BMCR 2025.03.34

Thucydides’s Melian dialogue and Sicilian expedition: a student commentary

, Thucydides's Melian dialogue and Sicilian expedition: a student commentary. Oklahoma series in classical culture, 57. Norman: University of Oklahoma Press, 2019. Pp. 486. ISBN 9780806161945.

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Avec cet ouvrage, Martha C. Taylor propose un nouveau commentaire de Thucydide centré à dessein sur deux des passages les plus célèbres de La Guerre du Péloponnèse : d’une part, le dialogue des Méliens et ses conséquences (V, 84-116 : p. 48-80), et d’autre part, l’expédition de Sicile (livres VI et VII : p. 81-416). L’ouvrage n’a pas pour vocation de poursuivre, d’actualiser ou de compléter les commentaires d’Arnold Gomme ou de Simon Hornblower, mais plutôt de réaliser un nouveau commentaire à destination des étudiants et des lecteurs novices. Cet objectif est exprimé sans ambiguïté par le sous-titre du livre et sa préface (p. XV). Comme elle le précise elle-même dès la première page, Taylor s’inspire très fortement de ses prédécesseurs ; pour autant, son livre ne se limite pas à une reproduction simplifiée des commentaires antérieurs. L’autrice a bien conçu un projet différent et apporte une réelle valeur ajoutée aux éléments qu’elle a repris.

L’ouvrage est équilibré et bien construit. Après une préface (p. XV-XVII) et une liste des abréviations (p. XIX-XX), Taylor brosse dans son introduction (p. 3-44) une synthèse concise, mais précise, de la biographie de l’historien et de sa méthode (p. 3-11), puis des principales caractéristiques de son style et de sa langue (p. 11-18) sans se limiter aux passages qu’elle a choisi de commenter plus en détail dans le cœur de son ouvrage. L’introduction se poursuit par cinq mises au point chronologiques et thématiques : un résumé des événements de 431 à 416 av. J.-C. (p. 18-30) ; deux textes brefs sur la démocratie athénienne (p. 30-31) et la démocratie syracusaine (p. 31-33) ; un commentaire des principaux thèmes exposés par Thucydide dans son récit de l’expédition de Sicile (p. 33-39) ; et enfin, un résumé des événements de 413 à la bataille d’Aïgos Potamos (p. 39-44). Le cœur du livre (p. 48-416) reste le commentaire du texte de Thucydide organisé comme nous l’avons signalé plus haut. Il est rédigé sur la base de l’édition du texte de Thucydide par Henry S. Jones. Tout au long de ce commentaire, Taylor propose des mises en contexte et de courts textes afin d’introduire un point précis. Un bref commentaire du huitième chapitre du livre VIII (p. 416-420) suit, ainsi qu’une conclusion-épilogue qui analyse l’éloge de Périclès (II, 65, 5-13 : p. 421-432). On appréciera l’effort de Taylor de fournir, en plus de sa bibliographie (p. 443-452), une bibliographie thématique à destination des étudiants (p. 431-442). Cette dernière reprend en grande partie les ouvrages utilisés par l’auteur dans son commentaire – et donc présents dans la bibliographie finale –, mais de manière organisée. La présence d’un unique index (p. 453-465), où se trouvent les noms de personnes, de lieux et de peuples, mais aussi des notions, permet une lecture plus aisée et confortable de l’ouvrage. Trois cartes – assez traditionnelles – sont également reproduites (p. 45-47).

Il serait inutile de proposer un compte rendu qui suivrait pas à pas le commentaire de Taylor, comme il serait fastidieux de reprendre une à une toutes les précisions et les analyses syntaxiques avec lesquelles l’autrice éclaire le texte de Thucydide. Ses qualités ne sont pas à démontrer sur cet aspect, même si certaines interprétations pourraient bien évidemment être discutées[1]. Il semble plus profitable de formuler des observations à propos des choix plus cruciaux de l’autrice et de son rapport à l’économie générale de l’œuvre de Thucydide.

