BMCR 2022.05.31

The cult of Castor and Pollux in ancient Rome: myth, ritual, and society

, The cult of Castor and Pollux in ancient Rome: myth, ritual, and society. Cambridge; New York: Cambridge University Press, 2021. Pp. 275. ISBN 9781108477550. £75.00.

Issu d’une thèse de doctorat, l’ouvrage est consacré au culte de Castor et Pollux à Rome, depuis ses origines à l’aube de la République jusqu’à la fin de l’époque julio-claudienne. A. Gartrell poursuit deux objectifs principaux. Il s’agit, d’une part, d’analyser l’histoire du culte des Dioscures à Rome durant la période considérée et de situer ses développements au sein du contexte socio-politique. Il s’agit, d’autre part, d’étudier, à partir de ce culte, les interactions et influences réciproques entre religion, politique, événements et évolutions culturelles. L’auteure évite à juste titre de considérer que la religion était utilisée par les élites pour manipuler un peuple crédule ou que la religion romaine était en déclin à la fin de la République et fait le choix d’étudier les “symptômes” jadis considérés comme des signes de cette prétendue décadence en tant que témoins de sa vitalité et de sa capacité d’adaptation dans un contexte marqué par de profondes transformations.

Le chapitre I est consacré aux deux temples des Dioscures à Rome. Le grand temple du forum est dédié en 484 av. n.è., à la suite de l’apparition de la paire divine ayant porté secours aux Romains lors de la bataille du lac Régille en 496. Au-delà des activités cultuelles qui s’y déroulaient, envisagées au chapitre III, le temple revêt des fonctions politiques et commerciales : le Sénat s’y réunit ; sa plate-forme est utilisée comme tribune pour les orateurs haranguant le peuple ; les censeurs y passent en revue les equites ; des tabernae sont aménagées au niveau de son podium. En raison de son importance politique, le temple devint aussi le théâtre de conflits, parfois très violents. Quant au temple du Circus Flaminius, situé à proximité du Tibre, l’auteure propose de le relier à la fonction de protecteurs de la navigation qu’assument également les Dioscures à Rome, en s’appuyant sur deux inscriptions retrouvées à proximité, rappelant des offrandes qui leur furent faites dans le cadre du collège des mensores machinariorum frumenti publici. L’hypothèse est séduisante et s’appuie aussi sur le rôle que revêtent Castor et Pollux à Ostie, où ils sont honorés annuellement par un magistrat romain.

Le chapitre II porte sur les épiphanies de la paire divine, dont la première a servi de “légende de fondation” pour leur temple du forum (la question ne porte évidemment pas sur la réalité de celles-ci mais sur les significations que les Romains pouvaient leur donner). L’histoire de la République est marquée par d’autres manifestations physiques des Dioscures, visant à assurer sa préservation notamment devant des ennemis menaçants. A. Gartrell analyse ces épiphanies en les divisant en trois catégories : celles par lesquelles les jumeaux ont permis aux Romains de remporter une victoire (batailles de la Sagra, du lac Régille, Pydna) ; celles durant lesquelles ils portent la nouvelle d’une victoire à Rome (lac Régille ; Pydna ; Vercellae et Pharsale) ; celles qui accompagnent la mort d’un personnage important. Ce faisant, l’auteure est contrainte à certaines répétitions. Elle interprète ces manifestations divines au sein du contexte des compétitions entre membres de l’élite, alors que des individus prééminents recherchent la faveur des divinités et que le peuple doit être rassuré. Moins fréquent à la fin de la République et au début de l’Empire, ce phénomène s’adapte aux évolutions politiques, marquant alors les funérailles de Jules César et la mort de Drusus l’Ancien.

Dans le chapitre III sont examinées les fonctions des Dioscures. Leur rôle en tant que protecteurs des cavaliers est le mieux documenté : il est au cœur de leur épiphanie lors de la bataille du lac Régille et central dans les représentations iconographiques ; leur temple du forum est étroitement lié à la transuectio equitum, la parade du 15 juillet des membres de l’ordre équestre, dotés d’un cheval public, créée en 304 av. n.è. La cérémonie mettait ainsi en scène, en la renforçant, l’identité collective des equites equo publico et leur lien étroit avec leurs protecteurs Castor et Pollux, tout comme leur statut en tant que groupe éminent de l’État. En revanche, le rôle de protecteur des boxeurs assigné à Pollux dans les récits mythiques n’apparaît pas dans la documentation romaine portant sur les pratiques cultuelles. Selon l’auteure, si les sources insistent bien davantage sur les fonctions liées à la cavalerie, c’est parce que celles-ci concernaient avant tout les élites, qui ont produit les sources s’y rapportant (temples ; statues ; monnaies ; histoire ou poésie). « If the elite had valued boxing more than horse riding, our understanding of Castor and Pollux might be very different. » Cette explication ne convainc pas forcément : les associations d’athlètes honoraient différents dieux, mais non Pollux. La représentation culturelle de ce dernier en tant que boxeur ne s’est peut-être pas étendue à Rome à une fonction cultuelle de protecteur des pugilistes. La fonction de protecteurs de la navigation et des marins, que partagent Castor et Pollux, est en revanche clairement documentée, tout particulièrement à Ostie, port de Rome. Peut-être A. Gartrell aurait-elle pu davantage s’interroger sur le choix de la date de leur fête annuelle, le 27 janvier, à un moment où la mer était supposée “être fermée” à la navigation.

Dans le dernier chapitre, l’auteure montre comment les Dioscures ont été utilisés comme modèles pour des “paires potentielles d’héritiers impériaux”, d’abord sous Auguste, pour Lucius et Gaius César. Selon elle, il s’agissait d’une stratégie visant à rassurer le peuple craignant que la mort d’Auguste ne soit suivie d’une nouvelle guerre civile. Ainsi, l’association des héritiers à Castor et Pollux, frères aimants prêts à mourir l’un pour l’autre, aurait eu pour but de présenter les frères impériaux (biologiques ou adoptifs) sous un jour similaire. Après l’auto-assimilation de Caligula à l’un et l’autre jumeaux divins, le parallèle dut paraître moins positif et ne fut plus guère mis en valeur. Outre l’harmonie fraternelle que mettait en avant le modèle des Dioscures, celui-ci permettait aussi d’insister sur la divinisation, ajoute l’auteure : si la paire des héritiers imitait les vertus de Castor et Pollux, ils pouvaient également aspirer à une divinisation post mortem. De garants de la res publica et de son maintien dès les débuts de la République, les jumeaux divins sont alors présentés comme gardiens de la famille impériale et de l’entente entre les héritiers – avec un succès fort relatif toutefois, ce qui explique vraisemblablement que ce rôle ne leur ait plus guère été dévolu par la suite.

L’auteure conclut en rappelant que le culte était intimement lié au fonctionnement politique de l’État et à la vie civique, sociale et commerciale (peut-être aurait-elle pu davantage insister sur le rôle fondamental du culte en matière annonaire – vu le rôle des Dioscures en tant que protecteurs de la navigation).

Quelques illustrations, de qualité moyenne, accompagnent le texte. Bien écrit et présenté, sans longueur et bien argumenté, l’ouvrage se lit avec plaisir. A. Gartrell offre ainsi une synthèse utile sur le culte des Dioscures à Rome.