Cet intéressant volume rassemble les articles provenant d’une rencontre à la Biblioteca Nazionale Marciana les 16-17 juin 2016, consacrée à l’histoire de l’astronomie ancienne et médiévale. Après l’avant-propos de Filippomaria Pontani, qui explique les buts de la rencontre et la composition du volume (pp. 7-9), on trouve deux articles consacrés à l’histoire des collections de la Biblioteca Marciana: Susy Marcon explique l’organisation de la collection des manuscrits astronomiques (“Astronomica. Le segnature dei manoscritti marciani”, pp. 11-39), et Elisabetta Sciarra s’intéresse aux anciens imprimés grecs et latins (“Astronomica Marciana. Astronomia greca e latina nel fondo antica a stampa della Biblioteca Nazionale Marciana”, pp. 41-49). L’importance des collections de la BNM justifie pleinement ces articles très érudits, particulièrement celui de Mme Marcon consacré aux manuscrits.
Les articles suivants concernent l’astronomie grecque ancienne: Jordi Pà mias (“Non-Eratosthenic Astral Myths in the Catasterisms“, pp. 51-60) examine des mythes astraux parallèles à ceux d’Eratosthène et montre leur signification philosophique (pythagoricienne) ou religieuse; Klaus Geus et Irina Tupikova (“Astronomy and Geography : Some Unexplored Connections in Ptolemy”, pp. 61-73) examinent la méthode utilisée par les géographes pour estimer une distance terrestre (observer deux étoiles distantes d’1° à leur zénith ou observer une étoile distante d’1° du point zénithal) et analysent une scolie ancienne sur ce sujet.
La période byzantine est représentée par un seul article d’Anne Weddigen (“L’astronomie dans les Harmonica de Manuel Bryenne”, pp. 75-96), consacré à l’harmonie des sphères et aux diagrammes astronomiques dans le traité de Manuel Bryennios (ca. 1303). Etant donné l’importance des manuscrits qui contiennent des traités astronomiques byzantins à la Marciana, on peut regretter que le colloque ait laissé si peu de place à l’astronomie byzantine. L’article de Mme Weddigen expose les contradictions de Manuel Bryennios en ce qui concerne l’harmonie des sphères. Les auteurs anciens et byzantins hésitaient entre deux systèmes. Le principe de base étant que l’astre le plus rapide produit le son le plus aigu, les uns prenaient en compte le mouvement propre de chaque planète (en sens direct, soit en sens contraire des aiguilles d’une montre), les autres la rotation diurne de la sphère céleste de 360° en 24h (en sens rétrograde, soit dans le sens des aiguilles d’une montre). Dans le premier cas, Saturne est la planète la plus lente (360° en 30 ans à peu près) et correspond à la note la plus grave (hypate), la Lune la plus rapide (360° en 27,32 jours) et correspond à la note la plus aiguë (nète). Dans le second cas, la circonférence à parcourir en 24h est beaucoup plus longue pour Saturne que pour la Lune : l’échelle est alors inversée, Saturne est la plus rapide et correspond à la nète, la Lune est la plus lente et correspond à l’hypate. Les diagrammes reflètent cette dualité, que l’on retrouve aussi chez Georges Pachymère. Il faut corriger quelques erreurs dans l’exposé notamment, p. 82 : « la position du soleil sur l’écliptique qui se mesure en fonction des constellations du zodiaque » (ceci définit la longitude sidérale alors qu’il s’agit de la longitude tropique); « en l’espace d’un an, il [le Soleil] parcourt donc 360 degrés en 365 jours » (corriger en 365 jours ¼); la Lune et Saturne qui se trouvent « plus à l’ouest » par suite de leur mouvement propre journalier, et quelques lignes plus loin, « chaque jour un peu plus à l’orient du jour précédent » … L’auteur s’embrouille un peu dans ses explications!
