[Authors and titles are listed below.]
Issu du colloque international “Greek Art in Context” tenu à l’université d’Edinburgh en avril 2014, l’ouvrage rassemble 16 contributions sélectionnées parmi les plus de 55 communications et posters présentés lors de la conférence. Celles-ci sont distribuées dans les quatre parties qui structurent le livre : “Location and the find-spot” ; “Experiencing material culture” ; “Historical and artistic contexts” ; “Re-contextualization”. Comme le souligne Diana Rodríguez Pérez, ce livre a pour but de présenter les courants actuels de la recherche en archéologie et en histoire de l’art et ne se veut pas exhaustif. Il s’agit essentiellement d’introduire le lecteur au vaste sujet que constitue le contexte dans l’étude de l’histoire de l’art grec, en particulier en ce qui concerne la sculpture et la peinture de vases depuis l’époque archaïque jusqu’à la fin de l’époque classique (p.1-7L’objectif de ce compte-rendu n’est pas de détailler chacune des contributions présentées dans cet ouvrage mais de mettre en avant certaines idées intéressantes qui se dégagent de cette lecture.
Une mise au point méthodologique est proposée par Wilfred van de Put (p. 73-80) qui souligne les limites de l’approche herméneutique dans l’analyse iconographique. Que l’étude concerne la sculpture ou la peinture de vases, prendre en considération le contexte, avec toutes les difficultés que cela implique, demande une prise de recul considérable en regard des sources à notre disposition, notamment les sources littéraires confrontées au matériel archéologique. N’oublions pas qu’un texte, tout comme une image, est le fruit d’une création intellectuelle qui répond à un besoin, un but précis, et qui est tout aussi dépendant que l’image d’un contexte (social, intellectuel, politique…) qui n’est pas nécessairement le même que celui de l’œuvre d’art étudiée, comme le montre Matteo Zaccarini (p. 132-141). L’auteur souligne à quel point l’interprétation d’un monument ou d’une statue (ou d’un ensemble de statues) peut être influencé par la lecture que l’on a fait des sources littéraires, surtout lorsque celles-ci ne sont pas contemporaines des sources visuelles. Ainsi, à propos de la Stoa des Hermès, “bâtiment-fantôme” qui nous est seulement connu par les sources littéraires, l’interprétation générale a- t-elle souvent été modelée sur le témoignage de Plutarque centré sur la figure de Cimon. Ce qui a mené certains spécialistes à exagérer l’implication du stratège dans la dédicace des trois Hermès qui ont donné leur nom au portique.
Il en va de même pour l’article de Samantha Masters et Alexander Andrason (p. 156-167) qui traite des soi-disant figurations d’Hélène et Paris sur les vases athéniens de la fin du 5 e siècle av. J.-C. Interprétation déterminée par Lilly Ghali-Kahil en 1955, ( Les enlèvements et le retour d’Hélène dans les textes et les documents figurés), et qui repose presqu’uniquement sur la popularité ( topos) de l’enlèvement ou persuasion d’Hélène dans la littérature antique. Les auteurs montrent à quel point ce modèle interprétatif est problématique, principalement parce qu’Hélène et Paris sont les anti-modèles de l’idéal marital de l’Athènes du 5 e siècle av. J.-C. Ce type iconographique—une scène de séduction idéalisée entre un jeune homme et une femme— remis dans le contexte moral et social de la seconde moitié de son siècle—prend alors un tout autre sens, et montre que l’interprétation mythologique n’est plus soutenable. Tout comme le démontre Marion Meyer (p.119-131) à propos de la scène figurée sur le fronton Ouest du Parthénon dont l’interprétation peut, dans une certaine mesure, s’affranchir des sources littéraires (la plupart postérieures). Ici transparaît une autre question fondamentale, déjà plusieurs fois abordée dans d’autres ouvrages, du rapport des images au texte mais aussi des textes aux images : un texte a-t-il nécessairement une influence sur la signification d’une image et à l’inverse, une image (comme le suggère Marion Meyer) peut-elle avoir une influence sur la création d’un texte ?
