Ce 46ème volume de la collection de l’Exploration Archéologique de Délos (EAD) constitue le premier tome de la publication de l’Artémision, attendue de longue date tout comme celles de nombreux autres édifices et artefacts déliens. Le livre conserve le format adopté depuis le tome XLII consacré au Théâtre (25 x 32,5 cm, couverture souple à rabats de couleur jaune-orangée). En revanche, l’illustration, pléthorique et de grande qualité (210 figures en noir et blanc ou en couleur plus un dépliant libre présentant le plan général du sanctuaire au 1/100e), a été réintroduite dans le texte comme dans les premiers volumes de la collection, disposition qui avait été (in)justement abandonnée à partir du tome XLII. Ce retour aux sources éditoriales est très appréciable ; il facilite la lecture et la compréhension du texte. Cependant, les doubles pages d’illustrations qui se multiplient à partir du chapitre VIII auraient pu être évitées et mises en page différemment afin d’accroître encore le bénéfice de cette réintroduction des figures dans le texte.
La matière de l’ouvrage est répartie en deux parties. La première est conçue comme une introduction générale à la publication du sanctuaire d’Artémis. Elle se compose de trois chapitres consacrés à l’historique des fouilles et des recherches, aux principaux textes littéraires et épigraphiques s’y rapportant, et une présentation générale de la topographie du sanctuaire. La seconde partie compte six chapitres qui forment la publication définitive du temple hellénistique d’Artémis. Dans l’avant-propos, J.-Ch. Moretti justifie le choix, a priori étonnant, de ne publier dans un premier temps que le seul état hellénistique du bâtiment, et ce, avant son état archaïque. Conformément au plan de travail initié par Chr. Llinas, le temple et l’autel archaïques seront étudiés en même temps que les autres découvertes qui y sont associées (objets en métal et en ivoire, matériel céramique et statuaire).
Après l’avant-propos, quelques pages (p. 7–25) sont consacrées aux abréviations bibliographiques (auteur-date) et conventions utilisées dans le livre. Tout est clairement expliqué — du système d’altitude propre à Délos aux abréviations internes tels T ou C pour les textes littéraires ou les comptes épigraphiques cités dans le texte — sauf pour le système de notation des cotes sur les relevés pour lesquelles des notations alternatives, du type : « ┴cote ┴», « ┴cote ┴ » ou encore : « | cote | » apparaissent régulièrement sur les dessins.
Le premier chapitre présente un « Historique des fouilles et des recherches » (p. 29–56) consacrées à l’Artémision. Avant les premières fouilles menées par Homolle en 1878, les voyageurs, tel Cyriaque d’Ancône au XVe s., mentionnent le sanctuaire d’Artémis, dont l’existence est connue par Hérodote, sans pouvoir le situer. Les auteurs se livrent à une enquête minutieuse sur les plans (utilement reproduits à côté du texte), qu’ils confrontent aux publications, récits et archives pré-1878, pour repérer l’emplacement de la première tranchée exécutée sous la direction de Fauvel en 1791 ou pour identifier les vestiges figurés sur le plan de l’expédition de Morée levé en 1829. Dès 1864, Terrier identifie le sanctuaire d’Artémis en confrontant les vestiges visibles au texte d’Hérodote. Les auteurs présentent ensuite les premières fouilles, les découvertes et les publications de Homolle, année par année, jusqu’en 1885, en s’appuyant toujours sur les plans et les archives d’époque, souvent inédites. Sont ensuite passées en revue les recherches effectuées depuis le début du XXe s. par Courby, Picard, Replat, Vallois, Gallet de Santerre, Tréheux, Roux, Étienne, Fraisse et Ohnesorg. Cela permet aux auteurs de retracer la progression des hypothèses et des acquis concernant la topographie du sanctuaire, ses limites, l’emplacement de son ou ses accès et du supposé Séma des vierges hyperboréennes, mais aussi à propos de son architecture et de sa chronologie. Moretti indique ensuite la genèse de l’étude dont la présente publication est le résultat.
Le second chapitre est consacré aux « Testimonia » (57–71). Y sont présentés, cités et traduits en français, les principaux textes littéraires (T1 à T5) et épigraphiques (C1 à C25 pour les comptes) mentionnant le sanctuaire, y compris de manière lacunaire ou hypothétique. En plus des comptes, 73 inventaires et 24 autres textes épigraphiques mentionnant le sanctuaire sont rassemblés dans des tableaux classés chronologiquement.
