Dédié à la mémoire de Jean-Paul Thalmann, le volume publié par Leila Badre, Emmanuelle Capet et Barbara Vitale propose une première présentation de la céramique du Bronze récent dans la plaine du Akkar, ayant pour but de « servir de manuel de référence pour des recherches futures » (p. 9). Après un avant-propos précisant l’importance des liens entre les fouilles de Tell Kazel et de Tell Arqa—dont Jean-Paul Thalmann avait été responsable depuis 1978—, l’ouvrage se compose de deux parties : La céramique de Tell Kazel au Bronze récent (p. 11-163), écrite principalement en français par Leila Badre et Emmanuelle Capet avec des contributions en anglais de Barbara Vitale et Reinhard Jung, et Tell Kazel : imported Late Bronze Age Cypriote wares from Areas II and IV, rédigée entièrement en anglais par Barbara Vitale (p. 165-234).
La première section résume Le contexte historique (p. 11-12) de Tell Kazel dans la seconde moitié du IIème millénaire, dans une région du Proche-Orient ancien à la frontière entre les sphères d’influence des empires égyptien et hittite, ainsi que sur un axe stratégique pour les communications entre la Méditerranée orientale et la Mésopotamie, et présente ensuite une synthèse de L’état des recherches archéologiques dans la Trouée de Homs (p. 12-20). Situé dans la région côtière de la Syrie actuelle et fouillé sous la direction de Leila Badre depuis 1985 (mission du Musée archéologique de l’Université Américaine de Beyrouth), Tell Kazel correspond à l’ancienne ville de Sumur/Symira, centre de premier plan du royaume d’Amurru à partir du milieu du XIVème siècle av. J.-C. Le phasage minutieux établi à Tell Arqa grâce à une analyse stratigraphique fine, domaine de prédilection de Jean-Paul Thalmann, ainsi que les nombreux échanges entre les équipes de ces deux sites majeurs du Akkar ont abouti à une chronologie commune. Sont ensuite résumées les situations respectives de Tell Arqa et de Tell Kazel et du matériel céramique qui en provient pour le Bronze récent.
Bien que Tell Kazel ne propose pas de chronologie absolue, sa chronologie relative peut s’appuyer sur la comparaison d’un riche matériel céramique, dont une quantité importante retrouvée in situ. L’occupation du Bronze récent est attestée dans deux secteurs, dénommés II—secteur résidentiel du côté est du tell—et IV—temple entouré de complexes résidentiels, du côté ouest du tell—et se concentre dans trois phases d’occupation dans la deuxième moitié du Bronze récent, K1 à K3. Le tableau 1 (p. 16) met en évidence la proportion par unité architecturale et stratigraphique des catégories morphologiques des vases, pour une sélection de formes entières in situ —sols de maisons ou du temple—et de tessons retrouvés en position secondaire. Le choix de présenter ce tableau avant même la discussion détaillée des types de vaisselle permet de donner très rapidement un bon aperçu de la « situation céramique » du site pour le Bronze récent, ainsi que d’introduire des remarques d’ordre général sur la fonction des catégories céramiques. Les auteurs précisent également les critères ayant guidé la sélection du corpus, où on distingue entre types plus fréquents et plus rares, pour terminer avec des exemples plutôt atypiques pour la période ou la région. Un deuxième tableau (p. 20) illustre les corrélations entre les phases d’occupation de Tell Kazel et de Tell Arqa pour le Bronze récent (phases L et K), en y ajoutant le parallèle de la chronologie égéenne issue de l’étude du matériel céramique mycénien par Reinhard Jung (p. 47-51).
La description détaillée du corpus céramique s’articule en quatre parties, suivies d’une conclusion et de deux annexes. La première, Les pâtes, les techniques, les cuissons (p. 20-23), propose une répartition du matériel fabriqué localement en quatre types principaux sur la base des caractéristiques de l’argile, du dégraissant, des techniques de façonnage et de la cuisson, toujours dans une perspective de mise en parallèle avec Tell Arqa. On passe ensuite à la description des décors et des engobes, en précisant les associations éventuelles avec des formes spécifiques.
