne pas disposer de la « version originale » surtout lorsque les auteurs emploient des concepts qui ne trouvent pas aisément d’équivalent en français. Par exemple, C. Vout oppose les termes de nudity et de nakedness, ce qui est presque impossible à rendre élégamment en français. L’utilisation de la périphrase « l’état d’être nu » pour traduire nakedness affaiblit l’opposition entre les concepts qui est plus efficace en anglais.
En dépit d’un titre assez généraliste ( Vêtements antiques), le volume n’ambitionne nullement de constituer un bilan général des études vestimentaires et laisse de côté la dimension proprement archéologique du costume qui est seulement évoquée – et critiquée pour partie – dans l’introduction ( . 15-16) ; les approches historiques traditionnelles sont peu exploitées et il n’est que rarement question de l’évolution des modes ou des goûts vestimentaires. On en trouve toutefois quelques allusions dans l’étude proposée par B. Cohen (l’auteur ordonne chronologiquement la documentation pour montrer l’évolution des pratiques entre le VIe et le Ve siècle av. J.-C.). De la même façon, l’article de G. Bartholeyns étudie le vêtement chrétien en diachronie et s’attache à décrypter la genèse d’un vêtement chrétien et à en retracer l’évolution jusqu’au Moyen Age. A part ces quelques exceptions, la perspective adoptée dans toutes les communications est résolument celle de la sémiologie. Les éditrices empruntent aux travaux de R. Barthes sur le vêtement2 la grille d’analyse au crible de laquelle elles proposent de passer le vêtement antique ( Introduction. 15, n.1 et 20). Selon le programme énoncé par R. Barthes donc, le vêtement antique est considéré comme un langage ou un système de signes et ses « propos » décryptés à trois niveaux différents qui définissent aussi les axes généraux dans lesquels sont réparties les diverses contributions : 1) Valeurs et symboliques du vêtement – 2) Vêtement et identités – 3) Vêtement en contexte.
Toutefois, les thèmes abordés dans chacun de ces trois axes se recoupent largement, en sorte qu’on peine en comprendre parfois la raison d’être. La lecture des diverses communications montre d’ailleurs que chacune d’elle aurait pu avoir sa place indifféremment dans l’une ou l’autre section. Ainsi, l’article de P. Schmidt-Pantel est classé dans la première partie, mais aurait aussi bien pu figurer dans la seconde ou la troisième ; de même, ceux de V. Huet et d’A. Serghidou. A l’inverse, l’article de B. Cohen se trouve dans la deuxième section mais aurait eu sa place dans la première puisque le bijou y est traité sous l’angle de sa symbolique. Enfin, tous les articles de la section « vêtement en contexte » ne contextualisent pas plus le vêtement que les études précédentes. Là encore c’est surtout la symbolique vestimentaire qui est mise en avant et la question identitaire, à travers – essentiellement – l’étude des représentations qui en sont données. La définition de ces axes parait donc discutable. Ils se justifiaient peut-être mieux lors de la présentation orale des communications ; une fois rédigé, le volume n’y trouve pas sa cohérence et on peut se demander s’il était vraiment nécessaire de les conserver pour l’édition définitive.
La cohérence de cet ouvrage réside plutôt dans le fait que chacun des auteurs revendique une approche anthropologique du vêtement, à l’instar du programme définit par les éditrices, dans leur introduction mais aussi dans des travaux qu’elles ont publiés avant le colloque et auxquels plusieurs communications font directement allusion.3 L’intérêt de ces questionnements sur les pratiques vestimentaires doit être souligné ; la variété des sphères abordées – monde de la mythologie, sphères féminines, mariage, monde divin ou héroïque, pouvoir – montre aussi l’ampleur de vue des auteurs des communications. La place importante faite à la nudité, à laquelle pas moins de six articles sont consacrés, est également remarquable. Toutes les facettes en sont explorées – celle des femmes, mythiques ou réelles, celles des satyres et des héros, celles des athlètes ou du prince à Rome – et ses significations multiples décryptées. L’intérêt pour ce thème manifeste également que le vêtement n’est pas réductible à sa seule matérialité textile, ce que souligne aussi L. Llewellyn-Jones dans la conclusion du volume : « l’habit n’est pas seulement matériel (il ne s’agit pas seulement du tissu et des étoffes) » ( 279).
On peut émettre parfois quelques réserves sur l’approche adoptée qui, visant à révéler les mécanismes anthropologiques qui sont à l’œuvre dans le geste de se vêtir ou de se dévêtir, le fait à travers les représentations qui nous en sont parvenues, tant imagières que textuelles. La sémiologie fournit la grille d’analyse privilégiée et cette anthropologie vestimentaire est, de fait, surtout celle de ses représentations. Ce que l’on saisit dès lors, c’est souvent le sens des images de vêtements, plutôt que celui des vêtements eux-mêmes réellement portés. En somme, on peine parfois à distinguer si l’enjeu est l’étude de la représentation vestimentaire ou l’exploitation comme sources des représentations de vêtement. Les deux communications d’A. Stähli et de C. Vout clarifient leur position dans leur préambule ; mais la distinction n’est pas toujours nette entre les deux niveaux d’interprétation. Ainsi, l’article de B. Cohen ne traite que des bijoux montrés sans toujours que le départ soit clairement fait entre l’image et le réel qu’elle représente. On ne voit donc pas toujours si l’anthropologie proposée est celle du bijou – ou du vêtement – ou celle de l’image.
