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Les Recents Trends and Findings in Latin Linguistics s’inscrivent dans la longue série des colloques de linguistique latine qui rassemblent les chercheurs de tous horizons et donnent une idée précise des perspectives actuelles du domaine – il s’agit ici de la publication des actes du colloque organisé à Saint Jacques de Compostelle en juin 2022. Ces rencontres initiées par Harm Pinkster gardent l’empreinte forte du chercheur disparu en 2021 : le premier volume s’ouvre en l’occurrence par un magnifique éloge funèbre rédigé par Caroline Kroon qui donne à l’ensemble la saveur du développement de nombre d’intuitions linguistiques d’Harm Pinkster.
Les articles rassemblés en deux volumes constituent un kaléidoscope de la recherche actuelle en linguistique latine. Regroupées en sept sections et rédigés en anglais, français, espagnol, allemand ou italien, les trente-huit contributions, chacune complétée d’une riche bibliographie, portent principalement sur la syntaxe, la sémantique et la pragmatique – on remarque l’absence complète de sections de morphologie et de phonétique, les deux champs les plus anciens de la linguistique moderne. Les deux volumes rassemblent également les contributions de grands noms de la linguistique latine et de doctorants. Ils ouvrent de nombreuses pistes d’études par les questions soulevées en même temps qu’ils enrichiront les cours et les séminaires des linguistes du latin. On prend plaisir à lire les textes dans l’ordre ou dans le désordre et à percevoir les échos entre les contributions – l’index final est pour ce faire très utile. Les périodes du latin sont celles que l’on étudie généralement, des premiers textes latins au latin tardo-antique, même s’il faut bien regretter l’absence, habituelle hélas !, d’études sur le latin médiéval, renaissant ou tardif. L’histoire latine des idées linguistiques est également regrettablement absente, mais c’est là encore habituel.
Le premier volume comprend principalement des études de syntaxe dont certaines croisées à la sémantique ou à la pragmatique. La première section, « Syntax and Semantics » (six articles), est magistralement ouverte par Pierluigi Cuzzolin dans un article d’envergure sur la « definiteness » en latin classique, qui s’intéresse à l’expression de la définitude dans l’ablatif de manière. Suivent les articles de Roland Hoffmann sur l’anaphore zéro au datif ; d’Iván López Martín sur les différences d’emploi de facere, gerere et agere. Pedro Riesco García propose pour sa part de distinguer censere et sentire et d’en tirer l’explication d’un passage douteux de Cicéron. Quant à Esperanza Torrego, elle propose une étude onomasiologique et diachronique de la substitution en latin à partir de la comparaison entre pro eo ut, pro eo quod, uice-Gen, loco-Gen. Enfin, Martina Vaníková reprend la question centrale de l’aspect du présent en latin à partir de l’étude des verbes préverbés en ex- pour rappeler le caractère atélique du présent.
La deuxième section porte sur « des constructions syntaxiques » spécifiques : l’accusatif adverbial (Olga Álvarez Huerta), l’attribut du sujet avec manere et ses composés (Concepción Cabrillana), l’usage de la répétition comme moyen de coordination (Michal Ctibor), c’est-à-dire le type cano arma, cano uirum, avec un effet d’insistance rhétorique sur les termes modifiés à chaque fois ; les emplois au nominatif de is en fonction de sujet (Marie-Dominique Joffre), qui forme un appréciable contrepoint à l’article de Roland Hoffmann sur l’anaphore zéro au datif. Un article comparatiste, le seul du volume et écrit par Manfred Kienpointner, met en regard le choix des modes dans les constructions subordonnées en latin, en allemand et en turc. Il forme un diptyque avec la contribution de Liana Tronci sur la traduction des subordonnées en ὅτι dans la Vulgate et la Vetus Latina par quod, quia et quoniam.
Dans une troisième section, « Syntax and Pragmatics », des questions syntaxiques bien connues, les subordonnées causales corrélatives (Martin Taillade) et les hyperbates prépositionnelles (Agnès Vendel) sont éclairées par la méthodologie pragmatique. Y est inséré également un article de Pascal Tonnaer portant sur un « motif textuel » de l’élégie ovidienne, [sola + VIR en début de vers] – la notion même de « motif textuel » est quant à lui développé dans l’article de Dominique Longrée et de Marc Vandermissen et défini comme « a recurrent lexico-syntactic sequence within a text or corpus that fulfills a steady semantic function and has stable syntactic properties » (P. Tonnaer, p. 259).
