Le Corpus Vasorum Antiquorum, qui fêtera dans deux ans le centenaire de la sortie de son premier volume (il en compte à présent près de 400), a publié peu de monographies consacrées exclusivement à la céramique étrusque, et la plupart en milieu français,[1] ce qui s’explique par le nombre considérable d’objets d’Étrurie méridionale arrivés au musée du Louvre avec l’achat de la collection Campana,[2] mais surtout par l’impulsion décisive donnée à l ’étude de cette catégorie d’objets par François Villard, conservateur en chef du département des Antiquité grecques et romaines du musée entre 1975 et 1983. Yasmin Olivier-Trottenberg, auteure, en 2014, d’un fascicule du CVA consacré à la céramique étrusque à figures noires,[3] traite dans ce volume de l’Etruskisch rotfigure Keramik conservée à l’Antikensammlung de Munich—en fait, à la céramique à figures rouges, mais aussi et principalement, en nombre et en qualité des pièces, à la céramique surpeinte (sovradipinta, in superposed colour, mit aufgesetztem Rot). Ce nouveau volume témoigne de la richesse des collections, en particulier étrusques,[4] de ce musée, qui sont issues de la réunion de plusieurs fonds.[5] La plus important et la plus intéressant d’entre eux sur le plan archéologique— puisqu’il se compose exclusivement de vases trouvés à Vulci, tous les autres étant dépourvus de provenance— est l’ancienne collection des frères Candelori, acquise par Louis Ier de Bavière par l’intermédiaire de Johann Martin von Wagner.[6]
Même si la plupart des vases ou tessons qui le composent étaient déjà, au moins en partie, publiés ou signalés, le volume apparaît d’emblée comme un modèle du genre, aussi bien par la qualité de ses textes que par celle de son illustration. Chaque objet—87, si j’ai bien compté,[7] ici datés entre 500 et 300 av. J.-C.—fait l’objet d’une notice très détaillée qui comporte une bibliographie exhaustive,[8] une description très minutieuse du décor, une datation et une attribution (renvoyant, utilement, à leur auteur) mais aussi, en fonction des vases, des remarques parfois très développées regroupées sous quatre rubriques : le groupe, le peintre, la forme et la représentation. Le corpus est complété par un catalogue de cinq vases perdus ou détruits au cours de la seconde guerre mondiale, dont trois provenant de Vulci—il aurait été utile d’en donner une photo, lorsque celle-ci existe. Les 64 planches de vues d’ensemble et de détails—certains magnifiques (fig. 1)—parfois trois pour un seul vase — sont toutes en couleur et de qualité remarquable ;
elle sont complétées de 11 planches de coupes relatives à 35 vases, publiées à l’échelle 1:1 ou 1:2, particulièrement bienvenues dans la mesure où les profils publiés pour cette catégorie de céramique sont rares, comme si l’on considérait que la présence d’un décor peint les rende inutiles. Le volume comporte par ailleurs non moins de huit index (concordance des numéros d’inventaire, provenances, collections d’origine, capacités, particularités techniques, représentations, inscription, ateliers).
Pour les vases à décor surpeint, les indications de provenance pointent sans surprise Vulci pour 16 vases du Groupe de Praxias (pl. 1, 4, 7, 14-18, 20-22, 25), mais reposent aussi la question difficile du lieu—ou des lieux—de production des skyphos à la chouette (pl. 26) et des vases du Groupe de Sokra (pl. 30), qui pourraient y avoir été importés ; sept des vases à figures rouges proviennent de Vulci, où ils ont tous probablement été produits (pl. 39, 41-44, 47, 50). En règle générale, les vases publiés confirment le rôle central de Vulci dans la production de céramiques surpeintes au Ve siècle, tandis que les vases à figures rouges se répartissent, sur tout le IVe siècle, entre productions vulciennes (Peintre de Londres F 484, Funnel Group), [9] falisques et cérétaines. Si nombre de scènes figurées dans ce type de céramique sont convenues, la collection bavaroise en comporte qui présentent un intérêt particulier, en particulier ceux qui témoignent de la popularité de l’Iliade dans l’Étrurie de la première moitié du Ve siècle (pl. 1, combat près des vaisseaux grecs et probable scène de presbeia ; pl. 4, dont l’interprétation est controversée ; pl. 7, fuite d’Énée), mais aussi ceux qui figurent différents thèmes mythologiques (pl. 9, Persée et la Gorgone ; pl. 16, personnage sur un taureau ; pl. 19, Héraklès ; pl. 21 et 39 et 41, Apollon ; pl. 36, Dionysos ; pl. 41, Amazones ; pl. 47 ; Héphaïstos ; pl. 55, Charun[10]) (fig. 2).