En premier lieu, Taylor justifie son choix de réunir en un seul et même commentaire le dialogue des Méliens et la seconde expédition de Sicile par une interprétation traditionnelle dudit dialogue selon laquelle il serait un « prélude » à la Sicile[2]. Si cette lecture du dialogue des Méliens se justifie en partie, elle pourrait aussi être nuancée dans la mesure où elle réduit la tentative athénienne contre Mélos en 416 à un excès impérialiste préfigurant la démesure athénienne qui les conduit à tenter de conquérir la Sicile. Ce choix est, me semble-t-il, discutable, d’une part en raison de la structure du livre V, et d’autre part en raison des liens forts que le dialogue des Méliens et l’expédition de Sicile entretiennent, chacun de leur côté, avec des questions propres appartenant à la guerre d’Archidamos. Par exemple, en considérant le dialogue des Méliens avant tout comme un prélude à la Sicile, la question de l’impérialisme athénien dans les Cyclades se trouve placée en second plan, voire oubliée par moments. Les causes qui conduisent les Athéniens à demander aux Méliens de se soumettre ne sont donc traitées que succinctement (p. 50-51) et sans donner les références précises des sources épigraphiques discutées (en particulier l’IG V, 1, 1). Il en est de même pour le conseil des trois stratèges en Sicile : les propos d’Alcibiade en VI, 48 sont un écho à la description du détroit de Messine faite par Thucydide en IV, 1, 1-2. Sans pour autant développer de longs débats scientifiques, on préférerait dans ces deux cas une présentation plus en nuances et l’ajout de quelques mots sur la politique des Athéniens comme des Spartiates dans la région des Cyclades ou plus généralement des îles égéennes[3].

Par ailleurs, en isolant le dialogue des Méliens du reste du livre V pour le considérer (principalement ou uniquement ?) comme un prélude aux événements du livre VI, il existe un risque important d’en donner une lecture trop unilatérale. Au contraire, son interprétation en lien avec le début du livre V permet de s’intéresser non seulement à l’impérialisme athénien, mais aussi à la vie politique intérieure : après les fortes dissensions de la fin du livre IV et de l’ensemble du livre V, Thucydide met en scène avec le dialogue des Méliens le retour à une politique globale et collective tournée vers la reprise des conquêtes et ne donne pas à voir l’existence d’une division des Athéniens sur le devenir de Mélos.

L’épilogue sur l’éloge de Périclès est peut-être trop rapide et définitif. On aurait aimé l’ajout de références plus récentes, notamment sur le vocabulaire de la faute et de l’erreur[4]. Dans cet exemple précis comme d’une manière générale, il fallait peut-être prendre le risque d’introduire certaines questions de fond tout en les laissant ouvertes : une pratique qui n’est pas aisée dans un ouvrage à destination d’un public non averti, mais qui justement le distinguerait plus encore des autres tentatives du même genre. Malgré cette remarque, on appréciera l’effort de subdivision du texte de Thucydide qui a conduit l’autrice à ne pas suivre le découpage le plus courant, non pas dans le but de se distinguer, mais afin de produire des unités, c’est-à-dire des séquences, parfois plus intelligibles.

Pour ce qui est de la bibliographie, Taylor maîtrise incontestablement son sujet et l’essentiel de la production scientifique nécessaire à l’aboutissement de son projet de commentaire. La bibliographie sur Thucydide et la guerre du Péloponnèse est aujourd’hui telle que quelques manques sont toujours possibles. On regrettera néanmoins la faible représentation de la production non anglophone. Pour le français, les travaux de Jacqueline de Romilly – présente à la lettre D au lieu de R – sont réduits à la traduction anglaise de 2010 de son Histoire et raison chez Thucydide paru pour la première fois en 1956 ; la biographie d’Alcibiade de Jean Hatzfeld est quant à elle absente[5]. Le même constat peut être dressé pour d’autres langues[6].

