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(Ce livre m’est parvenu par l’auteur, une collègue de MOISA, the International Society for the Study of Ancient Greek and Roman Music.)
Actuellement, l’étude de la musique antique connaît un grand moment d’épanouissement. Non seulement le nombre de publications s’est accru exponentiellement durant les dernières années, mais aussi la perspective de recherche s’est fondamentalement développée. La tradition musicologique italienne est un grand précurseur de ce mouvement. En accord avec ces tendances récentes, ce dernier livre de Daniela Castaldo prend l’approche de l’archéologie musicale et porte sur la musique de l’Italie antique.2
Avec son expérience et son expertise dans le domaine, Castaldo est bien placée pour livrer en introduction une synthèse des fondations méthodologiques et du développement historiographique de l’approche archéologique dans l’étude de la musique antique. Elle explique comment la recherche traditionnelle se fonde sur la documentation textuelle et les informations plutôt techniques liées à l’organologie, la notation, la théorie et la philosophie de la musique. Mais, l’antiquité comprend aussi des sources pertinentes hors du dossier strictement musical et nécessitant une approche plus appropriée. L’archéologie musicale est pour Castaldo une démarche “interdisciplinaire” et “holistique” (p. 7) qui intègre les sources non textuelles et les informations contextuelles pour entamer une recherche plus largement culturelle et anthropologique par l’adoption de notions comme le “comportement musical” et “les peuples sans notes” dans l’étude de la musique antique. Plus spécifiquement, elle propose une analyse des phénomènes musicaux dans leurs contextes socioreligieux qui trouve son point de départ dans l’examen des fragments et des représentations des instruments de musique à la lumière de leurs contextes de découverte archéologique et d’utilisation historique. Un élément d’originalité du livre est l’aperçu qu’il offre des principaux moments, figures et publications qui ont contribué au développement de l’archéologie musicale et son application dans l’étude de la musique antique.
Malgré le caractère synthétique de la partie introductoire, le livre n’est pas conçu comme une introduction compréhensive sur l’archéologie musicale de l’Italie antique en général. En effet, tous les chapitres suivants sont des études de cas particuliers. Ils ont un niveau de détail surprenant et une richesse avantageuse. Au lieu de se limiter à une seule catégorie de sources, l’analyse comprend l’ensemble des informations archéologiques, iconographiques et textuelles. Au niveau du contenu, l’examen ne considère pas les éléments strictement musicaux comme les propriétés organologiques des instruments, mais porte sur un éventail d’aspects contextuels comme leur valeur social et culturel, les lieux et les moments d’utilisation, les costumes et les sexes des joueurs, les emprunts grecs et les adaptations locales, des comparaisons, etc. Les études ne sont pas non plus divisées par type d’instrument, comme c’est traditionnellement le cas, mais ils sont organisés en quatre groupes de référence géographique: l’Étrurie, la Vénétie et l’Étrurie Padane, la Grande-Grèce et Rome. La place principale est prise par la musique des Étrusques et les instruments à vent en bronze qui sont spécialement importants dans ce patrimoine musical.
La première partie du livre regroupe trois études sur les traces de la culture musicale des Étrusques au sud du Pô. Son premier chapitre traite les cors recourbés. Il est organisé autour d’une discussion de l’exceptionnel exemplaire complet qui est revenu de la tombe des Chariots à Populonia. Faisant partie du mobilier funéraire d’un chef militaire, Castaldo souligne fortement sa valeur de symbole d’autorité. Elle constate que les Étrusques ont repris beaucoup d’aspects de la tradition musicale grecque mais ce n’est pas le cas pour les aérophones en bronze avec leurs connexions au pouvoir militaire. Ils sont rares chez les Grecs et Castaldo explique habilement que ces derniers ont pu attribuer l’invention des salpinges dans un sens générique aux Étrusques. Dans le sens strict, le terme de salpinx se limite à une trompette droite avec un pavillon évasé mais le lituus des Étrusques se termine par un pavillon recourbé. Il est le sujet du deuxième chapitre. Les auteurs Romains ont rapidement lié cet instrument au monde militaire, mais Castaldo montre que les fragments retrouvés ont plutôt un rapport avec le pouvoir religieux. Ainsi, l’exceptionnel exemplaire complet retrouvé à Pian della Civita à Tarquinia, fait partie d’un dépôt votif à l’entrée d’une structure religieuse. Le dernier chapitre examine le rôle des instruments de musique dans l’iconographie funéraire. Le cornu et le lituus figurent notamment dans des peintures de tombes des magistrats, où ils fonctionnent selon Castaldo comme une allusion directe au prestige social, à la gloire militaire et aux fonctions officielles du défunt. Mais Castaldo note aussi que les instruments ne sont pas joués et sont plus éloignés de l’aurige dans les scènes sur les urnes funéraires, où ils fonctionnent comme des attributs processionnels plutôt génériques et auxiliaires.