Les spécialistes trouveront naturellement matière à discuter différentes positions adoptées par l’auteur, qu’il s’agisse des attributions, des datations, ou de l’interprétation des scènes, mais ce volume fournit la totalité des informations nécessaires, le cas échéant, pour reprendre ou développer ces questions. Pour me limiter ici à quelques trop brèves notes de lecture, sur le plan chronologique, on peut s’interroger sur la datation à mon sens très haute (première moitié du IVe siècle) adoptée pour l’ensemble du Groupe de Sokra (pl. 29-35), tandis que celle de la patère ombiliquée du Groupe de Torcop de la pl. 56.1-5 me semble, compte tenu de la présence de lignes en relief, devoir être relevée au troisième quart du IVe siècle.[11] Pour la production falisque à figures rouges, au sein de laquelle l’iconographie dionysiaque est omniprésente, on notera l’hydrie falisque de la pl. 59, qui adapte à un vase de grandes dimensions un système décoratif très simple (dauphin), normalement réservé à des récipients plus petits, ou encore le fragment de coupe falisque de la pl. 62.7, dont le peintre a voulu briser la monotonie du décor externe—le plus souvent, trois personnages en conversation — en figurant une femme entourée de deux jeunes gens nus, mais dont celui de droite est figuré comme ithyphallique (fig. 3).
Pour les plats de Genucilia, il ne ressort pas explicitement de la notice que celui de la planche 63 est falisque, et ceux de la pl. 64 cérétains, et la fourchette chronologique proposée (340-300) peut certainement être réduite au dernier quart du IVe siècle, voire même étendue au début du siècle suivant.
Le catalogue sépare les vases en deux groupes en fonction de leur technique de réalisation, surpeints (pl. 1-35, 58 objets appartenant pour la plupart au Groupe de Praxias, mais aussi au Groupe de Sokra)[12] ou à figures rouges (pl. 36-64, 29 objets en majorités de production vulcienne ou falisque). En dépit de l’ampleur et de la qualité évidente de ce travail, et si l’on considère que le CVA ne doit pas se contenter de proposer une simple juxtaposition de fiches de vases, quelle que soit leur précision, on peut s’interroger sur la justesse du choix singulier consistant à classer les vases composant le corpus en fonction de leur forme.[13] Cette option a deux conséquences qui limitent clairement l’intérêt potentiel du volume, et en compliquent la consultation. D’une part, elle sépare ce qui devrait être réuni — les différents vases attribués au même peintre ou au même groupe[14] —; d’autre part, elle occulte complètement le développement chronologique des différentes productions.[15] Cet écueil pouvait être évité facilement en classant les objets chronologiquement, dans la limite de nos connaissances, et en faisant précéder chaque partie d’une introduction relative aux groupes et aux peintres attestés[16], qui y aurait eu davantage sa place que dans les fiches individuelles des vases.[17]
En dépit de cette réserve—si fondamentale soit-t-elle —, cet ouvrage solide, qui offre une publication exhaustive et de qualité de vases qui n’étaient pas toujours édités de manière pleinement satisfaisante auparavant, est appelé à contribuer de manière significative au développement des recherches portant sur la céramique figurée d’Étrurie, notamment en permettant d’explorer plus à fond les rapports complexes —techniques, typologiques et iconographiques — que cette région a entretenus avec la Grèce et la Grande Grèce.
Notes
[1] Bucchero nero : J. Gran-Aymerich, CVA France 31, Musée du Louvre 20 (1982) et France 34, Musée du Louvre 23(1992) ; céramique étrusque à figures noires : F. Gaultier, CVA France 35, Musée du Louvre 24 (1995), et France 39, Musée du Louvre 26 (2003) ; céramique étrusque à figures rouges : V. Jolivet, CVA France 33, Musée du Louvre 22(1984). La collection de vases surpeints aurait dû faire l’objet d’un autre volume, qui n’est pas paru à ce jour.
[2] Voir, en dernier lieu, F. Gaultier, L. Haumesser et A. Trofimova (dir.), Un rêve d’Italie : la collection du marquis Campana, cat. d’expo., Paris, 2018.
[3] Deutschland 96, München 17.
[4] Le CVA a déjà consacré 20volumes à ce même musée.
[5] Donations Paul Arndt, James Loeb, Theodor Dombart, Hubert Knackfuß, Dieter Nörr, et anciennes collections Campanari, Pöschl, Poniatowski et Preyss (p. 7).
