BMCR 2021.05.34

The quaestorship in the Roman Republic

, , The quaestorship in the Roman Republic. Klio. Beihefte, 31. Berlin; Boston: De Gruyter, 2019. Pp. 376. ISBN 9783110663419. €99,95.

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Après les études récentes sur le tribunat de la plèbe (la plus récente de T. Lanfranchi), l’édilité (A. Daguet-Gagey), la préture (T.C. Brennan), le consulat (F. Pina Polo), la dictature (le récent ouvrage collectif dirigé par L. Garofalo) on attendait d’autant plus celle sur la questure qu’il n’existait pas de synthèse sur cette magistrature depuis le chapitre que Mommsen lui a consacré dans son Droit public. Malgré les progrès de l’histoire économique, administrative et même politique, cette magistrature de début de carrière, peu prestigieuse et trop technique, souffrait d’un désintérêt qu’on légitimait par des jugements sur le peu d’importance de celle-ci dans le système républicain et par le manque de sources. F. Pina Polo et A. Díaz Fernández réfutent ces idées en exposant ici les résultats d’un projet financé par l’État espagnol qui les a conduits à travailler l’un après l’autre sur le sujet entre 2014 et 2017.

Dans la tradition des monographies sur les magistratures, l’étude s’appuie sur une prosopographie des questeurs connus depuis 446 qui représente un tiers du volume. Si l’on ne peut qu’être reconnaissant envers les auteurs et l’éditeur d’avoir publié ce travail, on s’étonne toutefois que les notices soient simplement classées par ordre alphabétique et qu’on ne leur ait pas associé un numéro ou un autre identifiant facilitant leur utilisation. Les notices sont centrées uniquement sur la questure : elles donnent le nom du questeur, le numéro de la Realencyclopädie, les sources sur la questure et sa date ainsi qu’une synthèse sur les débats autour de son exercice, mais rien sur le reste de la carrière ou de la vie de l’individu (la notice de Verrès ne fait ainsi que 11 lignes). Un tableau chronologique des collèges de questeurs complète le catalogue et facilite sa consultation. Les personnages bénéficiant d’une notice sont distingués dans l’index des noms (auquel est associé un index thématique). Ce choix du minimalisme permet une taille raisonnable et donc une publication papier. Il montre surtout que les auteurs ne proposent pas une sociologie des questeurs (qui aurait été difficile au vu de la documentation), mais une étude de la magistrature pour laquelle il était préférable d’éviter des digressions sur les charges postérieures, souvent mieux connues, ou sur les origines de tel ou tel personnage.

Dans le premier chapitre, l’ouvrage propose de porter un regard neuf sur les origines de la questure qui divisent depuis près d’un siècle les partisans de Mommsen (création républicaine, fonctions financière et judiciaire) et ceux de Latte (création à lier à la mise en place du Trésor, fonctions financières inspirées des mastroi des cités doriennes de Grande Grèce). Les auteurs se situent dans la mouvance actuelle visant à se libérer du carcan, parfois inconscient, de théories anciennes qui ne sont plus guère discutées. Pour cela, ils repartent d’une analyse minutieuse des sources, visible dans la reconstruction des idées de Tite-Live et de Denys d’Halicarnasse sur les origines de la questure sur lesquelles ces auteurs sont pourtant silencieux. Après un rapide bilan historiographique, les auteurs proposent une convaincante voie médiane entre Mommsen et Latte. Refusant d’accorder trop d’importance au terme de questeur et à son étymologie, ils estiment que les questeurs seraient à l’origine les assistants des hauts magistrats de Rome, voire déjà des rois, et qu’à ce titre ces derniers les choisissaient pour les aider dans leurs tâches civiles comme militaires. Ces assistants furent ensuite chargés du Trésor et des archives, après leur mise en place, et devinrent des magistrats à part entière qui finirent par être élus vers 443 : comme les censeurs, ils déchargeaient les consuls de certaines tâches.