Dans la deuxième partie, Les formes (p. 23-43), le matériel est reparti selon une approche traditionnelle en une série de macro-catégories morphologiques, chacune desquelles peut comprendre un ou plusieurs sous-types. Les auteurs prennent soin d’expliciter leur démarche méthodologique et épistémologique, en rappelant les risques d’un emploi trop rigide et artificiel des appellations céramiques et en soulignant que les types présentés ont été déterminés de manière contextuelle. Un exemple emblématique est celui des « assiettes », type qui regroupe des vases pouvant être utilisés à la fois comme contenants-vaisselle de table et comme couvercles-bouchons. La démarche comparative est également au cœur de cette présentation : les types céramiques de Tell Kazel sont systématiquement reliés à leur contexte stratigraphique et mis en parallèle avec les exemplaires attestés à Tell Arqa, avec l’ajout de comparaisons ponctuelles avec d’autres sites, en particulier dans la zone côtière du Levant—où plusieurs similitudes importantes avec le matériel d’Ugarit sont mises en évidence. La troisième partie est dédiée à La vaisselle Handmade Burnished Ware (p. 44-45) : connue aussi comme « barbare » et produite localement, elle provient surtout du secteur du temple et son apparition dans la phase finale du Bronze récent (K1, première moitié du XIIème siècle av. J.-C.) serait à mettre en relation avec la disparition progressive et concomitante des importations d’origine mycénienne.
La quatrième partie, Importations de l’Ouest (p. 45-51), comprend trois sous-sections, la première concernant la céramique Grey Lustrous Wheelmade Ware. Une note de bas de page (p. 45, n. 252) indique que la démarche suivie dans le traitement du matériel importé diffère de celle concernant la céramique locale, car la sélection effectuée ne concerne pas uniquement les contextes non perturbés du Bronze récent, mais plutôt ces exemplaires dont les caractéristiques sont particulièrement dignes d’intérêt. Bien que le renvoi à la note apparaisse clairement dès le titre de cette section, il aurait peut-être fallu intégrer directement cette précision dans le corps du texte, comme cela avait été le cas pour les choix méthodologiques annoncées précédemment dans le volume. La céramique d’origine chypriote étudiée par Barbara Vitale ( Cypriote pottery, p. 45-47), dont une quantité significative a été livrée par les niveaux du Bronze récent II (environ 1350-1190 av. J.-C.) du secteur du temple, montre des traits morpho-stylistiques plus variés par rapport à la production locale, avec plusieurs parallèles dans d’autres sites levantins comme Ugarit et Byblos. La céramique mycénienne analysée par Reinhard Jung ( Mycenaean pottery in coastal Syria p. 47-51) témoigne également de l’intensité des échanges entre l’Égée et la côte syrienne, et fait de Tell Kazel l’un des sites du Proche-Orient les plus riches de ce matériel. La céramique mycénienne d’importation a pu être distinguée de celle locale : la première correspondrait à une production orientée par la demande des centres du Levant entre 1350 et 1250 av. J.-C. (à partir de la phase K4 du chantier IV), alors que la deuxième l’aurait progressivement remplacée en faisant son apparition avant la phase de destruction à la fin du XIIIème siècle pour continuer à être en usage pendant la période de transition (fin phase K2 et phase K1). Un tableau (p. 50) résume les correspondances chrono-stratigraphiques établies pour ce matériel.
Ces quatre parties sont suivies par des observations conclusives sur l’évolution générale et par phase des formes et des techniques (p. 51-53). Dans plusieurs cas, des évolutions apparaissent de manière visible dans les sous-types d’une même catégorie de vases, tout en s’inscrivant dans un processus sans solution de continuité, dans lequel les changements, bien que parfois nettement identifiables, ne semblent pas correspondre à des ruptures totales. Les auteurs soulignent ensuite que, « malgré son rattachement à l’Empire hittite vers 1350 …, l’Amurru reste, dans sa culture céramique, plus côtier et chypriote que perméable aux mondes de l’est de la Trouée de Homs » (p. 52), et illustrent leurs propos avec une carte du Akkar au sein des « régions céramiques » (p. 161). Deux annexes présentent la Concordance typo-chronologique avec d’autres sites du Levant (p. 53-56) et l’ Échantillon de lots de vases (p. 56-57).
