[La table des matières est reproduite à la fin de ce compte rendu.]
Les treize contributions réunies dans cet ouvrage sont issues d’un colloque organisé à Paris en 2007 par le Collège de France et le groupe de recherche Römische Reichsreligion und Provinzialreligion. Dirigé par Jörg Rüpke, professeur à l’Université d’Erfurt, ce groupe est financé depuis 2000 par la Deutsche Forschungsgemeinschaft en tant que Schwerpunktprogramm; il a notamment pour objet d’étudier les formes revêtues par la religion romaine dans les provinces de l’Empire. Concentré sur les problématiques religieuses, il avait fait peu de place jusqu’à présent aux questions funéraires; le colloque dont paraissent aujourd’hui les actes était notamment destiné à combler cette lacune.
L’ouvrage s’ouvre sur une brève introduction (p. 7-10) rédigée conjointement par les deux éditeurs du volume, Jörg Rüpke et John Scheid, professeur au Collège de France. Elle consiste pour l’essentiel en une présentation des grands axes du programme de recherche. Ce court texte est malheureusement ponctué de coquilles.1 S’agit-il là d’un problème de traduction ? La belle faute que contient le titre (“aux temps impériales”) semble l’indiquer; et l’on ne peut dès lors que regretter que ces actes n’aient pas été l’objet d’une relecture plus attentive.
Derja Šterbenc Erker est l’auteur de la première des contributions, dans laquelle elle se demande pourquoi Ovide et Denys d’Halicarnasse défendent l’idée selon laquelle certains aspects du rituel funéraire romain auraient une origine arcadienne (p. 11-23). Mettant en relation leurs écrits et la politique de restauration des cultes entreprise par Auguste, elle démontre qu’ils participent tous deux à la construction d’une identité romaine dans laquelle le thème de la continuité depuis les origines grecques et troyennes jusqu’à la Rome du principat jouait un rôle central. Elle nous offre ainsi, au passage, une fort intéressante réflexion sur la notion d’identité.
Dans la contribution suivante, Andreas Gutsfeld s’est penché sur le fameux “banquet noir” organisé par Domitien au lendemain de son triomphe sur les Daces et les Germains à la fin de l’année 89 (p. 25-33); banquet dont Dion Cassius nous a laissé une vivante description dans son Histoire romaine (67, 9). Selon Gutsfeld, il ne convient pas de reconnaître dans cette mise en scène lugubre une manifestation de l’humour noir ou du sadisme du dernier empereur flavien; le message délivré aux invités, sénateurs et chevaliers, avait en réalité une teneur hautement politique que l’on peut résumer en une simple formule: “la collaboration ou la mort” (p. 32).
Rudolf Haensch a étudié, pour sa part, les monuments funéraires et les épitaphes des hauts fonctionnaires en charge de l’administration provinciale mis au jour en dehors de l’Italie (p. 35-55). Si ces serviteurs de l’État romain ont laissé de nombreux témoignages d’une dévotion envers les dieux locaux, on ne trouve en revanche aucune trace d’éléments indigènes dans le rituel funéraire qui a accompagné leur mort ou celle de leurs proches; quant à leurs tombeaux, ils se rattachent à des formes typiquement romaines.
Ralph Häussler s’est quant à lui questionné sur le développement, à la fin de l’âge du Fer, d’un culte de type héroïque autour de certaines sépultures exhumées en Gaule et en Bretagne (p. 57-92). En s’appuyant notamment sur les découvertes réalisées à Verulamium (St Albans, Hertfordshire) et à Camulodunum (Colchester, Essex), il y reconnaît, de façon tout à fait convaincante, une réaction des élites face à la crise que connaît alors le système sociétal indigène.
