BMCR 2018.10.30

The Inland Seas: Towards an Ecohistory of the Mediterranean and the Black Sea. Geographica historica, 35

, , The Inland Seas: Towards an Ecohistory of the Mediterranean and the Black Sea. Geographica historica, 35. Stuttgart: Franz Steiner Verlag, 2016. 419. ISBN 9783515114394. €64.00 (pb).

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Tønnes Bekker-Nielsen et Ruthy Gertwagen nous proposent un volume riche dont l’ambition est d’étudier l’impact de l’action humaine sur l’environnement au fil du temps au sein d’une grande Méditerranée. Pour ce faire, ils proposent de se tourner vers l’écohistoire, interface entre l’histoire environnementale et les sciences sociales s’occupant des actions humaines. Selon eux, l’emploi de cette interface aboutit non seulement à la compréhension des contextes environnementaux des communautés humaines, mais parfois également – dans la mesure des sources disponibles – à la compréhension de la perception de ces contextes, par exemple les notions de prestiges et de tabous qui font que les individus exploitent ou choisissent de ne pas exploiter telle ou telle ressource (p. 17). Le pari est ambitieux, et c’est pourquoi Tønnes Bekker-Nielsen et Ruthy Gertwagen ont choisi le titre Towards an Ecohistory of the Mediterranean et non pas simplement An Ecohistory (p. 18).

Après une introduction explicitant utilement le titre et donc les ambitions de l’ouvrage (p. 15-22) se succèdent quinze contributions, dont l’ordre est globalement chronologique. La première contribution (A. Morales-Muñiz et E. Roselló- Izquierdo, p. 23-56) concerne la préhistoire et pose d’emblée les difficultés liées aux données ichtyologiques et surtout leur conservation et leur traitement pendant les fouilles. La contribution suivante (D. Mylona, p. 57-84) part également de la préhistoire, mais dans une perspective diachronique, pour comparer, avec les périodes du Bronze et de l’Antiquité classique, les manières dont les populations de l’Égée interagissent avec les ressources marines disponibles et construisent un ensemble de pratiques, de choix, de préférences non directement liées à la disponibilité de celles-ci (p. 58). Dans les deux cas, les auteurs sont particulièrement attentifs aux méthodologies de collecte, de croisement et d’interprétation des données. Ils soulignent que les théories, telle celle qui veut que lorsque les technologies de pêche augmentent, les espèces pêchées se diversifient (p. 36) ou celle affirmant que les communautés du Mésolithique ont choisi l’agriculture faute de savoir exploiter les ressources marines (p. 65), sont à revoir au vu de la progression de la quantité de données et de leur analyse.

Les sept contributions suivantes concernent davantage l’Antiquité. Grâce aux sources, elles permettent d’aborder des thématiques plus variées : les ports, la pêche, les produits fabriqués à partir de cette pêche, l’exploitation de la pourpre, l’artisanat lié à l’ensemble de ces activités, et le commerce qui en découle. C. Morhange, N. Marriner et N. Carayon, montrent le potentiel des études pluridisciplinaires et multiscalaires des ports méditerranéens anciens à partir de nombreux exemples dans toute la Méditerranée (p. 85-106). Il s’agit d’une approche différente permettant d’évaluer l’impact humain sur la Méditerranée via l’implantation, l’organisation et l’évolution des structures portuaires, à partir de leur histoire sédimentaire croisée avec d’autres données, archéologiques et historiques. E. Lytle (p. 107-135) pose la question du rapport homme-Méditerranée à partir d’une interrogation différente, celle de l’accès et du partage des eaux méditerranéennes : si la mer est longtemps conçue comme commune, les sources grecques et romaines révèlent également des lois, en particulier concernant des ports, des systèmes de taxes et de contrôle des pêches et des ventes de poisson, essentiellement le thon, mais également des litiges et des coutumes, impliquant notamment des individus de rang social différent, comme les propriétaires d’industrie ou de domaines côtiers et les simples pêcheurs. Comme dans les premières contributions, l’auteur remet en perspective des notions, souvent modernes et peu adaptées, comme celle des eaux territoriales. Il entre également en résonnance avec les dernières contributions qui abordent des questions similaires (propriété et usage de la mer) à des époques plus tardives.

Les cinq contributions suivantes abordent les questions de production, en commençant par la pourpre (C. Alfaro Giner, p. 137-157), et les produits à base de poisson (R. I. Curtis, p. 159-186). Ces contributions réunissent des sources diverses, textuelles comme archéologiques et posent des questions pratiques et techniques : comment concrètement s’organisait la production (transport, conservation, stockage) ? Quels étaient les techniques ? Les usages (teinture, médecine, gastronomie) ? Puis, D. Bernal-Casasola (p. 187-214) propose une synthèse efficace des avancées et des initiatives scientifiques en Méditerranée sur ces thématiques, ainsi que des difficultés majeures de ce type de travaux, en particulier la publication des données, les corpus encore en voie de constitution et la mise en commun des résultats. B. J. Lowe (p. 215-235) et E. Botte (p. 237-253) analysent ensuite ces mêmes productions de poisson à partir d’un matériel différent, essentiellement archéologique. Le premier privilégie une approche large, comprenant l’étude des acteurs, notamment via l’épigraphie, mais également celle des cargaisons des bateaux, alors que le second propose une étude plus régionale sur l’Italie et la Sicile, un état des lieux des connaissances des sites et du mobilier archéologique lié, ainsi que des perspectives, comme la nécessité d’une étude plus approfondie des conteneurs.