Le troisième chapitre, intitulé « Présentation générale du sanctuaire » (p.72–90), propose un tour d’horizon topographique et historique de l’Artémision qui débute avec la description du site d’implantation. Il manque peut-être ici un plan de localisation générale du site à l’échelle de l’île ou tout du moins dans son environnement immédiat.[1] Un premier développement concerne les vestiges « mycéniens » et pré-archaïques parmi lesquels certains auteurs ont cru déceler un proto-temple d’Artémis. Suit la présentation des diverses composantes architecturales du sanctuaire, à commencer par une description assez poussée des vestiges encore in situ du temple archaïque qui, couplée à l’analyse des textes épigraphiques s’y rapportant, permet aux auteurs d’en préciser le plan (prostyle) et différents éléments architecturaux (colonnes intérieures en bois, couverture en marbre). La présentation du dépôt votif trouvé dans les fondations et l’invocation d’un texte d’Athénagore, donnent des éléments pour supposer une datation du temple archaïque vers la 1ère moitié du VIe s. av. J.-C. L’autel archaïque est ensuite présenté succinctement (description et mention des études précédentes). Le rappel sur les hypothèses relatives à l’emplacement du Séma des vierges hyperboréennes se conclut sur le caractère invérifiable de la proposition généralement admise. Les développements suivant concernent le portique coudé qui marque la limite nord-est du sanctuaire, l’édifice J, les accès au sanctuaire et son probable mur de péribole, dont les vestiges sont tour à tour brièvement décrits et analysés. Deux murs appartenant à un édifice inconnu, situés au sud-ouest du temple, sont ensuite rapidement décrits ; ils n’avaient jamais été mentionnés quoique qu’ils aient été représentés sur un plan ancien. Enfin, les auteurs décrivent les derniers éléments du sanctuaire : un puits, deux canalisations, et ce qui peut être déduit à propos des différents sols antiques.
Cette présentation générale du sanctuaire s’avère utile, voire indispensable, à la compréhension de la seconde partie du livre consacrée au temple hellénistique, mais elle le sera aussi certainement pour les prochains tomes de la collection qui seront consacrés au sanctuaire d’Artémis et qui pourront ainsi faire l’économie d’une longue introduction.
La seconde partie du livre, consacrée à la publication architecturale du temple hellénistique, est menée de main de maître ; on en attendait pas moins de la part d’auteurs aussi chevronnés. L’étude est divisée en six chapitres. Le premier (chapitre IV, p. 97–104) consiste en une description analytique et une interprétation poussée des vestiges in situ, fondations et euthynthèria. Les quatre chapitres suivants sont consacrés à l’étude des blocs erratiques attribués au temple et permettant d’en restituer l’élévation. Le chapitre V (p. 105–115) est consacré à la krépis et au toichobate ; le chapitre VI (p. 106-129), aux colonnes ; le chapitre VII (p. 130–145), aux antes et aux murs du naos ; le chapitre VIII (p.147–183), aux parties hautes de l’édifice : entablement, frontons et couverture. Les descriptions, en petits caractères et rédigées dans un style télégraphique, utilement complétées par la riche illustration (relevés et photographies) et d’éventuels tableaux récapitulatifs, sont précises et efficaces. Les analyses sont généralement claires et toujours rigoureuses. Les restitutions, même hypothétiques quand les informations tirées des blocs et/ou de l’épigraphie se font lacunaires, sont honnêtes et convaincantes. Vus la rigueur et le soin apporté aux moindres détails par les auteurs, les quelques menus éléments manquant étonnent, telle la mesure du fruit observé aux faces de parement des parpaings des murs puisque cette inclinaison a été calculée pour la hauteur totale du mur, ou un relevé de détail au ½ de la moulure de couronnement des architraves, ou encore la mention de leurs numéros dans le texte du couvre joint 128 et de l’antéfixe 129 pourtant représentés respectivement sur les fig. 190 et 191.
