L’ouvrage est une version révisée de la thèse de doctorat soutenue à Durham University en 2013 (version de soutenance disponible en ligne). Il comprend une présentation conséquente (82 p.) portant sur la tradition littéraire et textuelle du Certamen, un texte dont l’auteur propose une édition nouvelle, accompagné d’un apparat critique et d’une traduction en langue anglaise, et un commentaire suivant la progression du texte (79 p.).
La première partie « The tradition of the contest between Homer and Hesiod », passe en revue tous les témoignages antiques sur la dispute entre les deux poètes, selon un ordre chronologique, du célèbre passage des Travaux et les Jours (v. 648-662) à Eustathe de Thessalonique. Les textes sont cités intégralement, accompagnés d’une traduction nouvelle et d’un commentaire individuel. Cette partie a pour fonction d’éclairer la tradition littéraire dans laquelle s’inscrit le texte qui nous est parvenu et ses implications concernant les œuvres de antagonistes dans la Dispute: l’Iliade et Les Travaux et les Jours. L’auteur ne contourne pas les difficultes. Par exemple, Elle postule la coexistence d’une Vie de Proclus et d’une Vie de Tzetzès inspirée de la première, la proximité des deux ayant abouti à la réduction à une seule vie avec une attribution variable. Concernant l’identité de Proclus, elle tranche en faveur de Proclus Diadochus, le philosophe néoplatonicien du Ve siècle, plutôt que d’Eutychius Proclus, grammairien du IIe s., comme auteur de ces œuvres. Certaines analyses littéraires ne nous ont pas toujours convaincue : citons par exemple l’analyse de l’usage de l’épigramme du trépied d’Hésiode comme exemplum dans le texte de Libanios, p. 39. Il n’est pas vraisemblable que le rhéteur n’ait eu connaissance que de l’épigramme, car toute son œuvre atteste une connaissance extrêmement poussée de toutes les traditions biographiques entourant les poètes.
La deuxième partie, « Textual Tradition », revient de manière particulièrement éclairante sur l’histoire de l’unique manuscrit qui a conservé le Certamen, le MS Plut. 56. 1 (Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana) et sur d’autres témoins, non pas du même texte, selon la thèse principale de l’auteur, mais de versions différentes de ce texte, dont elle propose parfois sa propre édition.[1] La thèse que P. Bassino partage avec G. Menci[2] est que les différents papyri et manuscrits médiévaux comprenant tout ou partie du récit présentent des versions de la même tradition qui sont assez librement adaptées. La syntaxe, le lexique, l’ordre même des informations peuvent varier d’une version à l’autre, sans qu’on puisse douter pour autant qu’il s’agit de variantes de la même œuvre. Son étude des manuscrits permet de mettre au jour l’un des contextes de circulation du texte : dans le cadre scolaire, sans doute en lien avec des exercices de rhétorique, ce qui explique bien entendu les choix d’adaptation. La Dispute, qui illustre la victoire du moins bon sur le meilleur, était sans aucun doute une matière propice à différents progymnasmata.
La troisième partie, « Text and translation », présente en page de gauche le texte grec, avec liste des testimonia et apparat critique, et en page de droite, la traduction. L’édition est de qualité et suit la méthode indiquée en introduction (p. 3), à savoir le respect au maximum des leçons du manuscrit, en résistant à la tentation d’harmoniser (l’onomastique par exemple) avec d’autres versions, selon le principe de variabilité de la tradition mis au jour dans les deux premières parties.[3] Pour le reste, les différences sont minimes avec le texte le plus facilement accessible (celui de M. L. West dans Homeric Hymns, Homeric Apocrypha, Lives of Homer, Cambridge (Mass.)./London, Loeb Classical Library, 2003). La nouvelle édition n’apporte donc pas de modification majeure à l’interprétation du texte. La traduction est claire et agréable à lire.
