BMCR 2017.05.04

Silver, Money and Credit: A tribute to Robartus J. van der Spek on the Occasion of his 65th Birthday. PIHANS, 128

, , Silver, Money and Credit: A tribute to Robartus J. van der Spek on the Occasion of his 65th Birthday. PIHANS, 128. Leiden: Nederlands Instituut voor het Nabije Oosten, 2016. xxix, 348. ISBN 9789062583393. €68.90 (pb).

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Il se veut plus qu’un simple livre de Mélanges, car les deux éditeurs ont insisté sur leur volonté de présenter une synthèse la plus complète possible des problématiques en relation avec l’argent dans les civilisations de l’Antiquité, en particulier au Proche-Orient et dans la seconde moitié du I er millénaire av. J.-C., qui est le champ de recherche privilégié de Robartus J. van der Spek. Après 29 pages consacrées à la relation de la publication avec le dédicataire, sa place dans l’historiographie de l’empire séleucide et la liste de ses publications, les articles sont répartis en trois grands ensembles géographiques : Mésopotamie, Chine et empire perse achéménide, Levant et Grèce. La liste complète des auteurs avec les titres de leurs contributions est présentée à la fin de ce compte- rendu.

Le premier champ géographique, la Mésopotamie, est couvert par huit contributeurs, qui offrent des informations d’abord épigraphiques et philologiques telles que l’utilisation du signe KU 3 pour désigner un métal précieux dans les documents cunéiformes d’Uruk au III e millénaire par Theo Krispijn. Il dédie une étude exhaustive aux formes du signe et à tous les contextes dans lesquels il est attesté et montre qu’à côté de ses usages pour désigner l’argent (KU 3 -UD) et l’or (KU 3 -NE), il est attesté en bijouterie, mais aussi comme moyen pour quantifier la valeur de certains produits. Jan Gerrit Dercksen est parti de l’expression akkadienne kaspam lašqul dans la documentation paléo-assyrienne de Kaniš pour procéder à une utile remise à jour de ce que l’on sait sur les poids utilisés en Anatolie par les marchands assyriens et leurs correspondants des palais locaux, en particulier pour peser l’argent. Il arrive ainsi à déterminer l’existence d’un sicle d’environ 11,3 g. et d’une mine de 425 à 450 g. à Kaniš. Marten Stol a rassemblé et examiné de manière exhaustive le vocabulaire akkadien exprimant la notion de dette (IOU pour «I Owe You») dans les textes de la pratique d’époque paléo-babylonienne, qui s’applique au solde des dettes, aux paiements partiels, aux promesses de paiement.

Kristin Kleber reprend ensuite la question de la monétarisation de l’économie en Babylonie et de la hausse significative des prix intervenue entre le II e et le I er millénaire. Elle prend donc en compte les données sur l’or à l’époque cassite et sur le statut particulier de l’argent à la fin du II e millénaire, qui témoignent d’une économie détachée d’un rapport étroit à l’argent. Cette réflexion de nature économique est complétée par celle que présente Michael Jursa, qui cherche à analyser la notion de richesse à partir des données du 8 ème et du 7 ème siècle, lorsque l’argent commence à être plus répandu dans les transactions, mais n’a pas encore atteint le stade «monétarisé» du long 6 ème siècle. La richesse s’exprime et s’évalue donc encore en biens immobiliers et mobiliers, même si l’argent sert, dans les périodes troublées, à acheter l’adhésion et le soutien des agents politiques.