L’intérêt de cet ouvrage va, bien sûr, au-delà des questions d’ordre méthodologiques. Les approches qui y sont abordées sont stimulantes et donnent un aperçu des nombreuses possibilités d’interprétation offertes par l’étude du contexte selon la définition qu’on lui donne. Le contexte, d’un point de vue strictement archéologique, c’est le lieu de découverte. Celui-ci n’est pas forcément l’emplacement originel de l’objet qui a pu être déplacé ou réemployé, conséquence de remaniements ou de destructions nous amenant à explorer le concept d’une “stratification” du contexte—contexte primaire, secondaire, etc.- (Sheila Dillon et Tim Shea, p. 19-29; Frank Hildebrandt, p. 168-182) ou encore de “micro-contexte” (Elizabeth P. Baltes). De même, le lieu de présentation d’une statue (ou d’un groupe sculpté), en dit long sur la signification symbolique de celle-ci. Signification qui peut être manipulée au besoin en déplaçant ou en remplaçant certaines sculptures— comme le souligne Elizabeth P. Baltes (p.30-41) à propos des portraits sculptés qui ornaient l’Agora d’Athènes, déplacés après les remaniements architecturaux à l’époque d’Auguste. De même, la reconstitution, à taille réelle, du Parthénon (Nashville) et plus particulièrement de la frise ionique de celui-ci (sujette à de nombreux débats quant à sa visibilité), a permis de souligner l’importance du contexte spatial et sensoriel lors de l’observation d’une image (Bonna D. Wescoat et Rebecca Levitan, p. 57-72). Ici, l’expérience cognitive du spectateur a pu être utilisée de manière pertinente, car l’étude a été menée sur un échantillon de volontaires qui ont répondu à un questionnaire détaillé spécifiquement élaboré pour cette expérimentation, mettant en avant le rôle essentiel de la couleur dans la présentation des reliefs sculptés.
L’idée du contexte cognitif ou psycho-physiologique n’en reste pas moins problématique. Cette approche est développée dans l’article de Katerina Volioti (p. 81-96) pour expliquer la popularité des scènes répétitives (et de mauvaise qualité) figurées sur les vases à figure noire tardive typiques des productions de l’atelier du Peintre de Haimon (ca.500-450 av. J.-C.). L’argument principal suggère que ces scènes auraient gagné le marché de la céramique dans la première moitié du 5 e siècle av. J.-C. par « la force de l’habitude », par une accoutumance créant un sentiment de familiarité et de sécurité auprès de la clientèle (hypothèse formulée à partir de la théorie de la “fluence du traitement”— “processing fluency”— utilisée en psychologie cognitive pour évaluer la facilité ou la difficulté avec laquelle une tâche cognitive est effectuée – p. 85-90). L’auteur invoque même une « marketing strategy » de la part des potiers. Bien que cette approche soulève des questions intéressantes concernant les habitudes de consommation des Grecs anciens (pourquoi tel vase et non tel autre?) et du rapport aux images, elle reste néanmoins très conjecturale et souligne la limite et la faiblesse des arguments d’ordre psychologiques et cognitifs, dans l’étude de l’art antique.
Un des points intéressant du livre, abordé sous différents angles, est le contexte social. Que nous dit l’œuvre peinte ou sculptée mise en lien avec l’ensemble des individus qui participent à la production et à la consommation d’un bien artistique ? Cette hypothèse est explorée par Helle Hochscheid (p.142-155) à propos de la chaîne de production d’une sculpture (stèle ou statue), depuis l’extraction du marbre, jusqu’au polissage, peinture et érection de l’œuvre. Le contexte de création de l’œuvre donne des renseignements sur le fonctionnement et la répercussion économique d’une telle réalisation : autrement dit, pour qui ? pourquoi ? combien de temps et d’argent ? L’argument principal de l’auteur s’appuie sur le fait que la réalisation d’une sculpture implique la participation d’un groupe d’individus qui forment ce qu’elle nomme “the art world of Classical Athens” (inspiré par la théorie d’Howard Becker, développée dans les années 1980 : soit l’ensemble des personnes qui contribuent par leur travail, en tant que groupe, à la production et à la distribution des œuvres d’art-p.142-143- 1). Tout comme le sens symbolique d’une image peinte sur un vase peut être déduit en prenant en compte à la fois le contexte social et politique de celle-ci mais aussi l’usage concret que l’on a fait de ce vase (qui ? comment ? dans quelles circonstances?). C’est l’exemple donné par l’étude du vase d’Eurymedon proposée par Lloyd Llewellyn-Jones (p. 97-115). Dans le même ordre d’esprit, Frank Hildebrandt (p. 168-182) souligne que le contexte de découverte d’un objet archéologique n’est pas toujours indispensable pour analyser la portée symbolique d’un groupe de scènes figurées et peut être l’occasion d’explorer d’autres types de contextes et de méthodologies. L’auteur prend pour exemple un ensemble de vases apuliens à figures rouges conservés au Museum für Kunst und Gewerbe d’Hamburg, tous attribués au Peintre de Darius. Ici l’analyse iconographique dévoile certains traits de personnalité propres au Peintre de Darius et à sa clientèle, en accord avec les développements sociaux et politiques de la seconde moitié du 4 e siècle av. J.-C. De même, une image ou un vase se trouve doté de significations et de fonctions très différentes selon le milieu ethnique dans lequel il est utilisé. Ainsi, le goût pour la poterie attique en Espagne au 4 e s. av. J.-C. est-il avant tout une question de prestige (Carmen Sánchez Fernández, p.185-197), lié principalement aux pratiques funéraires. De la même manière les amphores panathénaïques découvertes dans les tombes d’Italie du Sud dès la fin de l’époque archaïque, n’ont pas grand-chose à voir (fonction et iconographie) avec le prix décerné pour une victoire aux jeux Panathénaïques à Athènes (Stine Schierup, p. 198-210).