[6] Compte tenu de l’importance de cette partie de la collection bavaroise, sur les vicissitudes des fouilles Candelori, l’auteur aurait gagné à citer M. Scarpignato, Sulle collezioni Feoli e Candelori, Bollettino dei Monumenti, Musei e Gallerie Pontificie 5, 1984, p. 13-31 et F. Buranelli, Gli scavi a Vulci della Società Campanari-Musei Pontifici(1835-1837), Rome, 1991, p. 7-14.
[7] On peut regretter l’absence—mais elle est inhérente aux principes du CVA—de numéro progressif attribué à chaque vase, puisque la numérotation reprend à chaque nouvelle planche, et un même objet peut figurer sur plusieurs planches : l’attribution d’un tel numéro permettrait d’alléger sensiblement les index, et de faciliter les renvois aux vases.
[8] La bibliographie relativement succincte donnée aux p. 9-11 ne correspond qu’aux titres les plus souvent cités.
[9] Voir, en dernier lieu, V. Jolivet, De la lenteur en céramologie. Les soixante-dix ans du Funnel Group, dans V. Bellelli et Á Miklós Nagy (dir.), Superis deorum gratus et imis. Papers in Memory of János György Szilágyi, Rome, 2019 (Mediterranea 15), p. 45-55.
[10] Avec un magnifique vase plastique de l’ancienne collection Poniatowski (et non Pontiatowski, p. 7 et 71, ou Pontiatowsky, p. 57)
[11] Pour un exemplaire très comparable, qui pourrait avoir été produit dans un petit atelier—-itinérant et temporaire ? — actif au nord d’Ostie, voir V. Jolivet, La grande Rome de Quintus Fabius Maximus Rullianus et le Latium, dans F. Cifarelli, S. Gatti et D. Palombi (dir.), Roma & Lazio Medio Repubblicani, Rome, 2019, p. 220-223, spéc. note 49.
[12] En céramique surpeinte, on note l’absence complète des œnochoés du Groupe du Fantôme et des skyphos à palmette, pourtant produits en abondance, et normalement très largement attestés dans les collections muséales.
[13] Céramique surpeinte : amphore (pl. 1-18), péliké (pl. 18), hydrie (pl. 18-20), œnoché (pl. 20-22), kyathos (pl. 23-25), skyphos (pl. 26-27), coupe (pl. 28-35). Céramique à figure rouges : amphore (pl. 36), stamnos (pl. 39-43), cratère en calice (pl. 44-50), hydrie (pl. 51-52), askos (pl. 53-55), phiale (pl. 56), coupe (pl. 57-63), patère (pl. 63-64).
[14] Céramique surpeinte : Jahnmaler (pl. 1, 4, 7, 22), Medusamaler (pl. 9, 12, 14, 17, 19-20, 22, 24), Maler der Basler Kalpis (pl. 15, 22-23), Stiermaler (pl. 16, 18), Lyramaler (pl. 12, 13, 21-23), Apponyimaler (pl. 18, 25). Céramique à figures rouges : Maler von London F484 (pl. 39, 44), production falisque (pl. 36, 51-52, 59-63), Vatikanwerkstatt der Funnelgroupe (pl. 42-43, 50, 58), production cérétaine (pl. 56, 64).
[15] Il n’est donc pas inutile de reclasser ces vases chronologiquement. Céramique surpeinte : 490-470 (pl. 18), 480-460 (pl. 1, 4, 22-23), 480-450 (pl. 9, 12, 14, 17, 19-20, 22, 24), 470-450 (pl. 12, 15-18, 21-23, 25), 470-440 (pl. 18), 400 (pl. 28), 400-375 (pl. 29), 400-350 (pl. 26-27), 375-350 (pl. 30-32, 34-35), 350 (pl. 35). Céramique à figures rouges : 500-450 (pl. 57), 400 (pl. 60), 470-370 (pl. 39, 44), 400-350 (pl. 41, 47, 55), 370-360 (pl. 51), 360-340 (pl. 61), 350 (pl. 59), 350-330 (pl. 36), 350-325 (pl. 62), 350-320 (pl. 60), 340-300 (pl. 63-64), 335-300 (pl. 43-43, 50, 58), 325-300 (pl. 56), 320-300 (pl. 52, 54).
[16] Pourquoi, par exemple, faut-il attendre la pl. 15, 1-2 pour disposer du commentaire relatif au groupe de Praxias, alors que le premier vase du corpus en fait déjà partie ?
[17] Comme c’est le cas du volume du CVA consacré par le même auteur à la céramique étrusque à figures noires (supra, note 3).