Le volume 3 de la traduction des dialogues de Giovanni Pontano par Julia Gaisser vient clore la série complète pour la collection I Tatti des cinq dialogues majeurs de l’humaniste napolitain.
Le choix fait ici par Julia Gaisser, ce qu’elle rappelle dans une brève introduction qui renvoie à la fois aux volumes précédents et aux chercheurs faisant autorité sur Pontano, est de reprendre l’édition des textes données par Francesco Tateo en 2013 (Aegidius) et 2014 (Asinus) pour Roma nel Rinascimento. Gaisser reprend tout de même dans sa note aux textes (p. 187-189) l’archéologie de ces éditions en donnant les manuscrits de référence et en indiquant les quelques corrections qu’elle a pu faire. Nous lisons donc un texte basé sur des archétypes d’impression amendés sur les manuscrits autographes ou non de Pontano. Elle donne aussi en appendice (p. 177-179) les dédicaces des premières éditions de ces dialogues faites par Pietro Summonte, l’élève de Pontano qui s’était dédié à la publication de ses œuvres après sa mort, ce qui est une bonne manière de faire figurer ces textes tout en ne les faisant pas figurer dans le texte principal puisqu’ils ne sont pas de Pontano. L’appendice 2 (p. 181)186) présente les personnages avec une brève biobibliographie qui est très utile et qui croise aussi les références sur les interlocuteurs présentes dans les autres œuvres de Pontano, ce qui nous donne ainsi une bonne idée du réseau d’intellectuels gravitant autour de la figure du maître de l’Académie qui porte son nom. Les notes à la traduction (p. 191-211) permettent souvent d’élucider des éléments de réel (lieux, personnages, néologismes) surprenants à la lecture. La bibliographie (p. 213-216) est brève mais présente des ouvrages nécessaires sur Pontano, des plus anciens (Minieri Riccio, 1881) aux plus récents (Hankins, 2019). Un gros travail est fait dans les index des volumes 1 à 3: que ce soit l’index des citations (p. 217-231) ou l’index cumulatif (p. 233-264). Ces index sont en effet très précieux. D’une part parce qu’ils permettent de resituer la culture antique de Pontano et donc de nous livrer un moment de l’histoire de la transmission des textes classiques grecs et latins, et d’autre part parce qu’ils nous offrent des données quantitatives qui nous montrent comment se construit la culture d’un humaniste et quels sont ses choix et ses préférences. Ici très clairement César est à égalité avec Cicéron, dans le De Oratore, Tite Live est plus présent mais le maître incontesté est Virgile. L’index étant cumulatif on remarque que Virgile, certes, est cité dans le grand dialogue Actius sur l’écriture de la poésie et de l’histoire, mais tout autant dans les autres dialogues, satiriques (Charon, Asinus), mimétiques de la conversation courante (Antonius) ou à tonalité plus religieuse (Aegidius). L’index général nous permet ainsi de constater que Pontano s’autocite beaucoup, qu’il aborde des sujets divers (la langue perse, les rêves et leur interprétation, la guerre, etc.) et qu’il applique souvent le même schéma de confrontation pour ses exemples: une théorie amène un exemple antique, qui donne de l’auctorialité puis un exemple moderne, qui permet de démontrer l’universalité de la norme.
Venons-en donc à la traduction : Julia Gaisser a choisi de traduire le latin de Pontano dans une langue moderne qui permet d’appréhender immédiatement le sens. L’édition se présente avec le texte latin et sa traduction anglaise en face à face ce qui permet de faire des allers retours permanents lorsque nous rencontrons des effets d’étrangeté dans l’une ou l’autre langue. En effet l’utilisation du latin pour Pontano, c’est maintenant bien connu et étudié, est d’en faire une langue de communication orale qui, même écrite, puisse retranscrire la vivacité de l’oral entre ses contemporains, avec des registres de langue et des locuteurs différents (intellectuels, rois, paysans). Sur cette base, qu’il faut donc identifier dans le texte source, il ne s’interdit aucun néologisme, aucun jeu de mots, aucune translittération de la langue vulgaire en la latinisant. Ce que réussit Gaisser, qui traduit dans une langue non romane, ce qui lui interdit souvent le calque qui laisserait au lecteur le soin d’interpréter la notion, c’est de trouver des solutions en anglais qui intriguent à la lecture et produisent le même effet. On pourrait étudier toutes les difficultés du latin de Pontano bien entendu mais par exemple pour les jeux de mots onomastiques Gaisser choisit de les traduire en italien: p. 148, dans l’Asinus le paysan appelé Faselio devient Fagioli, qui serait en effet la re-traduction de Faselio qui est lui même une latinisation d’un mot vulgaire. Evidemment en anglais le référent au haricot est perdu, mais si Gaisser avait utilisé fazool, qui, dérivant du napolitain et arrivé avec les immigrants italiens et leur plat «pasta e fagioli», laissait bien «entendre» le mot latin faselio, elle perdait tout autant le sens car ce mot signifie l’argent en argot italo-américain. La traduction est affaire de négociation entre le sens, la fidélité et le son. Une autre difficulté est l’amour de Pontano pour les diminutifs hyp4 et 5 la promenade est deambulatiuncula, la main est limpidissima et frigentissima, et elle utilise l’accumulation d’épithètes pour rendre cet effet. Elle répertorie finalement aussi (en notes de fin d’ouvrage) les néologismes qu’elle rencontre et qui lui posent des problèmes de traduction (Haustillate, sorbillatio, pexor, deblanditor) et si parfois, elle recourt à la périphrase («the one who combs, the one who caresses») qui lisse le traduction par rapport à l’original elle n’oublie pas d’expliciter en note.
L’entreprise est ardue et ce n’est pas un hasard si les textes de Pontano n’ont quasiment jamais été traduits avant ces dernières années en italien, en francais, en anglais, une vieille traduction allemande des dialogues existe aussi. La collection I Tatti a pour ambition de livrer aux lecteurs des éditions bilingues non scientifiques stricto sensu mais d’une qualité impeccable pour le but recherché et nous avons enfin à disposition les cinq dialogues de Pontano dans une traduction anglaise fluide, plaisante, qui joue au mieux possible avec les registres de langue et le comique de mots. Les outils en revanche sont dignes d’une édition savante et seront très utiles et faciliteront grandement la tâche de ceux qui voudront non pas seulement lire ces textes pour le plaisir, ce que l’on conseille vivement, mais aussi les étudier comme des sources sur l’humanisme napolitain de la fin du XVe siècle dans son originalité intrinsèque.