Caroline Waerzeggers publie un document judiciaire cunéiforme d’époque achéménide de Sippar à propos de la disparition frauduleuse d’éléments de vaisselle sacrée et l’interprète à la lumière des troubles qui ont vu l’accession de Darius I er et des conflits intervenus à Sippar dans ce contexte politique particulier. Johannes Hackl s’est attaché à compléter le corpus de textes connu sous le nom d’«archive de Rahimesu», comptant désormais 36 listes de transactions concernant divers produits et biens enregistrés dans le temple de Babylone en 94 et 93 av. J.-C. Leur point commun est d’être libellés en argent et de marquer ainsi le passage définitif à une monétarisation des échanges commerciaux, que la Babylonie pratiquait depuis l’époque achéménide. Le n°11 mérite de retenir l’attention puisqu’il s’agit d’un morceau de disque d’argile qui a pu servir de couvercle pour un récipient dont le contenu, mixte, était composé de 8 tablettes cunéiformes et de 10 rouleaux de peau en grec ou en araméen, confirmant la pratique multilingue de l’administration des sanctuaires du début du 1 er siècle av. J.-C.. Enfin, Reinhard Pirngruber revient sur la notion de niveau de vie telle qu’on peut l’appréhender à partir de la relation entre prix et rémunérations (en nature ou en argent-métal) à partir du 6 ème siècle. Il s’attache surtout à évaluer le montant et le pouvoir d’achat des rémunérations que documentent les textes babyloniens des 2 ème et 1 er siècles et conclue à une paupérisation d’une partie significative de la population par rapport à la situation du 6 ème siècle.

L’une des questions que soulèvent plusieurs des études de ce livre est d’ailleurs celle de la thésaurisation: à partir du moment où l’«argent», au sens très général de métal précieux ou semi-précieux utilisé dans les échanges, sert d’étalon de valeur, on devrait avoir de nombreuses traces de son accumulation sous forme de trésors en Mésopotamie, sur la longue durée. À l’exception d’une quinzaine de cas qui ont été précédemment répertoriés et analysés pour l’Âge du Bronze par L. Peyronnel (“Ancient Near Eastern Economics: the Silver Question between Methodology and Archaeological Data”, 6th ICAANE, Rome 2010, p. 925-948), c’est surtout en contexte funéraire ou dédicatoire que l’on trouve des accumulations significatives de métal précieux, et encore est-ce sous forme de bijoux ou de vaisselle ouvragée, qui renvoient au moins autant à des notions de prestige qu’à la simple accumulation de métal.

La formation et l’évaluation de la richesse passent donc par d’autres voies que celle de la détention exclusive d’or ou d’argent au II e millénaire et jusqu’au milieu du I er, même dans le cas des marchands assyriens établis dans le comptoir commercial de Kaniš, en Cappadoce, au 19 ème siècle, qui semblent avoir converti la plus grande partie des bénéfices réalisés en achats immobiliers, de même que les riches marchands de Larsa, en Babylonie du sud, à peu près à la même époque se font construire de grandes résidences dans le quartier occidental de la ville, lorsqu’ils se retirent des affaires commerciales.

Ce point est justement souligné par M. Jursa qui voit dans le 6 ème siècle la période charnière au cours de laquelle la monétarisation de l’économie mésopotamienne entraine une appréciation de la richesse fondée de plus en plus sur la possession de métal précieux. Mais même au 6 ème siècle, la richesse s’exprime encore en biens immobiliers: ainsi, les membres de la famille Egibi, les entrepreneurs de Babylone, convertissent une grande partie de leurs bénéfices commerciaux et financiers en terres agricoles, en maisons, et en esclaves.

Cette attitude est également restée valide pour les femmes de notables, dont le rapport à l’argent-métal présente des singularités qui mériteraient une recherche prolongeant celle de M. Roth (M. Roth, “The Material Composition of the Neo-Babylonian Dowry”, AfO 36/37, 1989-1990, p.1-55). D’après les archives privées de la Babylonie du 6 ème siècle, les femmes reçoivent de la part de leur père au moment du mariage une dot ( nudunnu) qui représente une part d’héritage forfaitaire. Selon le niveau social de la famille, cette dot est, en général, composée de biens immobiliers, d’esclaves ou de métal précieux. Mais il arrive souvent qu’après le mariage le beau-père ou le mari de la nouvelle épouse convertisse la dot avec l’accord de cette dernière. Cette conversion consiste à échanger le métal précieux de la dot contre une terre agricole ou des esclaves. Il s’agit donc de transformer une valeur statique, celle de l’argent, en une richesse “active”, car le revenu produit par l’exploitation de la terre ou le travail des esclaves est consommé par l’ensemble de la famille. D’autre part, le contrôle de cette forme de richesse s’inscrit dans le fonctionnement collectif du groupe familial, typique de la société des notables babyloniens du milieu du I er millénaire, alors que la gestion de l’argent, par le biais des opérations financières, met surtout en jeu des responsabilités et des parcours individuels.