Enfin, quelques observations de forme peuvent être faites afin de proposer des pistes de réflexion qui accroîtraient l’utilité d’un tel ouvrage à destination de lecteurs novices, et dans une certaine mesure de spécialistes. Un index des remarques grammaticales relatives au style de Thucydide serait le bienvenu, car il aurait permis de tirer un meilleur parti des quelques répétitions (par exemple, p. 54 ou 62). Si ces dernières étaient inévitables et pédagogiquement profitables, un tel index aurait donné plus de force encore en dégageant mieux les constantes et les tendances du texte de Thucydide. À l’inverse, un dossier cartographique plus important et intégré dans le fil du commentaire lui-même se révélerait plus instructif et éclairant pour la bonne compréhension des événements et de leur récit par l’historien.

Toutes ces remarques n’enlèvent rien à la qualité du travail réalisé : il est clair que la tâche n’était pas simple. Tout au long de l’ouvrage, Taylor fait la preuve d’un souci permanent de produire un commentaire accessible à des lecteurs non-spécialistes de Thucydide sans pour autant sacrifier à la rigueur scientifique. L’utilité d’un tel projet est évidente, et sa réalisation est à saluer.

 

Notes

[1] Par exemple, la traduction du terme αὐτοκράτωρ, utilisé en VI, 26, 1 pour qualifier l’étendue des attributions des stratèges, par « the generals should be autonomous » (p. 146). À titre de comparaison, on consultera la traduction du passage dans son intégralité par B. Jowett « the generals should be empowered to act as they thought best in the interest of the state » ou par L. Bodin et J. de Romilly « les Athéniens votèrent immédiatement les pleins pouvoirs aux stratèges pour agir de la façon qu’ils jugeraient la meilleure pour la cité ». Sur le cas des stratèges autocratores, voir J. Boëldieu-Trevet, Commander dans le monde grec au ve siècle avant notre ère, Besançon : Presses universitaires de Franche-Comté, 2007, p. 245-247.

[2] Voir p. 48 où Taylor s’appuie sur et cite F. Waserman, « The Melian Dialogue », TAPhA, 78, 1947, p. 18-36. D’autres travaux, tout en liant le dialogue à la seconde expédition en Sicile, ne lui donnent pas ce statut de prélude – tout au moins pas aussi nettement, voir J. de Romilly, Thucydide et l’impérialisme athénien, Paris : Les Belles Lettres, 1951, p. 230-259 ; ou encore C. Castoriadis, Thucydide, la force et le droit. Ce qui fait la Grèce, 3, Paris : Le Seuil, 2011, p. 175-206.

[3] Le recours à des travaux francophones aurait été ici bienvenu, consulter parmi bien d’autres M. Piérart, « Chios entre Athènes et Sparte. La contribution des exilés de Chios à l’effort de guerre lacédémonien pendant la Guerre du Péloponnèse. IG V 1, 1 + (SEG XXXIX 370) », BCH, 119-1, 1995, p. 253-282 ; P. Brun, Les archipels égéens dans l’Antiquité grecque (Ve – IIe siècles av. notre ère), Besançon : Presses universitaires de Franche-Comté, 1996 ; Fr. Prost, « Sparte et les Cyclades au Ve siècle : à propos d’ID 87 », REA, 103-1-2, 2001, p. 241-260 ; ou encore Gr. Bonnin, De Naxos à Amorgos. L’impérialisme athénien vu des Cyclades à l’époque classique, Bordeaux : Ausonius Éditions, 2015.

[4] Voir Ag. Roman, L’erreur et la faute dans l’Histoire de la guerre du Péloponnèse de Thucydide, Louvain-Namur-Paris-Walpole, MA : Peeters, 2012.

[5] J. Hatzfeld, Alcibiade : étude sur l’histoire d’Athènes à la fin du Ve siècle, Paris : Presses universitaires de France, 1940.

[6] Pour l’italien, l’absence des travaux de L. Canfora sur le dialogue des Méliens – certes à discuter comme tous les travaux universitaires – est à regretter. Voir L. Canfora, Tucidide e l’impero: la presa di Melo, Roma-Bari : Laterza, 1992.