La deuxième section du livre examine les Étrusques au nord du Pô. Son premier chapitre traite les représentations musicales sur les situlae, un objet typique des Vénètes. Ces vases de bronze de forme conique servaient principalement d’urnes cinéraires. Remarquablement, ils figurent les musiciens dans des scènes militaires, vêtus d’un casque et portant parfois un bouclier. Ce n’est pas inattendu qu’ils jouent principalement des instruments à vent et plus spécifiquement des bronzes, appropriés pour l’occasion par leur son fort et leur capacité de signaliser. Plus inattendu, est la présence du syrinx (“flûte de pan”) et d’un instrument à cordes, qui sont souvent joués assis, pour lequel Castaldo retrouve un rapport avec une tradition orientale de musiciens rituels répandue dans toute l’antiquité. Le deuxième chapitre examine la présence dans l’iconographie étrusque du salpinx grec. Castaldo constate que cette trompette est rare et explicitement associée avec les gares funéraires et les combats militaires chez les Étrusques, comme chez les Grecs, dans une récupération de la prestigieuse tradition des “agoni alla greca”. Le dernier chapitre considère l’instrument typique des Celtes, le carnyx. Cette fameuse trompette guerrière avec son pavillon recourbé et parfois décorée d’une tête d’animal, devient le symbole de l’audace et de l’identité Gallique dans l’iconographie romaine. Castaldo retrouve des fragments et des représentations dans le monde Romain entier, souvent dans des contextes militaires mais aussi dans des cérémonies civiques et religieuses.
La troisième partie du livre nous ramène vers la période grecque dans l’Italie méridionale. Son premier chapitre est une étude des fragments des lyrai, un terme de portée générique utilisé ici dans le sens strict d’un instrument à cordes construit d’une carapace de tortue. Les connexions grecques des fragments trouvés dans quelques contextes funéraires dans la région de Salento, évoquent pour Castaldo moins l’origine grecque du défunt que la valeur de symbole social et culturel de l’instrument. Ainsi, les lyres grecs sont une constante dans l’iconographie funéraire campanienne, où ils sont typiquement liés au symposium, comme dans les célèbres fresques de la Tomba del Tuffatore à Paestum. Les fresques funéraires de la période Lucanienne sont le sujet du deuxième chapitre. Castaldo établit la présence des joueurs de l’ aulos (“double flûte”) comme un élément typiquement grec et la présence des aérophones en bronze comme un élément typiquement étrusque. D’autres éléments grecs et locaux sont retrouvés par Castaldo dans l’iconographie musicale de Tarente à l’époque hellénistique, le sujet du dernier chapitre. Sur les vases, l’instrument principal dans le contexte du théâtre et des spectacles est l’ aulos, comme en Grèce, tandis que dans le contexte du symposium, les lyres sont les instruments principaux. 3 Une discussion des terres cuites votives affirme cette connexion sympotique et l’importance plus générale et variée des lyres dans la région. Castaldo identifie même un type de cithara locale, joué aussi par les femmes et les fondateurs légendaires de la cité.
La dernière partie se porte sur Rome comme période culturelle. Le premier chapitre fait le parcours des thèmes musicaux sur les monnaies romaines. Castaldo note surtout des instruments à cordes dans des contextes Apolliniens. D’autres attributs musicaux comme le tibia, le sistrum et le tympanum, sont associés aux divinités d’origine orientale. Dans la numismatique, les éléments ont une valeur fortement symbolique, mais Castaldo remarque aussi un rapport avec la pratique, comme les joueurs de tibia et de cithara figurant dans des scènes de sacrifice. Dans le deuxième chapitre, Catastaldo montre que non seulement la statuaire mais aussi la numismatique et la glyptique de l’époque d’Auguste, ne privilégient pas l’arc mais la cithara comme l’attribut d’Apollon. Elle explique que l’instrument de musique qui souligne son aspect de dieu de paix est mieux approprié au fameux programme de propagande pacifique de l’empereur. Le troisième chapitre examine la présence de la trompette droite dans le monde Romain. Bien que la littérature et l’épigraphie fassent référence au tuba dans des contextes variés, Castaldo constate que, dans le répertoire iconographique et archéologique, l’instrument est strictement lié à la vie militaire. Le dernier chapitre porte sur les scènes de spectacle dans les mosaïques Romaines. Ils figurent, comme on peut s’y attendre, principalement des instruments à vent et plus spécifiquement des bronzes. Plus spectaculaire est l’entrée en scène de l’ hydraulis, l’orgue hydraulique, un nouvel instrument, et avec lui des joueurs féminins.