Viennent ensuite des recherches diachroniques, une sur les techniques traditionnelles de la pêche au thon, les suivantes sur une région particulière, la mer Noire puis le Bas-Danube. E. García-Vargas (p. 255-286), en premier lieu, montre que la pêche à la madrague développée sans doute depuis l’Antiquité, est en fait un système, aux aspects environnementaux (la connaissance de l’environnement et de l’espèce convoitée), culturels (l’aspect de prestige lié à ce type de pêche par exemple) et sociaux (l’organisation des pêcheurs, le lien avec les pouvoirs en place). L’auteur propose ainsi un long article portant sur l’ensemble de ces aspects, y compris l’évolution des techniques au cours du temps et selon les régions de Méditerranée. T. Bekker-Nielsen (p. 287-308) présente ensuite les questions d’exploitation des ressources marines en mer Noire, à partir de données datées entre le 6e siècle avant notre ère et le 9e siècle de notre ère. Il souligne les paradoxes de cette mer, entre les vestiges archéologiques au nord et les sources presque uniquement textuelles au sud, entre les nombreuses traces de production et les témoins peu nombreux du transport et du commerce de ces dernières. Il conclut sa présentation en proposant des pistes pour étudier ce qui est un cas exceptionnel, une mer presque fermée et un écosystème en soi. En dernier lieu, C. Ardeleanu présente les activités de pêche dans la région du Bas Danube, en partant de la Préhistoire jusqu’au début du 20e siècle. Son approche est originale, puisqu’elle inclut également les langues et les termes liées aux poissons et à la pêche à différentes époques. Une telle perspective diachronique montre bien la richesse des données mais également le fait qu’on n’étudie pas les mêmes problématiques, chaque époque fournissant des données bien différentes. Sa conclusion porte tout de même sur l’importance de la pêche qui ne s’est jamais démentie dans cette zone, en témoignent par exemple les profits qu’en ont tirés les pouvoirs centraux successifs.

Les deux contributions suivantes s’attachent à des périodes plus récentes, en Méditerranée orientale (R. Gertwagen, p. 41- 368) et en Dalmatie (S. F. Fabijanec, p. 369-386). Les auteurs ont accès à des données différentes, plus précises encore, notamment sur les volumes exportés de poisson (p. 381-383). Dans les deux contributions, des données de ce type sont habilement convoquées avec les données ichtyologiques, mais aussi humaines (les légendes attachées à certaines espèces relatées par les géographes arabes, les jeux de pouvoir entre les pêcheurs, les élites dalmates et le Sénat de Venise…) pour esquisser un tableau complet des relations homme-milieu dans les deux régions choisies.

La dernière contribution (F. Boero, p. 387-398) est conclusive, bien que l’on aurait également apprécié une conclusion synthétique des travaux précédents. Les résultats foisonnants ne l’ont sans doute pas permis. En conséquence, F. Boero, avec des données récentes, montre bien comment l’écohistoire s’inscrit dans une démarche sur cette longue durée chère à Braudel, destinée à évaluer l’impact humain sur son environnement, en l’occurrence méditerranéen, mais aussi à fournir des scénarios possibles (et peu réjouissants) sur le futur, qu’il présente succinctement.

Le pari ambitieux du volume est finalement bien relevé. On pourrait peut-être regretter qu’en fait des ressources des mers Méditerranée et Noire, les différentes contributions se centrent surtout sur le poisson et la pêche. Cependant, on en comprend tout l’intérêt et la pertinence, sans compter qu’à plusieurs reprises ces mêmes contributions proposent d’autres voies et d’autres pistes de recherche. Les cinq index en fin d’ouvrage – personnes, lieux, sources, espèces, thématique –, mais également les riches bibliographies en fin de chaque contribution et les illustrations précises et de qualité, à la fois en noir et blanc et en couleur, renforcent encore la qualité de l’ouvrage. Finalement, l’ouvrage vient à la fois se poser comme synthèse des travaux thématiques ou régionaux déjà engagés et comme perspective pour les recherches à venir. Il trouve toute sa place dans le paysage scientifique actuel, démontrant une nouvelle fois l’intérêt et la nécessité des approches pluridisciplinaires.1

Authors and titles

Tønnes Bekker-Nielsen and Ruthy Gertwagen, Introduction, 15
Arturo Morales-Muñiz and Eufrasia Roselló-Izquierdo, Fishing in Mediterranean prehistory: an archaeo-ichthyological overview, 23
Dimitra Mylona, Fish and seafood consumption in the Aegean: variations on a theme, 57
Christophe Morhange, Nick Marriner and Nicolas Carayon, The eco-history of ancient Mediterranean harbours, 85
Ephraim Lytle, Status beyond law: ownership, access and the ancient Mediterranean, 107
Carmen Alfaro Giner, Purple in the ancient Mediterranean world: social demand and the exploitation of marine resources, 137
Robert I. Curtis, Ancient processed fish products, 159
Darío Bernal-Casasola, Garum in context: new times, same topics in the post-Ponsichian era, 187
Benedict J. Lowe, The trade in fish sauce and related products in the western Mediterranean, 215
Emmanuel Botte, Fish, craftsmen and trade in ancient Italy and Sicily, 237
Enrique García Vargas, Littoral landscapes and embedded economies: tuna fisheries as biocultural systems, 255
Tønnes Bekker-Nielsen, Ancient harvesting of marine resources from the Black Sea, 287
Constantin Ardeleanu, Fishing in the Lower Danube and its floodplain from the earliest times to the twentieth century, 309
Ruthy Gertwagen, Towards a Maritime Eco-history of the Byzantine and Medieval Eastern Mediterranean, 341
Sabine Florence Fabijanec, Fishing and the fish trade on the Dalmatian coast in the late Middle Ages, 369
Ferdinando Boero, Mediterranean Scenarios, 387

Notes

1. Pour un compte rendu en anglais, Adam Rabinowitz, in International Journal of Maritime History 30:3, August 2018, pp. 554-557, here.