Ce nouveau recueil épigraphique, qui se présente explicitement comme une « anthologie » d’inscriptions grecques antiques, a été élaboré sous la direction des éditrices Claudia Antonetti et Stefania de Vido (de l’Université Ca’ Foscari de Venise), mais est en réalité le fruit d’un travail collectif auquel ont collaboré de nombreux auteurs. Pas moins de 50 auteurs différents ont ainsi été mis à contribution pour réaliser chacun l’édition et le commentaire d’une ou quelques inscriptions présentées dans le volume.
L’ouvrage rassemble au total 72 inscriptions provenant de l’ensemble du monde grec, réparties sur une vaste période chronologique (du VIII e au II e siècle av. J.-C.). De façon assumée, le recueil ne propose ni unité thématique, ni logique géographique : en cela, le livre constitue bien une « anthologie », ou plutôt un « choix » non restreint de textes épigraphiques de tout type et de tout horizon.
Après une très brève introduction présentant le sujet du livre et les buts recherchés, le cœur de l’ouvrage suit une progression chronologique stricte : les inscriptions y figurent les unes à la suite des autres en fonction de leur datation, et sont seulement regroupées dans trois grandes sections reprenant la périodisation canonique de l’histoire grecque (« l’arcaismo » n o 1-17, « l’età classica » n o 18-50, et « il mondo ellenistico » n o 51-72). Le recueil est complété par deux brefs indices, l’un des noms et choses remarquables, l’autre des noms géographiques et ethniques, ainsi que par une table des concordances avec les principaux recueils épigraphiques.
L’introduction (p. 11-14) présente clairement les principes ayant présidé à la réalisation de ce projet, ainsi que ses objectifs. Les éditrices ont souhaité se placer dans une perspective avant tout didactique et élaborer un recueil qui offre aux étudiants un accès aisé aux sources épigraphiques, notamment en proposant systématiquement une traduction des textes en italien. Il s’agit également de présenter un aperçu de la variété des inscriptions grecques, y compris de celles plus modestes mais qui peuvent renseigner sur tel ou tel aspect de la vie culturelle, économique, religieuse, etc. : l’ouvrage refuse donc de suivre le modèle traditionnel des Greek historical inscriptions ou encore des Iscrizioni Storiche Greche qui se concentraient essentiellement sur les institutions et les grands événements de l’histoire politique ou militaire de l’Antiquité grecque. L’ensemble de l’ouvrage se revendique ainsi comme « uno strumento di studio e di ricerca che mancava nel panorama editoriale italiano ».
Le cœur de l’ouvrage est constitué de 72 inscriptions grecques qui sont présentées selon les standards habituels des corpus épigraphiques avec description, lemme génétique, texte grec, traduction italienne, notes critiques et qui offrent un bref commentaire suivi d’une bibliographie sélective. À de très rares exceptions près, la reproduction des textes grecs est satisfaisante, tout comme la justesse et la clarté des traductions italiennes. Dans l’ensemble, la présentation des textes grecs est ainsi rigoureuse et conforme aux exigences des publications épigraphiques modernes, et la bibliographie est généralement à jour.
Les commentaires qui accompagnent chaque texte présentent en revanche une grande disparité et une grande hétérogénéité dans plusieurs domaines. Ce manque d’unité criant pose plusieurs problèmes, qui peuvent être source de frustration pour le lecteur.
1 o) Le premier élément regrettable pour l’ensemble de l’ouvrage réside dans le fait que qualité et la pertinence des commentaires proposés s’avèrent très variables d’une inscription à l’autre.
Une majorité d’entre eux propose un aperçu globalement satisfaisant des principaux enjeux soulevés par les textes. Ces présentations, nécessairement synthétiques, pourront aisément être approfondies grâce aux indications bibliographiques figurant en fin de commentaire, qui pourront guider les étudiants comme les chercheurs vers des études et analyses plus poussées.