Ce premier volume se conclut par deux articles de linguistique digitale, où le projet de lemmatisation du corpus latin est présenté dans sa réalisation, ses avancées (Margherita Fantoli, Marco Passarotti et Dominique Longrée) et ses conséquences pour la recherche, en particulier phraséologique, avec la mise au jour de nouveaux motifs textuels (Dominique Longrée et Marc Vandermissen).
Le second volume porte sur la sémantique et la lexicographie (dix articles) mais aussi sur la description des interactions dans les dialogues et les discours (cinq et six articles). Ces dernières sections répondent à la dernière section du premier volume, « Syntax and Pragmatics », en mettant en valeur les stratégies de construction des discours et des dialogues. Elles montrent surtout que c’est la pragmatique qui constitue l’angle le plus fréquent retenu aujourd’hui par les linguistes du latin – les autres champs étant envisagés sous cette perspective. La langue se trouve considérée comme des énoncés destinés à une interaction, ce qui amène à enrichir nombre d’études anciennes et fondamentales.
Dans la partie « Semantics and Lexicography », la plus longue de l’ensemble, six contributions ont pour objets des mots ou familles de mots : perticarius et sarcitor (Salvatore Cammisuli), roseus (Šime Demo), les noms de pains (Theodor Georgescu), effēmināre (Peggy Lecaudé) et nescio an (Josine Schrickx). Trois autres articles portent sur des questions rhétoriques (Christopher Dowson) ou cherchent à caractériser les singularités de la langue de Firmicus Maternus (Maria Rosaria Petringa) ou le rapport des grammairiens au latin parlé (Paolo de Paolis). Quant à l’article liminaire, co-écrit par Luisa Brucale et Egle Mocciaro, il a pour point de focalisation le suffixe –llus dans un corpus épistolaire afin d’en établir la carte sémantique autour de deux valeurs, « similar to » et « small ».
La section six « Discourse Strategies » présente plusieurs modalités d’élaboration du discours direct (Joseph Dalbera et Jana Mikulová) qui répondent et encadrent l’analyse que propose Sándor Kiss de « l’élaboration textuelle » chez les historiens latins, article bien succinct pour décrire les différentes stratégies utilisées par les historiens pour présenter un événement. Suivent deux articles très originaux : le premier sur la « linguistique des émotions » (Roman Müller) et l’autre sur les descriptions de la métaphore chez Fronton selon une perspective psycholinguistique (Anna Novokhatko).
La dernière section, « Conversation and Dialogue », termine le volume en beauté par six contributions qui montrent la richesse de l’analyse pragmatique. On regrette cependant que les deux articles sur age employé comme interjection soient disjoints l’un de l’autre et même que celui qui porte sur age/agite chez Virgile précède celui qui tire ses exemples chez Plaute et Térence – au contraire, l’ordre inverse aurait mis en valeur l’originalité de Virgile et conforté de ce fait la démonstration de Giulia Beghini. C’est la question des stratégies conversationnelles qui constitue le réel fil rouge de la section, en particulier chez Łukasz Berger et Rodrigo Verano, qui traitent de l’aposiopèse dans la comédie latine et chez Lidewij van Gils et Caroline Kroon, qui mettent au jour les stratégies de Cicéron dans sa quatrième catilinaire. On retient également un article passionnant d’Evita Calabrese qui cherche à décrire linguistiquement la gestualité dans la tragédie de Sénèque, en s’intéressant à la « gestualité disfonctionnelle ». Elle qualifie ainsi les passages où le geste introduit une rupture dans le dialogue : on est ici au cœur de l’analyse du texte tragique dans la manière dont il pouvait (aurait pu ?) être mis en scène et complété par la représentation.
L’ensemble de l’ouvrage fait apprécier la variété et la richesse des recherches en linguistique latine tout en montrant une tendance générale : le renouvellement qu’apporte la méthodologie pragmatique aux questions habituellement traitées en syntaxe ou en sémantique latine, plus encore qu’en morphologie. La pragmatique permet en effet de dépasser la phrase comme niveau d’analyse pour s’intéresser au contexte et au cotexte : l’énoncé est pris en compte de manière plus globale pour comprendre les mécanismes de création du sens. On retrouve finalement de nombreux points de contact avec les conceptions antiques de la grammaire et de l’étude des énoncés, nombreux points que l’histoire des idées linguistiques permet de mettre en valeur en montrant la modernité des réflexions antiques et même temps que les variations et la variété des études modernes.
En un mot, ce double volume des Recent Trends and Findings in Latin Linguistics, admirablement coordonné par Concepción Cabrillana (malgré quelques discrètes et compréhensibles coquilles), montre la profonde cohérence des études linguistiques sur le très long terme en même temps que les points d’avancée et le dynamisme des actuels linguistes du latin.
