BMCR 2017.07.12

Education and Religion in Late Antique Christianity: Reflections, Social Contexts and Genres

, , , Education and Religion in Late Antique Christianity: Reflections, Social Contexts and Genres. London; New York: Routledge, 2016. xii, 216. ISBN 9781472434760. $149.95.

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Les mutations politiques, économiques, sociales et culturelles profondes qui caractérisent l’Antiquité tardive attirent l’attention des chercheurs depuis une trentaine d’années. Si le nombre de travaux qui sont consacrés à cette période est croissant, force est de constater que la tâche reste encore immense, tant du point de vue de l’édition des sources, que de celui de l’étude d’aspects particuliers de cette période. Tel est le cas de la réception de la culture et l’éducation classique, la paideia, par le christianisme, qui a presque toujours été étudiée, jusqu’à présent, uniquement à travers les sources littéraires historiques et sous l’angle de l’opposition du christianisme à la paideia. Les études se multiplient sur le sujet et, loin de confirmer les positions antérieures, illustrent l’adoption par le christianisme de certains aspects de la paideia, comme nous l’avons montré dans le cas des papyrus scolaires.1

Issu d’une journée d’étude organisée à Göttingen en juin 2013, l’ouvrage édité par P. Gemeinhardt, L. Van Hoof et P. Van Nuffelen s’inscrit dans cette perspective nouvelle. En effet, dès l’introduction (pp. 1-9), les éditeurs, en précisant l’objectif de l’ouvrage, visent à identifier davantage la pluralité des attitudes des chrétiens vis-à-vis de l’éducation classique, plutôt qu’une réaction uniforme. Cette pluralité est justifiée dans la mesure où 1) la réflexion des chrétiens sur l’enseignement évolue avec leur pratique du christianisme, 2) les bouleversements qui caractérisent l’Antiquité tardive affectent profondément les structures politiques, sociales, économiques, linguistiques et culturelles, et 3) l’attitude envers l’éducation classique varie en fonction du contexte et du public visé (pp. 3-4). La méthode mise en œuvre pour atteindre cet objectif est résolument comparative, par la confrontation des sources les unes aux autres, et pluridisciplinaire, puisque celles-ci sont de nature (littéraire, hagiographique, juridique, gnomique), de langue (latin, grec, copte et syriaque) et de provenance diverses (Gaule, Afrique, Égypte et Syrie-Palestine). L’ouvrage réunit douze contributions réparties équitablement en quatre parties.

Centrée sur l’Égypte, où est né le monachisme, la première partie est dédiée à l’enseignement prodigué dans les établissements monastiques. L. Larsen (University of Redlands) aborde l’éducation monastique (pp. 13-33) en confrontant 1) les sources décrivant des programmes d’apprentissage ( Descriptive Evidence), comme l’ Asceticon de Basile de Césarée, la Lettre à Laeta de Jérôme et les Préceptes de Pachôme, tous datés du IV e siècle, 2) les sources matérielles ( Material Evidence), constituées des papyri et ostraca provenant de milieux monastiques qui fournissent des exemples d’exercices scolaires, datés, pour la plupart, du VI e /VII e siècle et 3) les sources littéraires ( Literary Evidence), représentées par les collections de maximes, chreiai et Dits des Pères de l’Église. Bien qu’elles n’appartiennent pas à la même période, les sources, concordantes, attestent des pratiques didactiques similaires. Dans The Education of Shenoute and Other Cenobitic Leaders. Inside and Outside of the Monastery (pp. 35-46), J. Timbie (Catholic University of America, Washington) enquête sur le type d’instruction supérieure dont ont bénéficié les supérieurs de monastères cénobitiques des IV e et V e siècles, en se fondant sur les règles monastiques, les traces archéologiques relatives à l’éducation et le contexte socio-économique de provenance des moines cénobites. Une attention particulière est consacrée à la question du bilinguisme grec-copte et à l’influence de la rhétorique grecque. Ainsi, l’auteur établit que, tandis que Pachôme n’a bénéficié que d’un enseignement primaire avant de fonder son monastère, Théodore et Horsièse ont fréquenté l’école du grammairien en grec et appris le copte par la lecture des textes sacrés. Quant à Chénouté, il a suivi un enseignement supérieur, qu’attestent sa très probable connaissance du grec et sa maîtrise des techniques oratoires. Dans sa contribution Teaching the New Classics. Bible and Biography in a Pachomian Monastery (pp. 47-58), E. Watts (University of California, San Diego) établit un parallèle entre, d’une part, l’organisation de l’enseignement dans un monastère cénobitique, qui alterne enseignement ex cathedra (étude et récitation des Psaumes, du Notre-Père) et discussions ouvertes, et, d’autre part, les impératifs de la vie en commun (κοινωνία), où, bien que très réglementée, la parole est toutefois encouragée durant certaines périodes de la journée, afin de favoriser la création de liens sociaux entre les moines.