Dans la contribution suivante, Valérie Bel se propose de brosser un tableau de l’évolution des pratiques funéraires à Nîmes (Gard) depuis la fin de l’âge du Fer jusqu’au seuil de l’Antiquité tardive (p. 93-112). Pour mener à bien cette tâche, elle se fonde principalement sur les résultats de fouilles préventives menées dans les dernières années; fouilles qui ont notamment révélé un ensemble de sépultures daté des IIe et Ier s. av. J.-C., une période pour laquelle les rituels funéraires demeurent mal connus, cela essentiellement faute de données archéologiques solidement étudiées.2 Si l’échantillon examiné, à savoir guère plus d’une centaine de tombes dont la répartition est chronologiquement et spatialement éclatée, ne permet pas d’aboutir à des conclusions qui se voudraient définitives, deux évolutions apparaissent toutefois avec une relative netteté à partir du Ier s. ap. J.-C.: l’augmentation du poids des ossements déposés dans la tombe d’une part; la baisse sensible du nombre de vases placés en offrande dans la sépulture d’autre part. L’auteur voit dans ces modifications un reflet des changements institutionnels et culturels que connaît alors la ville.
C’est le quinzième chapitre de la première épître aux Corinthiens, dans lequel Paul évoque la mort et la résurrection, qui est le sujet du texte rédigé par Christoph Auffarth (p. 113-133). Ce dernier y reconnaît une série d’allusion aux cultes à mystères de Déméter et de Coré; cultes que Paul a certainement appris à connaître lors de son séjour à Corinthe.
Gian Franco Chiai a étudié une série d’inscriptions découvertes en Phrygie dans lesquelles la mémoire du défunt est associée à l’évocation de Zeus Bronton (p. 135-156).
Isabelle Sachet s’est intéressée aux libations funéraires en pays nabatéen (p. 157-174). Sa contribution consiste pour l’essentiel en un inventaire des traces archéologiques de cette pratique, qu’il s’agisse des céramiques vraisemblablement utilisées à cette fin, des cupules à libations ou encore des aménagements destinés aux banquets funéraires. Si l’on suit l’auteur – mais il convient naturellement de demeurer prudent à ce sujet –, leur étude tendrait à démontrer que la présence romaine n’a pas entraîné de véritable redéfinition du rituel funéraire dans la région.
La contribution de Stefan Lehmann traite des portraits funéraires de l’Égypte romaine (p. 175-213). L’auteur reprend ici l’intégralité du dossier consacré à ces pièces remarquables en s’intéressant tout particulièrement à leur contexte de découverte ainsi qu’à leur fonction rituelle.
Günther Schörner a donné à l’ouvrage une courte synthèse consacrée aux sépultures d’enfants d’époque romaine mises au jour en Afrique du Nord (p. 215-235). Son propos est de démontrer que les prétendues particularités puniques qui caractériseraient ces sépultures se rencontrent en réalité ailleurs dans l’Empire; une démonstration notamment étayée par l’examen des résultats de la fouille de plusieurs vastes nécropoles comme celle de Pupput, près d’Hammamet.
La contribution de Sandrine Crouzet consiste en un réexamen détaillé des textes antiques évoquant le sacrifice d’enfants chez les Phénico-puniques (p. 237-258). Son objectif est, d’une part, d’éclairer les intentions de leurs auteurs, cela en se penchant notamment sur le contexte de rédaction de ces textes, d’autre part de confronter ces derniers aux données archéologiques actuellement disponibles sur le sujet. Si cette contribution n’apporte pas de réponses définitives aux nombreuses questions que continue de poser ce dossier tout à fait fascinant, le retour aux sources littéraires proposé par son auteur n’en est pas moins fort précieux en ce qu’il permet de jeter un nouveau regard sur leur articulation aux données recueillies par les archéologues.
Peter Rothenhöfer a étudié un type singulier de monuments, que l’on rencontre principalement dans la péninsule ibérique – où l’on en connaît près d’une trentaine d’exemplaires: il s’agit des statues consacrées à une divinité en mémoire d’un défunt (p. 259-280). La thèse de Rothenhöfer est qu’il ne convient nullement de considérer ces monuments comme des témoignages d’une déification des disparus; ils avaient simplement pour fonction de souligner les qualités proprement divines de ceux-ci afin de maintenir vivace leur souvenir.
