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Ce titre concis, Was ist Residenz?, est celui d’un ouvrage collectif constitué de 16 contributions (en allemand, à l’exception d’un article en anglais) précédées d’une courte préface, sous la direction de Torsten Mattern, Professeur d’Archéologie classique à l’Université de Trèves et spécialiste d’histoire et d’architecture du bâti en contexte romain provincial, et de Marcus Reuter, Conservateur du Rheinisches Landesmuseums de Trèves dont les recherches portent sur les provinces et le limes germaniques. Le lien de Was ist Residenz? à Trèves est d’autant plus prononcé qu’au-delà des affiliations académiques des deux éditeurs scientifiques, l’ouvrage est publié sous le patronage de l’association pour la recherche sur la résidence impériale antique de Trèves (Verbund zur Erforschung der antiken Kaiserresidenz Trier – VaKT) ; en outre, le contexte d’Augusta Treverorum est régulièrement mobilisé dans les contributions, soit comme cas d’étude dans des démonstrations de portée plus générale (à l’instar des enquêtes de Reuter, de Mattern, ou de Klaus-Peter Goethert), soit comme objet spécifique (question des remplois de chapiteaux de marbre à Trèves traitée par Markus Trunk, thermes impériaux d’Augusta Treverorum chez Michael Dodt, ou encore productions et importations de et vers Trèves dans l’Antiquité tardive pour Korana Deppmeyer).
Pour autant, il ne s’agit pas ici d’un ouvrage consacré à Trèves, mais, tel qu’introduit par les éditeurs scientifiques dans la brève préface qui ouvre l’ouvrage (p. VII), d’une contribution collective à l’étude des résidences impériales tardo-antiques, dont Augusta Treverorum constitue bien sûr un exemple représentatif dès le IIIe s. apr. J.-C., et plus précisément encore à partir de la 1e tétrarchie, quand elle devient le centre de résidence et d’exercice du pouvoir impérial du César Constance Chlore dans le périmètre qui lui est échu. L’ouvrage part du constat de la difficulté qu’il y a à identifier ce à quoi correspond précisément, au sein des réalités romaines tardo-antiques, la notion, moderne, de « résidence impériale », dont des équivalents ne se donnent pas clairement à voir dans la terminologie latine ou grecque (puisqu’ainsi que le rappelle Christian Witschel dans son article, l’expression traditionnelle de sedes imperii est en réalité rare en latin et celle de palatium trop polyvalente pour permettre de circonscrire en soi la notion de résidence impériale). La résidence impériale est-elle, pour paraphraser les mots célèbres d’Hérodien au sujet de Rome, « là où est l’empereur » (Histoire des empereurs romains de Marc-Aurèle à Gordien III, 1, 6, 5, voir notamment l’analyse de ce passage proposée par Werner Eck à la p. 79) ? Ou des critères permettent-ils d’identifier la « Spitzengruppe » (Witschel, p. 25), la liste plus circonscrite, des résidences qui se voient habituellement qualifiées de la sorte dans l’historiographie moderne (Rome, Constantinople, bien sûr, mais aussi Trèves, Milan, Ravenne, Antioche, Aquilée, Sirmium etc.) et de distinguer ces résidences impériales à proprement parler des cités, camps militaires, villas, lieux d’accueil ordinaires que l’empereur honore de sa présence au fil de ses multiples déplacements? C’est cette seconde hypothèse que privilégient les auteurs, en cherchant dès lors les marqueurs possibles d’une identité propre aux résidences impériales stricto sensu.