Enfin, que fait-on en l’absence d’un contexte de trouvaille ? Ce qui est par exemple le cas pour une part importante d’objets qui se trouvent dans nos musées, souvent issus des pillages ou des fouilles illégales des 18 et 19 e siècles. Ces objets sont-ils pour autant sans intérêt ? En retraçant l’histoire de la collection Kent de vases grecs et chypriotes du musée d’Harrogate, Sally Waite (p. 223-238) souligne l’importance du contexte de conservation d’un objet. L’histoire de l’objet, passé aux mains de différents collectionneurs, nous en apprend beaucoup sur le rapport de ces collectionneurs à l’antiquité et sur leurs motivations, sur ce qui a fait qu’un objet plus qu’un autre a pu parvenir jusqu’à nous et se trouve dans les vitrines ou les réserves de nos musées.
Cet ouvrage est une invitation à la réflexion et à la remise en question de nos méthodes de travail dans l’interprétation des représentations figurées en histoire de l’art et en archéologie. C’est une lecture stimulante sous bien des aspects, qui ouvre des perspectives de travail multiples et nous force, en tant qu’historiens de l’art, à sortir de notre zone de confort pour explorer d’autres méthodologies, d’autres points de vues, inspirés par les autres disciplines des sciences humaines.
Authors and titles
Introductory Notes: Contextualizing Context. Diana Rodríguez Pérez
Part One – Location and the Find-spot
Statues as Artifacts: Towards an Archaeology of Greek Sculpture. Sheila Dillon and Tim Shea
Itinerant Statues? The Portrait Landscape of the Athenian Agora. Elizabeth Baltes
New Perspectives in the Study of Pottery Assemblages from Settlements and their Cemeteries in Central Macedonia during the Archaic Period. Eleni Manakidou
Part Two – Experiencing Material Culture
Seeing the Parthenon Frieze: Notes from Nashville. Rebecca Levitan and Bonna Wescoat
Lost in Translation? Theoretical Implications of Considering Iconography in Context. Winfred van de Put
Volitional Reconsumption: Repetitive Vase Scenes in a Psychophysiological Context. Katerina Volioti
Reviewing Space, Context and Meaning: The Eurymedon Vase Again. Lloyd Llewellyn-Jones
Part Three – Historical and Artistic Contexts
Context of Contest: Athena, Poseidon and the Martyria in the West Pediment of the Parthenon. Marion Meyer
The Stoa of the Herms in Context: (Re)shaping Paradigms. Matteo Zaccarini
Not quite Pheidias. Status and Labour Specialisation in Athenian Sculpture. Helle Hochscheid
(Un)identifying Helen and Paris in Late Fifth Century BCA Athenian Vase Painting: How Context is Crucial. Samantha Masters and Alexander Andrason
Is there a Context Behind the Context? A Group of Apulian Red-Figure Vases in the Museum für Kunst und Gewerbe Hamburg. Frank Hildebrandt
Part Four – Re-contextualization
Contexts of Use of Fourth Century Attic Pottery in the Iberian Peninsula. Carmen Sánchez Fernández
The Reception of an Attic Prize Vessel. On the Import and Local Production of Amphorae of Panathenaic Shape in Southern Italy. Stine Schierup
Greek Images and Local Identities in Lycia: The Case of the Heroon from Trysa. Alice Landskron
Ancient Art in a Museum Context: The Kent Collection of Greek and Cypriot Pottery in Harrogate. Sally Waite
Notes
1. Becker, Howard. Art Worlds. 25th anniversary ed., updated and expanded, Berkeley: California University Press. 2008 (c. 1982).