Le dernier chapitre (IX, p. 184–217) reprend tous les éléments précédemment décrits, démontrés ou proposés avec quelque vraisemblance pour justifier la restitution d’ensemble et de détail du temple, assurément hexastyle prostyle ionique à naos et pronaos, avec une krépis à trois degrés en façade et à l’arrière. Construit totalement en marbre blanc et bleuté, ses assises présentent des joints montant alternés sauf au niveau de l’architrave et des tuiles. Les auteurs justifient honnêtement les menus écarts entre leurs mesures et la restitution finale, qui est celle du projet plutôt que de l’édifice réel. L’incertitude sur la hauteur des colonnes et des murs, qui ont pu compter 13 ou 15 assises de parpaings — la seconde hypothèse semble avoir implicitement la faveur des auteurs — ne peut être levée. Le naos était à peu de chose près carré avec hypothétiquement deux demi-colonnes engagées dans ses murs et des ¼ de colonnes engagés dans ses angles. On ne sait rien de la porte et de son encadrement, ni du dallage intérieur ou de la base de la statue cultuelle mentionnée dans les inscriptions. Les considérations techniques attendues à propos du module et des proportions font partie d’un développement dédié. Vient ensuite l’examen des matériaux et des techniques employés. Un tableau original est proposé ici comptabilisant le nombre de blocs estimé par assise, dont il ressort que seuls 10% des blocs sont aujourd’hui conservés. Les éléments envisagés (traces d’outil, scellements, marques d’assemblage et ornementation) mènent les auteurs à proposer une première datation « architecturale » du 1er tiers du IIe s. av. J.-C. La sous-partie suivante consacrée aux « Plan et ornementation » est l’occasion de récapituler les parallèles évoqués au fil du livre pour ce temple hellénistique qui est à la fois « typique de l’architecture de son époque et s’inscrit dans une glorieuse lignée athénienne », et de montrer sa place dans l’architecture délienne, ses traits communs et ses originalités (1ères colonnes engagées à Délos et « premier usage du chapiteau corinthien dans l’architecture »[2]). Les ultimes développements consacrés à l’histoire du temple, depuis sa mise en chantier à sa ruine, sont brillants et intéresseront tout particulièrement les lecteurs non spécialistes d’architecture antique. Le réexamen de l’ensemble des éléments de datation — dont quatre monnaies réévaluées pour l’occasion par V. Chankowski — permet finalement de fixer sa construction vraisemblablement entre 192 et 179. Le déroulement probable du chantier est intelligemment reconstitué. La restitution historique est défendue par les auteurs comme la possibilité la plus simple et la plus proche des vestiges connus du temple. Ils proposent en dernier lieu une hypothèse très séduisante concernant la dédicace du temple, qui aurait été gravée peu après 167 par les Athéniens.
Des indices, de longs résumés en français, grec moderne et anglais ainsi que les tables des tableaux, des illustrations et des matières se succèdent en fin d’ouvrage.
Si quelques coquilles émaillent le texte, c’est heureusement sans incidence pour la compréhension générale du propos. En revanche, il est regrettable que l’une d’elle apparaisse sur la restitution de la façade (fig. 196a), également utilisée sur la couverture du livre (le numéro 86 ne correspond pas au bloc auquel il est associé sur le dessin). Malgré cette dernière réserve, sans conséquence réelle sur la qualité de cet ouvrage, aussi exemplaire sur la forme que sur le fond, il s’agit assurément de l’une des meilleures monographies architecturales de cette collection, un nouvel EAD VII.1 — cité comme un modèle du genre dans le Guide de Délos — aux normes de publication archéologiques et architecturales du XXIe s. Pour finir, souhaitons avec Moretti que les autres tomes qui doivent compléter la publication de l’Artémision de Délos voient le jour dans un avenir proche.
Notes
[1] Ce plan général peut être aisément trouvé dans Ph. Bruneau et J. Ducat, Guide de Délos4, 2005 ou encore dans J.-Ch. Moretti (dir.) Atlas, EAD XLIII, 2015.
[2] Cette assertion n’est justifiée que si l’on exclut de « l’architecture » les colonnes votives à chapiteaux corinthiens connues à Délos au moins depuis le milieu du IIIe s. : cf. Fr. Herbin, Le sanctuaire d’Apollon à Délos. Tome II. Les monuments votifs et honorifiques (sans toît), EAD XLV (2019), p. 147–149.