En revanche, on s’étonne de trouver dans un nombre non négligeable de commentaires plusieurs défauts de méthode élémentaire : quelques-uns ne prennent pas la peine de mettre en évidence les différentes parties des inscriptions ni leur composition générale, ce qui est pourtant capital pour bien saisir la logique de rédaction de textes développés comme des décrets, des lois ou des traités d’alliance. Il manque aussi parfois des définitions ou des rappels basiques de certaines réalités antiques : ces éléments ne sont pas nécessairement connus des étudiants débutants en épigraphie, qui de l’aveu même des éditrices constituent la cible privilégiée de ce recueil (par ex., le commentaire à l’imprécation sur plomb de Sélinonte n o 18 n’explique à aucun moment en quoi consiste la pratique magique de la defixio; le n o 47, monument chorégique de Lysicrate, ne dit pas un mot du mode de fonctionnement institutionnel de la liturgie de la chorégie à Athènes). D’autres encore négligent de resituer les textes dans leur contexte historique propre, souvent nécessaire pour comprendre correctement ces documents (le commentaire au n o 27, décret athénien sur les poids et les monnaies, ne dit pas un mot de l’impérialisme athénien et de ses modalités au V e siècle), un défaut qui là encore risque de laisser des étudiants dans l’obscurité.
Sur le fond, certains commentaires ressemblent parfois plus à une fiche bibliographique, se contentant de compiler les opinions des commentateurs précédents (sans toujours les hiérarchiser) qu’à une explication à proprement parler (c’est en particulier le cas pour un certain nombre d’inscriptions de l’époque archaïque). D’autres commentaires éclairent assez peu (voire très peu) les documents proposés, soit parce qu’ils sont beaucoup trop courts (par ex. n o 35, lamelle orphique d’Hippone ; n o 49, décret pour les exilés de Mytilène ; n o 52, lettre d’Antigone à Scepsis, qui occupent à peine une demi-page), soit parce qu’ils négligent de rendre compte de parties entières du texte, en passant ainsi sous silence des enjeux pourtant majeurs de l’inscription (par ex. n o 43, récit de guérison par Asklépios, qui parle à peine du contenu précis de l’inscription ; n o 56, stèle des fondateurs de Cyrène, qui ne commente pas du tout les termes et les modalités du serment des colons de Théra ; n o 57, décret de Thémistocle, dont le commentaire porte presque exclusivement sur son authenticité et laisse de côté le sens de nombreuses mesures prises par ce décret, etc.).
À l’inverse, le recueil propose heureusement des commentaires qui sont très réussis, et offrent parfois des modèles d’analyse historique (par ex. les n o 11, 13, 24, 25, 26, 38, 60, 64, 65, particulièrement remarquables). Ces contributions correspondent tout à fait aux standards attendus de l’exercice et s’avèreront très précieux aussi bien aux étudiants qu’aux chercheurs.
Cette hétérogénéité frappante est manifestement due au grand nombre de contributeurs du recueil (50 !), dont certains sont déjà des chercheurs chevronnés alors que d’autres, de l’aveu des éditrices, étaient encore peu expérimentés en épigraphie grecque : cette disparité se ressent (trop) clairement à la lecture. L’ouvrage aurait sans doute beaucoup gagné en cohérence et en pertinence si le nombre des contributeurs avait été moins important, ou si les commentaires avaient suivi des lignes directrices globalement identiques d’un auteur à l’autre.
2 o) Un autre point problématique vient du choix, annoncé et assumé par les éditrices (p. 13), d’accorder une place prépondérante aux commentaires d’ordre philologique et linguistique. Ainsi le contenu de certains commentaires est presque exclusivement consacré à des points de morphologie, de syntaxe ou de composition (le cas est particulièrement marqué dans les inscriptions de l’époque archaïque, comme dans les n os 1-3, 5, ou 16), au détriment manifeste de la mise en contexte et de l’analyse plus proprement historiques (par ex. le n o 39, épigramme commémorant la victoire de thébaine à Leuctres, dont le commentaire se consacre exclusivement à des questions littéraires, sans rappeler—même brièvement—la place et le sens de cette bataille dans l’histoire du IV e siècle). Là encore, il aurait peut-être été préférable de réduire le nombre d’inscriptions proposées, afin d’en proposer des commentaires plus consistants, aussi bien du point de vue philologique que du point de vue historique.