Déjà abordé dans la contribution de L. Larsen, le genre gnomique et son rapport avec l’éducation sous-tend les trois contributions de la deuxième partie de l’ouvrage. Dans sa contribution An Education through Gnomic Wisdom. The Pandect of Antiochos as Bibliothekersatz (pp. 61-72), Y. Papadogiannakis (King’s College, Londres) examine le Pandecte de la Sainte Écriture d’Antiochos, moine au monastère de Saint-Sabas à Jérusalem à la fin du VI e et au début du VII e siècle. Œuvre à fort potentiel didactique composée dans le contexte de la prise de Jérusalem par les Perses en 620, le Pandecte est constitué de 130 homélies qui sont autant de collections de sentences tirées des livres bibliques, en vue de l’édification des moines. Chaque collection de sentences est précédée d’un titre (κεφαλαῖον), qui illustre le thème abordé. La liste des κεφαλαῖα est fournie à la fin de la contribution. A. Rigoglio (Merton College, Oxford) s’interroge sur le processus de traduction en syriaque des textes de Plutarque, Lucien et Thémistios, aux V e et VI e siècles (pp. 73-85). L’étude des traductions syriaques et leur comparaison avec l’original grec révèlent que les textes ont été adaptés en vue d’un public chrétien (remplacement des noms de dieux païens par « Dieu » et des noms de personnages historiques par des périphrases, exempla mythologiques évités, etc.) et ont été accompagnés de remarques à des fins édifiantes ou moralisantes. Le parallèle établi avec les dialogues de Jean d’Apamée, qui vécut au Ve siècle, confirme l’usage à des fins didactiques de l’œuvre des trois auteurs grecs dans la littérature syriaque de cette époque. La comparaison des modèles d’enseignement de Basile de Césarée et de Jean Chrysostome, est l’objet de la contribution (pp. 86-100) de J.R. Stenger (University of Glasgow). Dans son traité Sur la vanité, composé vers 390, Jean Chrysostome fournit un modèle d’éducation religieuse où l’école est remplacée par la famille. Le programme, qui ignore la paideia, est exclusivement fondé sur l’histoire biblique, utilisée ici à des fins édifiantes. En revanche, le traité Aux jeunes gens de Basile de Césarée, daté entre 370 et 375, tente d’identifier ce qui, dans la paideia, peut servir l’instruction et l’édification du bon chrétien. Dans la mesure où il ne fait pas abstraction de l’enseignement qui avait cours à son époque, le modèle de Basile est plus réaliste, ce qui explique son succès. Toutefois, d’après l’auteur, ni le modèle de Jean Chrysostome, ni celui de Basile, ne fournissent de véritable synthèse entre paideia et christianisme dans le contexte de l’éducation.

La troisième partie de l’ouvrage contient trois contributions sur la valeur didactique de textes littéraires. Celle de P. Gemeinhardt (Georg-August-Universität Göttingen) analyse l’influence de la rhétorique classique sur le sermon De laude sanctorum de Vitricius, évêque de Rouen à partir de 380 ou 386 (pp. 103-115). La translation des reliques reproduit le schéma rhétorique de l’ adventus impérial et la logique aristotélicienne est mise à contribution pour démontrer la présence de la puissance divine dans les reliques. Dans cette perspective, le De laude sanctorum illustre la rhétorique du paradoxe, où « the elements of pagan education, used in a conscious manner, are apt to describe the belief in the saints, and even in the triune God » (pp. 111-112). La correspondance fictive entre Libanios et Basile de Césarée (pp. 116-130) est l’objet de la contribution de L. Van Hoof (Universiteit Gent). Circulant déjà en 430, d’après l’historien de l’Église Socrate de Constantinople, cette correspondance est l’œuvre d’un auteur qui a bénéficié d’une bonne éducation et qui connaît les œuvres de Libanios (il cite notamment des lettres authentiques), de Basile et des autres Pères cappadociens. Si l’on compare les portraits du rhéteur et du Cappadocien tels qu’ils transparaissent dans les lettres, Basile est présenté beaucoup plus favorablement que Libanios, dans la mesure où le premier se tourne vers une vie sacrée où la rhétorique n’est pas une fin en soi, mais est subordonnée aux valeurs chrétiennes. Dans Scripture and Liturgy in the Life of Mary of Egypt (pp. 131-141), D. Krueger (University of North Carolina, Greensboro) analyse les citations et échos dans la Vie de Marie d’Égypte, composée en Palestine au VIIe siècle et faussement attribuée à Sophrone de Jérusalem. Du grand nombre de citations de la Bible, mais aussi des Hymnes de Romanos le Mélode, on peut déduire un contexte d’utilisation liturgique, mais aussi didactique. Ici, c’est le genre hagiographique qui fournit les exempla à imiter.