Le volume entraîne ensuite le lecteur dans les textes latins de l’Occident médiéval. Fabio Guidetti (“Texts and Illustrations in Venice, Biblioteca Nazionale Marciana, ms. Lat. VIII 22 (2760), pp. 97-125) étudie les représentations des constellations qui figurent dans un catalogue d’étoiles ( De signis caeli du Pseudo-Bède), issues de la tradition des Phénomènes d’Aratos. Il est très intéressant de voir les variations introduites par le copiste du manuscrit de Venise comme par exemple la constellation Draco représentée habituellement par un serpent qui devient ici un véritable dragon crachant des flammes. A propos de l’illustration de la p. 99, montrant un moine mesurant les heures de la nuit, l’auteur parle d’un diagramme circulaire montrant les solstices et les équinoxes (p. 98): comment cette roue dentée pourrait-elle montrer les solstices et les équinoxes? Ne s’agit-il pas plutôt des douze mois de l’année? L’article d’Anna Santoni, De signis coeli and De ordine ac positione stellarum in signis : Two Star Catalogues from the Carolingian Age”, pp. 127-144, étudie également des textes d’époque carolingienne, des catalogues d’étoiles accompagnés d’illustrations: le De signis caeli dont il a été question dans l’article précédent, et le De ordine ac positione stellarum in signis, tous deux appartenant à la tradition aratéenne. L’article retrace d’abord l’histoire des écrits de ce type et leur diffusion, les réticences de certains à adopter des appellations et de mythes païens. L’auteur souligne certaines caractéristiques des deux traités. Francesco Bertola (“Tubi astronomici”, pp. 145-150) étudie brièvement les représentations qui montrent un personnage observant le ciel à travers un tube, notamment des représentations de l’horloge stellaire inventée, selon la tradition, par Pacificus de Véronne (776/8-845). L’auteur conclut qu’il n’existe aucune explication claire de l’usage de ce tube. On aurait aimé avoir quelques explications sur l’horloge de Pacificus (en compensation, le lecteur pourra trouver sur internet d’excellentes explications sur l’emploi du nocturlabe) et quelques conjectures concernant ce tube astronomique. Arnaud Zucker (“Exploring the Relevance of the Star-positions in the Medieval Illuminated Manuscripts of Hyginus’ De Astronomia, pp. 153-212) présente un article très fouillé sur l’iconographie des manuscrits du De Astronomia d’Hygin. L’auteur donne une liste de vingt manuscrits et examine les rapports entre le texte et les illustrations. Il souligne que souvent texte et illustrations ne sont pas de la même main, et que plusieurs mains peuvent être intervenues dans les dessins. Les étoiles sont marquées sur les illustrations de différentes manières (points, cercles, astérisques …) et l’auteur pose la question de savoir si ces marques ont été ajoutées d’après le texte et avec quel degré de précision. Suit un examen précis des 20 manuscrits et de leurs représentations des constellations, et des tableaux récapitulatifs. Un modèle de clarté et de précision!
Le même sujet est traité avec le même soin dans l’article de Kristen Lippincott, “Hyginus, Michael Scot (?) and the Tyranny of Technology in the Early Renaissance”, pp. 213-264, mais cette fois pour les imprimés. La première édition du texte d’Hygin a été faite à Ferrare en 1475 par Agostino Carnerio, mais ne comporte pas d’illustrations, mais des espaces blancs laissés pour ajouter les images. La première édition illustrée est celle de Ratdolt en 1482 qui comporte les gravures sur bois de 42 constellations. L’article s’attache à rechercher les modèles de ces illustrations. L’auteur compare les illustrations de l’édition de Ratdolt avec les sources possibles, notamment les manuscrits du Liber Introductorius de Michael Scot, et examine les éditions postérieures reprenant les mêmes illustrations. L’article est suivi de deux appendices très utiles: le premier décrivant 15 éditions d’Hygin et quelques autres traités astronomiques, le second comparant les dessins des constellations entre Hygin, Michel Scot et l’édition Ratdolt.
Filippomaria Pontani et Elisabetta Lugato, “On Aldus’ Scriptores astronomici (1499)”, pp. 265-294, étudient l’édition par Alde Manuce en 1499 d’une collection de traités astronomiques connus sous le titre conventionnel de Scriptores astronomici. Ce volume mélange des textes grecs et latins, ce qui est une nouveauté : Firmicus Maternus, Manilius, les Aratea de Germanicus, Ciceron et Avienus; un traité grec sur la construction de la sphère aratéenne d’un certain Léonce le Mécanicien, les Phénomènes d’Aratus avec des scholies, la Sphère du Pseudo-Proclus avec traduction latine de Thomas Linacre. Avec beaucoup d’érudition, les auteurs étudient les sources de ces éditions et des illustrations. Avec un appendice sur Francesco Negri, l’éditeur de Firmicus dans les Scriptores astronomici.
Petr Hadrava et Alena Hadravová, “Cristannus de Prachaticz’s Treatises on the Astrolabe”, pp. 295-312, se concentrent sur les traités sur l’astrolabe de Cristannus de Prochaticz, écrits à Prague en 1407, dont les auteurs ont donné l’édition en 2001. Après une très brève introduction sur l’instrument et sur l’auteur, l’article est consacré à l’examen de la tradition manuscrite et à l’établissement du stemma codicum sur base des méthodes phylogéniques. Une petite remarque, Ptolémée n’a pas décrit l’astrolabe plan dans le Planispherium, comme il est dit p. 297, mais les principes de la projection stéréographique. Le volume se clôture par l’article de Davide Baldi, “Gli auctores nella Cosmographiae introductio (1507) di M. Waldseemüller e M. Ringmann”, pp. 313-347. Cet ouvrage a été produit par un cercle d’érudits appelé Gymnasium Vosagense, sous le patronage du duc de Lorraine, René II (1473-1508), qui s’intéressait particulièrement à la géographie. La Cosmographiae introductio se voulait une introduction à la Géographie de Ptolémée. Elle contient de nombreuses citations d’auteurs anciens et contemporains que l’article s’attache à identifier.
Il s’agit d’un volume très riche pour lequel on peut émettre quelques regrets. Tout d’abord, l’absence d’index en rend la consultation peu aisée. D’autre part, le grand nombre d’illustrations aurait justifié une présentation plus luxueuse, car le dessins des manuscrits sont mal mis en valeur et beaucoup de tableaux sont réduits au point d’être illisibles.