3 o) Une autre remarque concerne le choix des textes retenus dans le recueil. Un assez grand nombre d’entre eux figure déjà dans des recueils d’inscriptions grecques bien connus et largement utilisés comme ceux de Tod, Meiggs-Lewis, Pouilloux, Van Effenterre-Ruzé, ou Bertrand. On peut s’interroger sur la nécessité ou de la pertinence de reproduire, encore une fois, des textes comme celui de la coupe de Nestor (n o 1), la dédicace de Nikandrè (n o 3), la dédicace de Gélon à Delphes (n o 79), le décret sur la fondation de Bréa (n o 23), le décret sur les poids et mesures d’Athènes (n o 27), la loi de Dracon sur l’homicide (n o 31), la lettre d’Antigone sur la liberté des cités grecques (n o 52), ou encore la stèle des fondateurs de Cyrène (n o 56) ou le décret de Thémistocle (n o 57). Il s’agit là de documents extrêmement connus, maintes et maintes fois commentés et que les étudiants en histoire ont en général déjà rencontrés et étudiés dans leurs manuels ou leurs cours dès leurs premières années à l’Université. À plus forte raison, la réédition de ces textes ne présentera qu’un intérêt limité pour les chercheurs en histoire ancienne. Malgré tout, à côté de ces « classiques » vus et revus, le recueil propose aussi des inscriptions moins connues, qui permettent ainsi des commentaires plus novateurs, et qui sont souvent les plus réussis (par ex. n o 38, loi sur la taxation du grain, publié pour la première fois en 1998 : n o 64, décret de proxénie de Thespies ; n o 68, dédicace à Flamininus, etc.). Dans ce domaine encore, on ne peut que constater l’hétérogénéité des choix éditoriaux dont on peine à saisir la cohérence de fond.
4 o) Enfin, le lecteur pourra être surpris par le déséquilibre dans l’architecture générale du recueil entre les trois périodes retenues. Alors que l’anthologie prétend embrasser une vaste période chronologique, de ca 750 à 31 av. J.-C., l’époque hellénistique fait clairement figure de parent pauvre de l’ouvrage. Ainsi, ce n’est qu’à partir du n o 58 (sur 72) que l’on commence à trouver des inscriptions sûrement datables du III e siècle ; les inscriptions du II e siècle ne sont qu’au nombre de 4 (n o 68 à 72), et le I er siècle av. J.-C. est tout simplement absent du corpus, contrairement à ce qu’annonce l’introduction (p. 12). C’est laisser fort peu de place à une période aussi riche et intéressante que l’est l’époque hellénistique, pendant laquelle les textes épigraphiques de toute nature foisonnent, dans un espace géographique plus étendu qu’aux périodes précédentes.
On l’aura compris, le manque d’unité de l’ouvrage et les disparités parfois importantes dans la qualité des commentaires proposés (avec, heureusement, d’excellentes contributions) risquent ainsi d’être des facteurs de frustration pour les chercheurs. Il est ainsi difficile d’émettre un avis d’ensemble sur cette anthologie où se mélangent des analyses trop rapides et de très bons commentaires, sans que l’on puisse savoir à l’avance sur quel cas de figure on va tomber. Il reviendra à chaque lecteur, suivant son degré de familiarité avec l’épigraphie grecque, de séparer pour lui-même le bon grain de l’ivraie.
Malgré ces réserves, la publication à l’heure actuelle d’un recueil d’inscriptions grecques traduites et commentées doit toujours être accueillie comme une bonne nouvelle pour la défense et la sauvegarde des études classiques. On saura donc gré aux éditrices et aux contributeurs d’avoir consacré leurs efforts à l’accomplissement de ce but, notamment en ayant voulu rendre l’épigraphie grecque accessible à un plus grand nombre. Le mérite majeur de cette anthologie réside bien dans la qualité des traductions italiennes des textes : les enseignants pourront y trouver des idées de documents à étudier en cours, mais l’ouvrage sera avant tout profitable aux étudiants italiens et italophones qui ne lisent pas ou peu le grec ancien et qui auront désormais un accès facilité à l’étude de ces sources anciennes.