La quatrième et dernière partie de l’ouvrage est consacrée à l’évaluation religieuse de l’éducation païenne et chrétienne. La contribution de P. Van Nuffelen (Universiteit Gent) étudie la réflexion sur les arguments profanes ( forenses), qui sont liés à la rhétorique classique, et légaux ( legales), c’est-à-dire relevant de la loi divine, telle qu’elle a été menée lors du concile de Carthage, en 411, aboutissant au rejet du donatisme (pp. 145-158). Bien qu’opposés, les deux types d’argument peuvent être utilisés dans un même raisonnement. Cela nécessite une éducation poussée en rhétorique, qui permette de les distinguer et de savoir en quelle occasion utiliser l’un plutôt que l’autre. K. Vössing (Rheinische Friedrich-Wilhelms-Universität Bonn) concentre son attention sur le rapport avec la paideia qu’entretient l’ Histoire de la persécution vandale de Victor de Vita, qui vécut dans la seconde moitié du V e siècle, (pp. 159-170). L’invasion de l’Afrique par les Vandales en 439 accélère le processus de rapprochement entre les chrétiens et les non chrétiens, pour faire front à l’ennemi, comme en témoigne la réévaluation positive de l’éducation profane dans l’œuvre de Victor de Vita. La contribution (pp. 171-185) de D. King (Cardiff University) fournit un panorama des pratiques didactiques qui ont cours dans la zone linguistique du syriaque, du V e siècle au IX e /X e siècles, en insistant particulièrement sur la réception de la paideia grecque, favorisée par le maintien du grec comme langue de culture jusqu’au VII e siècle. L’auteur s’intéresse notamment aux traditions grammaticale, philosophique et rhétorique grecques et au rôle des monastères et des écoles qui y sont associées, comme l’école de Nisibe.

L’ouvrage est clôturé par la bibliographie (pp. 187-210), qui distingue les éditions de textes antiques et la bibliographie moderne, et les index des auteurs et personnes, des lieux et des sujets (pp. 211-216).

Tenant compte des disparités géographiques et linguistiques, ainsi que des bouleversements sociaux, politiques et culturels, ces douze contributions brossent un panorama nuancé des rapports qu’entretiennent les chrétiens avec l’éducation classique dans l’Antiquité tardive. L’apport majeur de l’ouvrage réside dans l’attention portée à de nombreuses sources littéraires peu connues et sous-exploitées. Le traitement qui leur est réservé contribue à améliorer non seulement la connaissance de l’Antiquité tardive et la richesse de sa production littéraire, mais également la compréhension de ces textes, qui, parfois ne bénéficient pas encore d’une édition critique moderne. Démontrant tout à fait la complexité de l’étude des attitudes des chrétiens face à la paideia, dans le domaine de l’éducation de l’Antiquité tardive, l’ouvrage, loin de clore le sujet, suscitera certainement de nouvelles recherches sur la question.

Notes

1. Voir N. Carlig, “Recherches sur la forme, la mise en page et le contenu des papyrus scolaires grecs et latins chrétiens d’Égypte”, dans Studi di Egittologia e di papirologia, 10 (2013), pp. 55-98, N. Carlig, Christianisme et paideia dans l’Égypte byzantine : l’apport des papyrus scolaires grecs de nature composite profane et chrétienne (fin du III e – VII e /VIII e siècle), à paraître dans G. Agosti & D. Bianconi (éd.), La scuola tardoantica fra centro e periferia. Atti del convegno romano, Spoleto, ainsi que dans notre thèse de doctorat, soutenue à l’Université de Liège le 26 mars 2016 et intitulée Recherches sur le texte, la mise en texte et le contexte des papyrus littéraires grecs et latins de nature composite profane et chrétienne dans l’Égypte romaine et byzantine.