Dans le second chapitre, les auteurs soulignent l’absence de preuves pour la théorie des quaestores Italici qui ne s’appuie que sur l’auctoritas de Mommsen. Cette théorie rigide s’oppose aussi au pragmatisme des Romains et c’est pourquoi ils suivent plutôt Harris et Prag pour supposer une augmentation progressive. La récente découverte aux îles Égades d’inscriptions latines sur des rostres datés de la 1ère guerre punique et mentionnant des questeurs leur permet de reconsidérer le témoignage de Jean le Lydien liant la création de deux nouveaux questeurs en 267 à la construction et à l’entretien d’une flotte. Toutefois leur province put changer par la suite, selon les besoins, et, après la guerre, deux nouveaux questeurs furent créés pour la Sicile et la Sardaigne, portant leur nombre à huit, chiffre qui ne bougea plus jusqu’à Sylla.

Le chapitre suivant, sur la place de la questure dans la carrière politique, part de la loi des XX questeurs et de l’idée d’une entrée automatique au Sénat des anciens questeurs, idée que j’ai essayé de réfuter et qui est fragilisée par les dernières estimations à la baisse du nombre de sénateurs décidé par Sylla.[1] Cette question et celle du ius sententiae dicendae des questoriens auraient d’autant plus mérité un traitement plus approfondi que le manque de sources ne permet pas aux auteurs de dépasser dans ce chapitre les hypothèses communément admises : un désintérêt pour la questure, expliquant que Sylla en fit une étape obligatoire du cursus ; une charge revêtue en début de carrière entre le tribunat militaire et l’édilité ; une fixation à 30 ans de l’âge légal par Sylla (les auteurs doutent que la lex Villia l’ait établi autour de 27 ans). Sur ce point, une estimation des âges à l’entrée en charge dans la prosopographie aurait été utile.

Le quatrième chapitre offre également une synthèse sur les aspects techniques de la magistrature : élection par les comices tributes présidés par un consul depuis 447-446 si l’on suit Tacite ; entrée en charge le 5 décembre à partir de 153 ou de Sylla (pour recruter les jurys de l’année suivante ou pour étudier les dossiers avant la prise de fonction des consuls). Considérant que les questeurs étaient d’abord les assistants des magistrats supérieurs, les auteurs supposent que leurs entrées en charge étaient concomitantes, quoique variables, avant 153. Leur province était ensuite tirée au sort à l’Aerarium le jour de leur investiture, procédure en vigueur bien avant la fin du IIe siècle. Comme bien souvent, nos sources nous renseignent davantage sur l’extraordinaire : les attributions extra sortem étaient une concession faite par le Sénat aux magistrats supérieurs pour leur octroyer un assistant en qui ils avaient toute confiance, par exemple en raison de liens d’amitiés. C’était indispensable puisqu’ils seraient responsables de la conduite de leur questeur, mais cela ne créait pas pour autant une relation de patronat. Les arrangements entre questeurs nécessitaient aussi l’autorisation du Sénat. La prosopographie permet aux auteurs de combiner une approche institutionnelle à une sensibilité à l’exercice pratique du pouvoir que l’on retrouve davantage dans les universités allemandes où les auteurs séjournèrent.

