BMCR 2024.12.08

Plutarque. Oeuvres morales. Tome XV, 3e partie: traités 73-75. Trois traités contre Épicure

, Plutarque. Oeuvres morales. Tome XV, 3e partie: traités 73-75. Trois traités contre Épicure. Collection des universités de France série grecque, 563. Paris: Les Belles Lettres, 2024. Pp. xxxii, 416. ISBN 9782251006574.

Jacques Boulogne est un spécialiste de Plutarque; outre une étude sur la polémique entre Plutarque et Épicure[1] – travail probablement issu de la rédaction de sa thèse sur ce sujet –, il a également offert une traduction des traités 17 à 19 des œuvres morales de Plutarque chez les Belles Lettres[2]. Plus de vingt ans après ces travaux, J. Boulogne offre une traduction de trois traités de Plutarque contre la doctrine épicurienne. Ce volume comprend le “Contre Colotès”, un dialogue intitulé “Qu’à suivre Épicure, il n’est même pas possible de vivre dans le plaisir”, et enfin un court traité “Si l’injonction ‘vis caché’ est pertinente”.

Même si chaque traité est accompagné de sa propre notice, Boulogne offre une courte introduction générale (vii-xvi) qui vise à situer et contextualiser ces trois traités dans l’œuvre de Plutarque. Cet ensemble constitue un triptyque dont les deux premiers traités seraient issus d’un séminaire de Plutarque et dont le dernier aurait probablement été ajouté après coup pour compléter. Le premier traité, qui répond à un ouvrage de Colotès, prend la forme d’une lettre, le deuxième, qui s’attaque à l’éthique épicurienne, est un dialogue et, enfin, le dernier est “la fin d’une démonstration tirée d’un ensemble perdu” (xiv) et aborde le problème de l’inaction politique. Ces trois textes constituent ce qui a survécu des neuf traités de Plutarque contre l’épicurisme. Boulogne complète cette courte introduction par des “Remarques relatives à la traduction” (xvii-xviii) ainsi qu’une courte description de la traduction manuscrite (xix-xxvi). À cela s’ajoute une bibliographie très générale qui n’est pas séparée par thème ; les éditions, traductions, et études sont toutes réunies en ordre alphabétique sans distinction. On remarque également que la bibliographie semble omettre beaucoup d’ouvrages importants pour la connaissance de la doctrine épicurienne.

Le premier traité, le “Contre Colotès”, est une réponse à une diatribe de Colotès contre les écoles philosophiques autres que celle d’Épicure ; comme c’est le cas pour chaque traité, Boulogne accompagne l’édition et la traduction d’une notice (3-28). Si les deux autres traités de ce recueil concernent l’éthique, celui-ci traite de problèmes de canonique et de physique ; Plutarque effleure parfois les problèmes éthiques sans les développer entièrement. Il contient par ailleurs des des passages d’auteurs épicuriens qui nous seraient autrement inconnus, et Boulogne ne manque pas d’en souligner l’importance (27). Comme c’est le cas des autres notices, Boulogne résume le traité en prenant soin de présenter d’abord les arguments de Colotès et ceux de Plutarque, ensuite. Boulogne est également attentif à la visée double de Plutarque : il s’agit de “défendre les philosophes éreintés pas ce disciple d’Épicure” (3) et de “donner une leçon de méthode en matière polémique” (VIII). Ainsi, Boulogne prend soin de rendre compte de l’approche méthodique de Plutarque en matière de débat d’idée.

Les deuxième et troisième traités concernent plus directement l’éthique épicurienne. Comme c’était le cas pour le “Contre Colotès”, Boulogne accompagne les textes de notices : (81-90) pour le “Qu’à suivre Épicure, il n’est même pas possible de vivre dans le plaisir”, et (149-156) pour le “Si l’injonction ‘vis caché’ est pertinente”. Il résume en détail l’argumentaire de Plutarque et souligne à juste titre que “le procédé dialectique mis en œuvre relève de la technique du retournement” (82). À première vue, il semble toutefois que Boulogne passe sous silence le fait que Plutarque se laisse parfois emporter à l’utilisation de certains lieux communs employés contre l’épicurisme dans l’Antiquité, comme l’assimilation des épicuriens à des porcs et des moutons (105). Par ailleurs, s’il est difficile de ne pas réduire l’éthique épicurienne au ventre, Plutarque manque au principe de charité lorsqu’il associe l’épicurisme aux festins (94, 121). La question de savoir si Plutarque dessine un portrait fidèle de l’épicurisme est également évacuée. Toutefois, l’analyse très fine de Boulogne réhabilite quelque peu Plutarque lorsqu’il indique que “si [Plutarque] se croit autorisé à caricaturer ainsi la pensée adverse, c’est parce qu’il a le sentiment de ne pas déformer les conséquences …” (151). L’utilisation de lieux communs ne vient dès lors pas entacher les conséquences de l’épicurisme comme le voit Plutarque.