À travers ces études, Castaldo réussit très bien à mettre en valeur l’ampleur et la variété de l’apport des sources matérielles et des informations contextuelles par rapport aux documents musicaux et à la musicologie traditionnelle, dans lequel le livre reste toutefois profondément ancré. Ainsi, il se termine bien par un index de passages littéraires mais il n’y a pas d’index des sources archéologiques ni même de simple liste d’illustrations. Dans l’ample bibliographie, l’absence des articles de référence sur la musique (et autres sujets pertinents) du ThesCra (Thesaurus cultus et rituum antiquorum) est frappante, d’autant plus que le LIMC (Lexicon iconographicum mythologiae classicae) est bien repris. En ceci se reflète aussi le parcours personnel de Castaldo, qui a écrit sa thèse sur le panthéon musical dans l’iconographie Attique pour élargir ensuite son champ de recherche vers les sources archéologiques, les pratiques musico-religieuses et le monde Italique.4 En effet, plusieurs chapitres reprennent des contributions antérieures de l’auteur et on se pose la question pourquoi elles ne sont mentionnées nulle part.5 On regrette aussi l’absence d’une conclusion générale avec une réflexion plus approfondie sur l’ensemble de ces études empiriques et variées.
D’un point de vue formel, c’est un beau volume avec peu de négligences typographiques et pourvu de nombreuses et belles illustrations en restant d’un prix très raisonnable. Comme il nécessite un certain niveau de connaissance musical, il servira moins aux étudiants d’archéologie classique en générale mais c’est certainement une introduction accomplie pour les musicologues antiques à la culture musicale des peuples Italiques au sens large, par l’intégration des sources et des contextes archéologiques. On attend avec impatience les études et les développements qui suivront dans l’avancement de cette approche interdisciplinaire.
Indice volume
Introduzione
Archeologia musicale: obiettivi e prospettive di ricerca [5-8]
Lineamenti di storia dell’archeologia musicale [9-18]
I. Etruria
I.1.
Il corno dell’oplita [19-24]
I.2. Il lituus [25-27]
I.3. Iconografia musicale nelle pitture funerarie etrusche [28-34]
II. Veneto ed Etruria padana
II.1. Musica nell’Arte delle situle [35-46]
II.2. La salpinx degli Etruschi padani [47-52]
II.3. Le trombe dei Celti [53-58]
III. Magna Grecia
III.1. Frammenti di lyrai dall’area messapica e campana [59-66]
III.2. Musica e riti funerari negli affreschi lucani [67-72]
IIII.3. Musica a Taranto in età ellenistica [73-88]
IV. Roma
IV.1. Temi musicali nelle monete romane [89-94]
IV.2. Musica e propaganda politica in età augustea [95-99]
IV.3. Trombe di bronzo di età romana (I-III sec. d.C.) [100-106]
IV.4. Musica e spettacoli nei mosaici romani [107-116]
Bibliografia, discografia, siti web [117-140]
Indice dei passi citati [141-144]
Notes
1. Je remercie Judith Wambacq et Anne Devillers pour la correction de ce texte.
2. Le volume trouve sa place parmi d’autres volumes recents, notamment G. Paolucci, S. Sarti (Eds), Musica e Archeologia: reperti, immagini e suoni dal mondo antico. Roma 2012 (BMCR 2013.03.07) et A. Bellia, Strumenti musicali e oggetti sonori nell’Italia meridionale e in Sicilia (VI-III sec. a.C.): funzioni rituali e contesti. Lucca 2012 (BMCR 2013.07.25).
3. Il faut quand-même noter que la lyre n’est pas non plus absente du symposium en Grèce cf. F. Lissarrague, Vases grecs: les Athéniens et leurs images. Paris 1999, p. 32-33.
4. D. Castaldo, Il pantheon musicale. Ravenna 2000.
5. P.ex. son étude des monnaies romaines: D. Castaldo, “Temi musicali nelle monete romane, in La musica nell’impero romano. Testimonianze teoriche e scoperte archeologiche. Atti del II Convegno annuale di MOISA, Cremona 2008. Pavia 2010, p. 113-122.