Le cinquième chapitre sur la questure urbaine, le dernier et le plus long écrit par F. Pina Polo, commence par réfuter deux théories : la première selon laquelle les questeurs urbains se partageaient les tâches et notamment la charge du Trésor (Crawford et Prag), et la seconde selon laquelle ils ne pouvaient pas quitter Rome (Mommsen). L’épisode de 168, lorsque chaque questeur urbain dut s’absenter de Rome, montre en effet que les questeurs agissaient de manière collégiale et pouvaient, chacun leur tour, s’absenter de Rome. Sont ensuite abordés la gestion des comptes publics (et donc des enchères publiques), l’accueil des ambassades, l’organisation des honneurs funéraires, l’entretien des routes, la frappe des monnaies (en fournissant le métal voire en se chargeant de la frappe elle-même comme le défendent les auteurs de manière convaincante), la gestion des archives (ce qui ne leur donnait pas un pouvoir de veto en refusant d’archiver un sénatus-consulte ainsi que le démontrent les auteurs), la réception des serments d’entrée en charge et de respect des lois, et enfin la sélection des jurés des quaestiones. En résumé les questeurs « act as public notaries on behalf of the ciuitas » (p. 90) et étaient aussi chargés « to implement this public show of respect » (p. 98), notamment en s’occupant des dépenses engendrées par ces manifestations. Si les questeurs tenaient donc une place centrale dans l’administration, leur rôle politique semble avoir été minime et les auteurs laissent ouverte la question de leur droit de convoquer et de présider des contiones. Les cas de Q. Servilius Caepio, s’opposant véhémentement à la loi frumentaire de Saturninus, ou de Caton d’Utique sont à bien des égards exceptionnels et on peut regretter que les auteurs n’aient pas mené une étude plus approfondie de cet extraordinaire pour retrouver l’ordinaire de la questure et pour réfléchir à la situation des questeurs.

Le dernier chapitre est le seul écrit par A. Díaz Fernández, qui met à profit sa thèse récemment soutenue (2014) sur la conception du mandat provincial à la fin de la République. Le changement d’auteur conduit à des répétitions, comme sur le tirage au sort des provinces. Le point de départ, bien démontré, est que tout détenteur de l’imperium était accompagné par un questeur. Jusqu’à la loi des XX questeurs de Sylla, il fallait donc certaines années recourir à des proquesteurs et cette situation eut des conséquences sur les tâches des questeurs. En outre, le départ plus tardif des magistrats dans leurs provinces obligeait les questeurs à les attendre à Rome, soit en les assistant dans leurs missions urbaines soit en préparant le gouvernement provincial. Si le magistrat pouvait être assisté de plusieurs questeurs successifs tout au long de son gouvernement, l’inverse n’était pas vrai : le questeur était lié à l’imperium du magistrat de sorte qu’il ne pouvait pas servir sous les auspices d’un autre. Si les questeurs étaient sans doute en nombre insuffisant avant la loi de Sylla, après celle-ci et plus encore après le passage à quarante questeurs décidé par César, les historiens peinent à trouver une mission pour chacun d’eux. Avant Sylla, il était ainsi impossible d’avoir deux questeurs en Sicile, sauf circonstances exceptionnelles comme dans les années 70 quand Rome devait assurer l’approvisionnement de la plèbe et des armées. De manière convaincante, les auteurs expliquent de la même manière l’envoi d’un questeur in nouam prouinciam Curenas (Sall. Hist. 2.43 Reynolds) en 75. La fin du chapitre revient sur les différentes activités du questeur dans sa province, question qui suscite moins de débats. Les auteurs insistent cependant sur le fait que, véritable numéro 2 de la province et proche de l’imperium, ses missions dépassaient les seules tâches financières et que le questeur se retrouvait parfois en concurrence avec les légats comme lorsqu’il levait des troupes et les conduisait dans la province ou qu’il était amené à remplacer le gouverneur.

Cet ouvrage constitue donc une utile mise au point sur la questure et sur les débats autour de cette magistrature. Surtout, tandis que la reconstruction mommsénienne était marquée par l’esprit de système, celle que les auteurs proposent ici est centrée sur l’exercice du pouvoir et le pragmatisme romain, ce qui la rend plus convaincante et stimulante. En définitive, ce livre vient enfin remplacer le chapitre du Droit public de Mommsen sur la questure comme point de départ pour toute étude sur cette magistrature. Il s’agit surtout d’une lecture nécessaire (a minima la conclusion qui offre un clair résumé) pour tout historien de Rome permettant de clarifier ses idées sur une magistrature généralement méconnue et pourtant indispensable au fonctionnement de la res publica.

Notes

[1] C. Bur, La citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome, Rome, 2018, p. 126-127 n. 74 et F. Santangelo, « Sulla and the Senate: a Reconsideration », CCGG, 17, 2006, p. 8-11.