La terminologie ancienne se révèle peu opérante (Witschel, Goethert).[1] Plutôt, la comparaison des durées de séjour est plus parlante. Plusieurs contributions s’appuient sur la méthode classique qui invite à localiser les productions juridiques de la chancellerie impériale d’après les compilations tardo-antiques dans le but de mesurer l’itinérance du pouvoir mais aussi de comparer les temps de résidence d’un lieu de passage de l’empereur à l’autre : ainsi Reuter souligne-t-il, dans le cas de Valentinien Ier, l’alternance annuelle entre de longs quartiers d’hiver à Trèves et des périodes estivales dédiées à des tournées d’inspection militaire, qui amènent l’empereur à séjourner dans des localités plus modestes. Les marqueurs architecturaux constituent bien sûr un champ d’étude privilégié par les auteurs, selon des directions multiples : la nature des bâtiments (par exemple, Dodt et Winfried Peter Weber se penchent sur les thermes ; Wolfgang Spickermann sur la coexistence des lieux du pouvoir et des lieux de culte au sein des résidences impériales ; tandis que l’ensemble palatium-cirque, dérivé du modèle romain Palatin-Circus maximus, constitue un des fils conducteurs de l’ouvrage) ; l’insertion urbaine des quartiers impériaux (Christian Rollinger) ; les formes architecturales employées (l’« aula regia » étudiée par Goethert) ; mais aussi le déploiement et le rôle cérémoniel du luxe architectural et mobilier (articles d’Yvonne Schmuhl sur le porphyre, de Trunk sur les chapiteaux en remploi, ou encore, très intéressant, d’Elisabeth Günther sur le topos de la luxuria priuata dans l’Histoire Auguste), à rapprocher, dans une autre perspective, de l’hypothèse de Deppmeyer sur les pratiques de consommation ostentatoire qui pourraient distinguer le marché économique des résidences impériales de celui des localités ordinaires. Un point de vue fonctionnel est envisagé dans des contributions qui se penchent sur la place du comitatus et/ou de l’administration impériale dans le fonctionnement des résidences impériales (Eck, Rollinger) mais aussi sur le cérémoniel croissant autour du pouvoir impérial et de la personne de l’empereur dont les résidences impériales deviennent le réceptacle privilégié (Mattern, Rollinger). Aucun de ces critères n’est décisif en soi mais leur récurrence et leur croisement d’une contribution à l’autre offrent un tableau cohérent (non d’ailleurs sans un sentiment ponctuel de répétition, par exemple entre les différents articles qui s’intéressent au comitatus et qui auraient gagné à être davantage mis en relation les uns avec les autres par les éditeurs scientifiques).
L’étude du concept de « résidence impériale » amène la majorité des auteurs à se focaliser sur la période tardo-antique, plus particulièrement sur les IIIe-Ve s. apr. J.-C., avec notamment une forte représentation de la tétrarchie et de la dynastie constantinienne, tant de manière générale que pour le cas de Trèves en particulier. De fait, si l’itinérance du pouvoir impérial n’est pas un fait nouveau, elle revêt une dimension accrue et renouvelée à partir du IIIe siècle et surtout des expériences de collégialité impériale engagées par Dioclétien dans une optique de rapprochement entre l’exercice du pouvoir impérial et le périmètre spatial de ce pouvoir. En cela, bien sûr, l’ouvrage vient s’ajouter à une historiographie nombreuse sur les résidences impériales autant que sur la mobilité des empereurs à la période tardo-antique, dans la lignée du célèbre Itinera principum de Helmut Halfmann (on s’étonnera à ce sujet de ne pas voir mentionnée plus systématiquement dans l’ouvrage la contribution majeure de Sylvain Destephen sur le voyage impérial dans l’Antiquité tardive).[2] Mais un des intérêts de l’ouvrage est d’avoir replacé le phénomène des résidences impériales dans une perspective diachronique plus longue, dans l’idée de suivre l’évolution de leurs caractéristiques depuis les origines du Principat ainsi que de décloisonner les pratiques du pouvoir en déplacement, qui ne sont pas une innovation des empereurs du IIIe s. apr. J.-C. et de leurs successeurs.[3] On citera notamment en ce sens les apports de l’étude de Spickermann sur le « voisinage » entre maisons impériales et temples dès Auguste, ainsi que la brève synthèse proposée par Eck sur les voyages impériaux depuis la fondation du Principat. L’ouverture diachronique se fait aussi au-delà du Ve s. apr. J.-C. avec le cas des résidences des rois dits « barbares » qui prennent le relais de l’empire en Occident (Becker), et dont l’étude, à partir des sources littéraires, invite une fois de plus à souligner les continuités en termes de pratiques et de représentations entre pouvoir impérial et post-romanité tardo-antique.