En outre, il est dommage sans doute de cantonner l’étude du vêtement à ses représentations et de le réduire à n’être qu’un « système de signes ». Le vêtement est, certes, susceptible d’être vu comme n’importe quel objet ; il est susceptible également de susciter des discours ou des représentations – voire des interprétations symboliques – chez ceux qui le portent. Pour autant, il me semble que d’autres pistes auraient sans doute mérité d’être explorées plus avant, pour s’attacher à l’analyse du phénomène vestimentaire lui-même et non à sa seule représentation. Certaines sont d’ailleurs soulevées par L. Llewellyn- Jones dans la conclusion du volume. Ainsi, l’identité produite par le vêtement ne se résume pas au discours qu’elle suscite, dans une « vestignomonie »4 qui, naturellement, mérite d’être étudiée pour ce qu’elle révèle des systèmes de pensée des Anciens, mais ne suffit pas à révéler toute la complexité du fait de se vêtir où entre aussi une part d’implicite.5
Grâce à ce beau volume, le lecteur aura donc un accès commode et direct au dernier état des recherches sur le vêtement caractéristiques d’une école déterminée, qui se revendique de l’anthropologie historique.
Table des matières
Préface
Avant-propos
Abréviations
Florence Gherchanoc et Valérie Huet, « Langages vestimentaires dans l’Antiquité grecque et romaine », p. 15-24.
Première Partie : Valeurs et symboliques du vêtement
Pauline Schmitt Pantel, « La ceinture des Amazones : entre mariage et guerre, une histoire de genre », p. 27-38.
Beate Wagner-Hasel, « Tria himatia. Vêtement et mariage en Grèce ancienne », p. 39-46.
Valérie Huet, « Le voile du sacrifiant à Rome sur les reliefs romains : une norme ? », p. 47-62.
Annie Vigourt, « Altération vestimentaire, pouvoir impérial et divination (Haut-Empire) », p. 63-75.
Anastasia Serghidou, « Vêtements et preuves chez Hérodote », p. 77-90.
Partie II : Vêtement et identités
Gabriella Pironti, « Autour du corps viril en Crète ancienne : l’ombre et le peplos », p. 93-103.
Pierre Brulé, « Hipparchia prend l’habit de philosophe », p. 105-111.
Gil Bartholeyns, « Le moment chrétien. Fondation antique de la culture vestimentaire médiévale», p. 113-134.
Corinne Bonnet et Iwo Slobodzianek, « “Un jour, du haut du ciel, elle voulut partir pour l’Enfer”. Les enjeux multiples du déshabillage d’Inanna/Ishtar dans l’au-delà », p. 135-148.
Beth Cohen, « Les bijoux et la construction de l’identité féminine dans l’ancienne Athènes », p. 149-164.
François Lissarrague, « Vêtir ceux qui sont nus : du côté des satyres », p. 165-172.
Partie III : Le Vêtement en contexte
Douglas Cairns, « Vêtu d’Impudeur et enveloppé de Chagrin. Le rôle des métaphores de “l’habillement” dans les concepts d’émotion en Grèce ancienne », p. 175-188.
Martin Galinier, « Domi forisque : les vêtements romains de la Vertu », p. 189-208.
Marie-Christine Villanueva Puig, « Se dévêtir pour Dionysos ? A propos de quelques représentations de ménades nues sur les vases attiques », p. 209-223.
Adrian Stähli, « Héraclès se déshabille. Nudité et sémantique du corps masculin dans les images », p. 225-237.
Caroline Vout, « La “nudité héroïque” et le corps de la “femme athlète” dans la culture grecque et romaine », p. 239- 252.
Onno van Nijf, « La question de la nudité athlétique dans le monde grec de l’époque classique à l’époque impériale romaine », p. 253-260.
Stéphane Benoist, « Le prince nu. Discours en images, discours en mots. Représentation, célébration, dénonciation », p. 261-278.
Lloyd Llewellyn-Jones, « Conclusion », p. 279-282.
Notes
1. Une seule erreur, sans conséquence, m’est apparue à la lecture : l’en-tête de l’article de S. Benoist conserve celui de l’article précédent, écrit par O. van Nijf.
2. R. Barthes, « Histoire et sociologie du vêtement. Quelques observations méthodologiques », Annales ESC, 1957, p. 430-441 ; idem, Système de la mode, Seuil, Paris, 1983.
3. Fl. Gherchanoc et V. Huet, « Pratiques politiques et cultuelles du vêtement. Essai historiographique », Revue historique, 641, 2007, p. 3-30.
4. le terme a été forgé par H. de Balzac, Traité de la vie élégante, Mille et une nuits, Paris, 2002, p. 48. Voir Ph. Bruneau, « Préface », de Fr. Boucher, Le vêtement chez Balzac. Extraits de la Comédie humaine, IFM, Paris, 2001.
5. Pour une anthropologie du vêtement qui prenne en compte ces diverses dimensions, voir P.-Y. Balut, Théorie du vêtement, L’harmattan, Paris, 2014.