La quatrième partie, « Commentary », commence par quelques remarques introductives avant de suivre la progression du texte. On s’étonne de ce que l’auteur ne cherche pas plus précisément à dater l’époque de rédaction du texte : elle donne comme terminus post quem la visite d’Hadrien à Delphes, en 125 ap. J.-C., et il faut déduire qu’elle considère comme terminus ante quem l’époque du manuscrit lui-même (XIVe s.). On aurait apprécié une discussion de la période de rédaction souvent donnée par les éditeurs antérieurs (IIe s. ap. J.‑C.) sur les mêmes bases d’analyses lexicales que celles proposées pour d’autres textes (voir supra partie 1) ou en relation avec le contexte de circulation du texte (exercices de rhétorique). L’excès de prudence est suivi d’un excès de confiance, lorsque l’auteur affirme que le sophiste du IVe s. av. J.-C. Alcidamas est « the main source for the core of the narrative » (p. 115), alors que les supports invoqués ne comprennent que les récits de mort des deux poètes et deux vers du Certamen.[4]
Le commentaire suivi est d’un intérêt capital pour toute personne s’intéressant aux récits biographiques entourant Homère et Hésiode. Extrêmement documenté, il comprend des références aux autres testimonia pertinents pour chaque point énoncé dans le Certamen, éclaire les choix philologiques (e.g. conserver le nom de Κλεάνθης, porté par le manuscrit, plutôt que d’adopter la correction séduisante, mais non nécessaire Νεάνθης, suggérée par Arnim, p. 124), avec une finesse de l’analyse littéraire générale, qui constitue le fil rouge du commentaire: l’auteur montre que tout est mis en place pour susciter chez le lecteur la sensation d’un jugement injuste, émis par le roi Panoidès, qui donne la victoire à Hésiode, contre toute attente. Les implications sont profondes : l’auteur montre que ce texte ne correspond pas vraiment, en réalité, à la catégorie d’« infra-littérature » dans laquelle on pourrait le ranger trop rapidement en raison de son style dépouillé. Il ne peut être assimilé aux listes d’exempla contenues par le MS Plut. 56. 1 et témoigne d’une véritable recherche littéraire, dans le portrait en contraste qu’il offre des deux poètes épiques.
En conclusion, l’ouvrage, en plus d’être un outil extrêmement utile pour des consultations ponctuelles sur tel ou tel point du texte (e.g. sur la question des origines d’Homère, p. 118-131, ou sur la représentation des deux poètes comme incarnation de deux sous-genres poétiques et styles différents, p. 164-167), constitue, pour ceux qui le liront dans son intégralité, un apport majeur à l’interprétation littéraire du Certamen.[5] Il est extrêmement bien documenté, avec une bibliographie vaste et variée, et s’appuie la plupart du temps sur les éditions les plus récentes des textes cités (à quelques exceptions près, e.g. pour le commentaire d’Hermias au Phèdre de Platon, il convient d’utiliser, plutôt que l’éd. de Couvreur (1901) l’éd. de C. M. Lucarini et C. Moreschini, Hermias Alexandrinus, In Platonis Phaedrum Scholia, Berlin, Walter de Gruyter, Bibliotheca scriptorum Graecorum et Romanorum Teubneriana, 2012).
Notes
[1] C’est le cas pour deux d’entre eux : P.Petr. I 25 (1) = P.Lond.Lit. 191, où le choix de proposer des restitutions pour compléter les lignes améliore considérablement la lisibilité du texte, conformément au but de l’auteur indiqué p. 61 n. 141 ; P.Mich. inv. 2754, sans nouveauté éditoriale particulière.
[2] G. Menci, « Un epigramma del Certamen Homeri et Hesiodi (309-312 Allen) in P.Duk. inv. 665 », ZPE 180, 2012, 43-47.
[3] Ainsi de Πανοίδης (tout au long du texte) ; elle conserve aussi Ἀριαδνείας (l. 234) et ne propose pas de correction pour l’insatisfaisant ἐν †ἐνηπόδω† (l. 241).
[4] Cet excès de confiance est sensible tout au long du livre, et particulièrement frappant dans la manière dont l’auteur parle, la plupart du temps, de l’autorité d’Alcidamas pour le papyrus P.Mich. inv. 2754 sans préciser que le nom d’Alcidamas y est en partie restitué (e.g. p. 67, 71, 117 etc.).
[5] Un problème mineur : l’introduction, comme les deux premières parties, supposent connu le texte du Certamen et ne comprennent ni résumé ni rapide rappel de la nature du texte conservé. Il conviendra donc à un lecteur qui ne serait pas déjà familiarisé avec le texte de parcourir ce dernier ainsi que les remarques préliminaires du commentaire (p. 115-117) une fois pour mieux cerner les implications du discours initial de l’auteur et de la méthodologie adoptée dans les deux premières parties.