Dans le même temps, cet ouvrage participe du dynamisme actuel des recherches sur l’habitat tardo-antique, thématique qui est l’objet de la nouvelle collection dont Was ist Residenz? constitue le 2e opus. On mentionnera dans cette perspective les travaux du Centro Interuniversitario di Studi sull’Edilizia abitativa tardoantica nel Mediterraneo (CISEM) de Bologne dont les congrès trisannuels sont des sources d’avancées majeures sur la question ; ou encore, en partenariat avec le CISEM, la création récente de la revue Ktisis. Journal of Late Antique Housing. L’approche plus anthropologique de l’habitat antique, centrée sur les manières d’habiter et l’appropriation des espaces, mobilisée à date récente pour le Haut-Empire dans l’ouvrage collectif Anthropology of Roman Housing dirigé par Nicolas Laubry et Alexandre Dardenay, pourrait également offrir des pistes d’approfondissement stimulantes : que signifie, pour l’empereur, sa cour, son administration, le fait de résider dans une ville qui n’est pas Rome mais qui s’inspire de ses modèles ?[4] Dans une ville dont l’équipement est édifié ad hoc ou adapté, pour permettre d’y installer le pouvoir impérial ? Dans des quartiers et bâtiments, aussi, qui ne sont occupés que saisonnièrement (voir ainsi les remarques formulées par Witschel à la p. 17 sur la protection du palais contre les occupations indues quand l’empereur ne s’y trouve pas) ? Y a-t-il une manière d’habiter propre à la résidence impériale, qui s’exprimerait dans ses mots, ses espaces, ses aménagements ?
Il est parfois difficile de juger de l’unité d’un ouvrage collectif : dans le cas de Was ist Residenz?, la cohérence des questionnements et des méthodes d’une contribution à l’autre et la complémentarité des différentes enquêtes sont bien réelles. À mon sens, les fils communs de l’ouvrage auraient néanmoins gagné à être encore davantage valorisés, notamment par une introduction plus étoffée (celle-ci se limite en l’état à une préface des éditeurs tenant sur deux demi-colonnes, même si la contribution terminologique initiale de Witschel déploie de manière bienvenue les problématiques à l’étude), et/ou par l’ajout d’une conclusion, ainsi que par le choix d’une structure plus intuitive pour l’ensemble du livre. Les sept parties qui l’organisent, constituées de 2 à 3 contributions chacune, voire d’une seule contribution, ne forment pas une architecture parfaitement claire quand on parcourt l’ouvrage du début à la fin : Par exemple, pourquoi avoir isolé l’article de Rollinger sur la cour et le cérémoniel dans une section à part et ne pas l’avoir rapproché de la section immédiatement précédente, intitulée Die Residenz und der « Hof », ou encore, plus haut, de l’article « Repräsentation und Residenz » de Mattern ? Pourquoi avoir intitulé Nach der Residenz une section dont seule une contribution se penche sur le devenir des résidences impériales dans la post-romanité ?  Ces éléments de structure ne sont pas rédhibitoires en soi et obéissent peut-être à des contraintes éditoriales de la collection mais il est vrai qu’ils nuisent à la cohésion de l’ensemble, et pourraient inviter à lire plutôt les contributions isolément les unes des autres comme des articles distincts, ce qui n’est pas rendre justice au travail scientifique des éditeurs.
Cela n’empêche pas de conclure sur l’intérêt de ce livre et de la jeune collection qui l’accueille, dont on espère qu’elle recevra bientôt de nouvelles contributions sur la thématique des résidences et de l’habitat tardo-antiques. Enfin, je soulignerai la qualité et l’utilité des nombreuses figures de l’ouvrage, et notamment des très belles restitutions numériques de différents bâtiments et aménagements de Trèves et de Rome, qui outre leur valeur scientifique, constitueront des supports de formation appréciés d’un public enseignant et étudiant.