La présentation résumée ci-dessus comprend de nombreux renvois aux planches (p. 58-155), qui illustrent le matériel à travers des dessins clairs et un choix d’images en noir et blanc, en suivant l’ordre proposé dans la description des formes. Les illustrations sont accompagnées par des tableaux élaborés comme des extraits d’une base de données traditionnelle pour la description du mobilier archéologique, complétant les références stratigraphiques et le numéro d’inventaire de chaque exemplaire avec les données de l’analyse macroscopique. Certains exemplaires se distinguent par l’originalité et la qualité de leurs décors. Nous pouvons citer le magnifique cratère reproduit sur la couverture du volume (n. 266, p. 34 ; planche XXIV, p. 104-105 ; planche couleur III, p.159)—caractérisé par un décor bichrome qui intègre à une série de registres avec des motifs géométriques une série alternée d’hommes et animaux variés—et un grand brasero cylindrique (n. 443, p. 43 ; planche XXXVIII, p.134-135 ; planche couleur IV, p. 160) montrant un décor peint et appliqué de type zoomorphe. Cette première section du volume se termine par quatre planches couleur (p. 157-160), la carte des régions céramiques précédemment mentionnée (p. 161) et deux plans topographiques, respectivement de Tell Arqa (p. 162) et de Tell Kazel (p. 163). Il est à signaler que certains renvois—notamment aux planches couleur et à la carte des régions céramiques—ne sont pas toujours indiqués dans le texte, bien que cela n’entraîne aucune difficulté dans la consultation du volume, dont la structure est claire et bien organisée. Une petite erreur s’est glissée à la p. 44, dans le renvoi à la planche couleur I (les photos qui illustrent la Handmade Burnished Ware sont e-f, alors que c-d ne concernent pas cette catégorie de céramique).
Dans la deuxième section du volume, Barbara Vitale offre un catalogue plus détaillé de la céramique chypriote importée—75% du matériel céramique d’importation pour le Bronze récent. L’état très fragmentaire de ce matériel et la présence de nombreuses fosses intrusives rendent toute évaluation quantitative et attribution stratigraphique précise particulièrement difficiles. Après une liste des abréviations (p. 166), on passe à la présentation du corpus retenu pour la publication (p. 166-178) et classifié selon la typologie élaborée par Paul Åström.1 La description des types et des sous-types, très méticuleuse, est enrichie de beaucoup de précisions sur leur distribution stratigraphique. Cependant, le choix d’intégrer les nombreux renvois bibliographiques dans le corps du texte—à la différence de la première section du volume—alourdit et ralentit la lecture. Un plus grand équilibre et une majeure cohérence dans la présentation globale du volume auraient pu être obtenus en harmonisant cet aspect des études présentées, plutôt sur le modèle de la première. La présentation de la céramique chypriote se termine par des observations générales et quatre histogrammes de sa distribution (p. 181). Le catalogue se compose d’une série de tableaux (p. 189-234) résumant les données stratigraphiques et les caractéristiques du matériel—avec un choix de photos en noir et blanc—et de sept planches de dessins (p. 182-188) qui illustrent une sélection des exemplaires figurant dans les tableaux. Le volume se conclut par une bibliographie générale et une liste des illustrations.
La richesse et la variété du matériel attesté à Tell Kazel au Bronze récent fait de ce site une exception assez rare dans le Levant et une référence précieuse pour la culture matérielle de cette période. Le corpus céramique publié dans les deux études, menées de manière systématique et soigneusement présentées, reflète bien la situation du site, au centre d’un réseau d’influences multiples. La grande quantité de vases provenant de la phase K1, correspondant à la transition entre la fin de l’Âge du Bronze et le début de l’Âge du Fer, montre que toute dynamicité commerciale et culturelle n’est pas éteinte dans cette période « obscure ». Si l’importance de la composante d’origine chypriote tend à décliner en correspondances des invasions des « Peuples de la Mer », la production locale va être animée par de nouvelles catégories céramiques, alors que d’un côté des héritages du Bronze moyen persistent, et de l’autre se développent des traits préfigurant le Fer I. Continuité et innovation se côtoient …
On ne peut que féliciter les auteurs pour leur présentation avisée des problématiques inhérentes à l’étude du corpus. La manière dont ils nuancent leurs propos dans la présentation des types céramiques ne nuit en rien à sa clarté et répond au mieux au « souhait de rendre compte de la souplesse ou élasticité des traditions céramiques » (p. 53).
On regrette seulement l’absence de quelques plans topographiques plus détaillés des secteurs où le matériel du Bronze récent a été trouvé, et peut-être, dans un souci de clarté, un tableau de correspondances pour les individus céramiques du corpus chypriote dont la présentation dans le premier catalogue est doublée par celle de Barbara Vitale dans la deuxième section.
Dans le contexte malheureux que traverse la Syrie depuis 2011 et qui a inévitablement affecté toutes les missions archéologiques travaillant sur son territoire, on ne peut que terminer en soulignant la valeur d’une telle publication, qui s’inscrit dans l’important effort de ne pas abandonner les recherches sur le patrimoine archéologique syrien.
Notes
1. Paul Åström, 1972: The Swedish Cyprus Expedition. IV 1C, The Late Cypriot Bronze Age. Architecture and Pottery, Lund.