La dernière contribution est signée Éric Rebillard; elle traite de l’évolution du repas pour la fête des morts, les Parentalia, durant l’Antiquité tardive (p. 281-290). En se fondant sur les textes des Pères de l’Église, l’auteur montre que si ce rite se maintient malgré la christianisation, il acquiert toutefois progressivement une tout autre valeur que celle qu’il avait auparavant: le sacrifice en holocauste aux Mânes du défunt disparaît au profit d’un partage du repas entre les vivants et les morts.
Au total, c’est à un ouvrage dense et riche que l’on a affaire ici. Si, de prime abord, l’hétérogénéité des contributions peut désorienter le lecteur, ce sentiment disparaît toutefois rapidement au fur et à mesure que progresse la consultation: la diversité des thèmes abordés, des sources étudiées ainsi que des points de vue exposés confère en réalité une vraie cohérence à ces actes en ce qu’elle démontre que l’étude des rituels funéraires se doit d’être l’objet d’une approche pluridisciplinaire menée à des échelles variées. Ajoutons que les textes réunis ont tous été rédigés avec une grande rigueur et que leur lecture se révèle parfois passionnante. Un bémol cependant: le prix à notre sens trop élevé de l’ouvrage, inaccessible à la plupart des bourses estudiantines et que ne justifie nullement la qualité de l’iconographie, composée pour l’essentiel de clichés en noir-et-blanc reproduits pleine page.
Table des matières :
J. Rüpke, J. Scheid, “Introduction”, p. 7-10.
D. Šterbenc Erker, “Der römische Totenkult und die Argei-Feier bei Ovid und Dionysios von Halikarnass”, p. 11-23.
A. Gutsfeld, “Domitian ‘schwarzes’ Mahl von 89”, p. 25-33.
R. Haensch, “Tod in der Provinz: Grabmonumente für die beim Dienst außerhalb Italiens verstorbenen hohen Vertreter Roms”, p. 35-55.
R. Häussler, “Ahnen- und Heroenkulte in Britannien und Gallien: Machtlegitimation oder Bewältigung innerer Krisen ?”, p. 57-92.
V. Bel, “Évolution des pratiques funéraires à Nîmes entre le IIe siècle av. J.-C. et le IIIe siècle ap. J.-C.”, p. 93-112.
C. Auffarth, “Das Korn der Sterblichkeit: Was Paulus von seinen Korinthern im Demeter- und Kore-Heiligtum gelernt hat”, p. 113-133.
G. F. Chiai, “Zeus Bronton und der Totenkult im kaiserzeitlichen Phrygien”, p. 135-156.
I. Sachet, “Libations funéraires aux frontières de l’Orient romain: le cas de la Nabatène”, p. 157-174.
S. Lehmann, “Mumien mit Porträts: Zeugnisse des privaten Totenkults und Götterglaubens im Ägypten der Kaiserzeit und Spätantike”, p. 175-213.
G. Schörner, “Saturn, Kinder und Gräber: Zur Beziehung von Götterverehrung und Kinderbestattungen im römischen Nordafrika”, p. 215-235.
S. Crouzet, “Les rituels du tophet: idéologie et archéologie”, p. 237-258.
P. Rothenhöfer, “ In formam deorum : Beobachtungen zu so gennanten Privatdeifikationen Verstorbener auf der Iberischen Halbinsel im Spiegel der Inschriften”, p. 259-280.
É. Rebillard, “Les chrétiens et les repas pour les fêtes des morts (IVe-Ve siècles)”, p. 281-290.
Notes
1.. Par exemple: p. 7: “du point de la vue religieux”; “le systèmes religieux”; p. 9 : “du index”.
2.. Pour un inventaire de ces données, déjà ancien il est vrai, voir P. Pion, V. Guichard, “Tombes et nécropoles en France et au Luxembourg entre le IIIème et le Ier siècles avant J.-C. Essai d’inventaire” dans D. Cliquet, M. Remy-Watte, V. Guichard, M. Vaginay (éd.), Les Celtes en Normandie. Les rites funéraires en Gaule (IIIème – Ier siècle avant J.-C.). Actes du 14ème colloque de A.F.E.A.F., Evreux – mai 1990, Rennes, 1993 ( Revue archéologique de l’Ouest, suppl. 6), p. 175-200.