Authors and Titles
Torsten Mattern & Marcus Reuter, Was ist Residenz?
Die Residenz: Forschungsgeschichte und antike Bezeichnungen
Christian Witschel, Sedes imperii: Zeitgenössische Bezeichnungen für spätantike ‚Kaiserresidenzen‘
Torsten Mattern, Repräsentation und Residenz
Die Residenz: Bauliche Gestaltung und urbanistische Einordnung
Klaus-Peter Goethert, Aula – Aula regia – Aula palatina: Überlegungen zur Genese und Benennung einer Bauform
Markus Trunk, Nobilitierung der Kaiserresidenz durch Spolientransfer? Überlegungen zu einigen Marmorkapitellen aus Trier
Michael Dodt, Die Bedeutung der Kaiserthermen für die neue Residenz Trier
Die Residenz und der ‚Hof‘
Werner Eck, Der Kaiser außerhalb Roms: Rechtsprechung und Administration während der Reisen der Herrscher in den Provinzen
Marcus Reuter, Wann wird ein kaiserlicher Aufenthaltsort zur Residenz? Beobachtungen und Überlegungen am Beispiel der Herrschaft Valentinians I
Die Residenz als Ort von Repräsentation und Zeremoniell
Christian Rollinger, Pomp and Circumstance: Residenz, Hof und Zeremoniell
Die Residenz als Zentrum von Kultur, Kunst und Religion
Elisabeth Günther Der schöne Stein? Ausstattungsluxus der Kaiserresidenzen im Spiegel der „Historia Augusta“
Wolfgang Spickermann, Römische Kaiserresidenzen und Kultanlagen
Yvonne Schmuhl, Die Verwendung von Porphyr in der Trierer Residenz
Die Residenz und die Auswirkungen auf die städtische Gesellschaft
Joachim Hupe, Spätantike Namenstempel auf Ziegeln und ihr Aussagewert für die letzte Ausbauphase in der Kaiserresidenz Trier
Korana Deppmeyer, Von begehrten Produkten und gesalzenen Preisen – Ein Zitat auf dem Prüfstand
Nach der Residenz
Audrey Becker, From imperial to royal palatia in the post-Roman kingdoms
Lukas Clemens & Marvin Seferi, Frühchristliche Inschriften auf Spolien: Ein Aspekt der Wiederverwendung von Natursteinen in der Kaiserresidenz und Bischofsstadt Trier
Winfried Peter Weber, Die Kirchenbauten in den Residenzorten Konstantins
Notes
[1] À cet égard, ces contributions s’inscrivent aussi dans la tendance actuelle de l’historiographie classiciste et tardo-antiquisante qui invite à la prudence face à l’emploi d’un vocabulaire antique dont la mise en correspondance avec la typologie des vestiges archéologiques est souvent problématique, en particulier pour les lieux de séjour et d’habitat (voir par exemple les travaux de Jean-Pierre Guilhembet sur les domus, de Julien Dubouloz sur les insulae, mes propres travaux en collaboration avec Cristina Corsi sur les espaces domestiques de l’hospitium impérial et tardo-antique, etc.)
[2] Halfmann, Helmut, Itinera principum: Geschichte und Typologie der Kaiserreisen im Römischen Reich, Stuttgart, F. Steiner, coll. « Heidelberger althistorische Beiträge und epigraphische Studien » n°2, 1986. Destephen, Sylvain, Le voyage impérial dans l’Antiquité tardive, des Balkans au Proche-Orient, Paris, De Boccard, coll. « De l’archéologie à l’histoire » n°67, 2016.
[3] À cet égard, il aurait pu être intéressant d’inclure à la réflexion les contributions de l’ouvrage collectif récent dirigé par François Chausson, Sylvain Destephen et Josiane Barbier, Le gouvernement en déplacement : pouvoir et mobilité de l’Antiquité à nos jours, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2019.
[4] Dardenay, Alexandra et Laubry, Nicolas, Anthropology of Roman Housing, Brepols, Turnhout, coll. « Antiquité et sciences humaines » n°5, 2020.