Authors and titles
Volume I
Preface
Caroline Kroon – Latin Linguistics in Harm’s Way
- Syntax and Semantics
Pierluigi Cuzzolin – Aspects of the Expression of Definiteness in Classical Latin
Roland Hoffmann – On the Zero Anaphora of Arguments in the Dative Case
Iván López Martín – Interferencias colocacionales entre facere, agere y gerere en latín tardío
Pedro Riesco García – Sēnsus cēnsēndī: On the Expression of Opinions in Latin, apropos CiC. Att. 1, 4, 1 79
Esperanza Torrego – Substitution in Latin
Martina Vaníková – Remarks on the Aspect of the Present Tense in Latin
- Syntactic Constructions
Olga Álvarez Huerta – El acusativo adverbial deadjetival en latín
Concepción Cabrillana – Expression of (Non-)Permanent Qualities and Coding of the Praedicativum in Latin
Michal Ctibor – Coordinative Repetition: Repetition as a Means of Coordination in Classical Latin
Marie-Dominique Joffre – Is au nominatif en fonction de sujet
Manfred Kienpointner – Non≠finite Constructions in Latin, German and Turkish: A Trilateral Comparison
Liana Tronci – Latin Translations of Greek ὅτι-clauses in the Vulgate and the Vetus Latina: A Comparative Analysis of the Four Gospels
- Syntax and Pragmatics
Martin Taillade – Les subordonnées causales corrélatives en latin
Pascal Tonnaer – The Sequence [sola + VIR at the Beginning of the Verse]: A New Textual Motif in Ovidian Elegy?
Agnes Vendel – Prepositional Phrase Hyperbaton in Cicero’s Orations
- Digital Linguistics
Margherita Fantoli, Marco Passarotti and Dominique Longrée – Lemmas in Dialogue: Linking the L.A.S.L.A. Corpus to the LiLa Knowledge Base
Dominique Longrée and Marc Vandermissen – New Perspectives on Latin Phraseology: Phrasemes and Textual Motifs
Volume II
- Semantics and Lexicography
Luisa Brucale and Egle Mocciaro – A Cognitive-Pragmatic Description of Evaluative Suffixes in Latin Letters: The Case of –llus
Salvatore Cammisuli – Nota su perticarius e sarcitor: due nomi di mestiere di rara attestazione
Šime Demo – Expressing Rose Colour (roseus) from Ancient to Modern Latin: A Corpus-Based Study
Christopher Dowson – Glossing as a Rhetorical Strategy: Seneca the Younger’s Use of Greek Loan-Words in his Philosophical Works
Theodor Georgescu – Le micro-champ lexical des noms de pains en latin – une approche étymologique
Peggy Lecaudé – L’expression de la non-virilité par le féminin en latin : lat. effēmināre, lat. effēminātus, lat. effēminātē
Antonio María Martín Rodríguez – Semantica y sintaxis de dare. Consideraciones intralingüisticas e interlingüisticas
Maria Rosaria Petringa – La lingua del De errore profanarum religionum di Firmico Materno
Paolo De Paolis – Qualche esempio di usi linguistici sommersi nei grammatici latini
Josine Schrickx – Nescio an: Maybe or Maybe not? Constructions of Doubting Used Adverbially
- Discourse Strategies
Joseph Dalbera – Verbes introducteurs et stratégies d’introduction du Discours Direct dans la narration romanesque latine (le Satyricon de Pétrone et les Métamorphoses d’Apulée)
Sándor Kiss – Degrés et manières d’élaboration textuelle chez quelques historiens romains
Jana Mikulov – Límites del discurso directo en la lengua latina
Roman Müller – Linguistik der Emotionen: Gefühlsausdruck bei Terenz und Cicero
Anna Novokhatko – Fronto’s Theory of Metaphor? An Enactivist and Psycholinguistic Perspective
- Conversation and Dialogue
Giulia Beghini – Age/agite: the Artistic Re-elaboration of a Polyfunctional Interjection in Virgil’s Works
Łukasz Berger and Rodrigo Verano – Self-interruptions (aposiopesis) in Roman Comedy
Evita Calabrese – Gestualità disfunzionale nelle tragedie di Seneca
Federica Iurescia – Conversational Behaviour after Quarrels: Im/politeness in Latin Dialogues
Lidewij van Gils and Caroline Kroon – Conversational Strategies in Non-Conversational Texts: The Communicative Structure of Cicero’s Fourth Catilinarian
Luis Unceta Gómez – The Pragmatic Marker age: Its Pragmatic Functions in Comedy and its Contribution to the Expression of Im/Politeness