L’intérêt de la critique proposée par le deuxième traité réside dans l’opposition d’une éthique civique – soutenue par les influences platonisantes de Plutarque – et dont l’action contribue à l’ensemble de la communauté, et de l’autre une éthique plus individuelle centrée sur soi et ses proches, celle d’Épicure, et dont les actions ne contribuent pas vraiment à la cité. Ce traité contribue également au débat sur la religion dans l’Antiquité. Pour Plutarque, la doctrine d’Épicure qui visait à éliminer la superstition a également supprimé la pratique religieuse (130) – il suit en cela d’autres médio-platoniciens comme le Cotta de Cicéron dans son De natura deorum. L’intérêt du dernier traité, le “Si l’injonction ‘vis caché’ est pertinente”, réside dans l’argumentaire qui tente de rejeter l’approche d’Épicure – et par ailleurs de certaines autres écoles hellénistiques – en faveur de la participation à la vie politique.

Boulogne fournit une grande quantité de notes complémentaires pour chaque traité (167-259) et elles sont de grande qualité. Nous n’avons pu relever de passage qui méritait d’y ajouter quelque note que ce soit. Comme il arrive dans la collection Budé, les notes apparaissent parfois en bas de page, parfois à la fin du volume. Cela rend parfois leur lecture un peu plus laborieuse À cet ensemble s’ajoutent les index : un Index nominum français (grec) et un Index thématique français (grec). De plus, chaque traité bénéficie de ses propres index; le volume offre donc six index au total (261-298).

L’introduction, les notices, les notes complémentaires, et les index montrent un travail exhaustif et d’une très grande qualité. Il semble toutefois que les traductions auraient pu bénéficier d’une dernière relecture avant publication.[3]

Ces traités de Plutarque contient des informations sur l’épicurisme qui nous serait autrement inconnues. Il ne s’agit cependant pas de données qui transforment notre connaissance de ce courant philosophique. Si les conséquences de l’épicurisme – rejet de la religion, négligence de l’éthique civique, abandon de la vie politique – ne sont pas faussées par la présentation caricaturale de Plutarque, il n’en demeure pas moins que l’on peut s’interroger sur la qualité du portrait que peint Plutarque de cette philosophie hellénistique. L’intérêt de ces traités ne réside donc pas dans l’information qu’il nous livre par rapport à l’épicurisme, il réside plutôt dans l’argumentaire de ce philosophe attaché au platonisme.

 

Notes

[1] Jacques Boulogne, Plutarque dans le miroir d’Épicure, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2003.

[2] Jacques Boulogne, Plutarque, Œuvres Morales Tome IV, Traités 17-19 Conduites méritoires des femmes – Étiologies romaines – Étiologies grecques – Parallèles mineurs, Paris, Belles Lettres (Collection des Universités de France. Série grecque 417), 2002.

[3] Sans avoir recherché activement les coquilles et les erreurs, nous en avons relevé quelques-unes çà et là. À titre d’exemple, euthus est traduit par “d’entrée” (40) au lieu de “d’emblée” comme à la page 52. La page 49 semble omettre un chevron : “sur>”. Page 120, il manque un “dont” : “Merveilleuse et magnifique est la façon vous vous êtes occupés de nous…”. La page 130 présente une rupture du même genre : “…et la soif de renommée l’athéisme auquel nous conduisent ceux qui ôtent à la puissance divine ses bonnes grâces…”. La page 138 contient les vestiges d’un adverbe, “très”, raturé que l’auteur prévoyait probablement enlever.