La seconde aire chrono-culturelle documentée dans l’ouvrage est celle du Moyen- et de l’Extrême-Orient. Les conséquences de la monétarisation en argent de l’économie en Chine du 15 ème au 17 ème siècle ap. J.-C. ont été mises en parallèle par Bas van Leeuwen et Yi Xu, à la suite de Robartus van der Spek lui-même, avec la situation en Babylonie de la seconde moitié du I er millénaire av. J.-C. Mais l’intrusion de l’argent ne fut pas complète dans la Chine du 17 ème siècle, et une large part des échanges reposait encore sur la monnaie de cuivre ou sur d’autres types de monnaie. Même si l’argent servit de plus en plus de standard de valeur, il ne se substitua pas, loin de là, au monnayage de cuivre comme moyen de paiement, et il faut sans doute relativiser la vigueur du développement économique de la Chine des Ming que l’on induit de la plus grande quantité d’argent en circulation. L’article suivant, le plus long du volume (107 pages), a été élaboré par Wouter Henkelman et Margaretha Fomer et porte sur un groupe très particulier de documents araméens d’époque achéménide provenant de Bactriane et publiés en 2012, celui de 18 bâtonnets de compte (ou «tailles») en bois, datés de l’an 3 de Darius III (333/332 av. J.-C.). Les deux auteurs en livrent une étude minutieuse, tant sur l’aspect physique des marques portées sur les bâtonnets que sur le système pratique de crédit dans lequel ils s’insèrent. Ils montrent qu’ils sont produits par une administration locale, mais ne concernent pas la gestion du personnel qu’elle a sous ses ordres. Ils mettent alors les exemplaires bactriens en relation avec toute une série de documents parallèles (Yémen, Grèce, Sogdiane, Chine et Asie Centrale , etc…) et concluent à un type de système économique dans lequel l’administration impériale achéménide entretenait des relations avec des acteurs individuels ou collectifs échappant presque totalement aux traditions de la gestion écrite développée dans le Proche-Orient mésopotamien. Ces bâtonnets de compte peuvent correspondre à des usages multiples comme des pratiques de répartition de terres, de gestion des troupeaux ou des versements de taxes et les auteurs montrent comment l’empire achéménide savait adapter des méthodes de gestion et de contrôle à des réalités locales extrêmement variées. Dans un environnement non monétarisé, ils permettent d’établir et d’enregistrer des transactions de toute nature. L’article de Robartus van der Spek sur la monétarisation en argent (plus exactement la « silverization») comparée de la Chine et de la Babylonie déjà évoqué plus haut sert aussi de point de départ à Mark Tamerus, pour évaluer la place réelle tenue par l’argent au coeur de l’empire achéménide. Il montre, à partir des documents élamites de Persépolis, que le Trésor royal installé là diffusait, par le biais des rémunérations versées aux multiples agents en relation avec le palais, mais aussi en mettant sur le marché un certain nombre de surplus, l’usage de l’argent. Une partie de l’article est consacrée au groupe de documents comportant le terme élamite šaumarraš qui renvoie à un marquage de l’argent attestant de sa qualité et qui peut être mis en parallèle avec l’emploi du terme akkadien ša ginnu en contexte babylonien pour désigner l’argent «marqué».

Les quatre dernières contributions situent les questions traitant de l’argent dans un contexte géographique plus méditerranéen : d’abord une approche littéraire avec l’évocation de l’oeuvre hittite connue sous le nom de Chant de l’Argent, intégrée traditionnellement au cycle littéraro-mythologique de Kumarbi. Dans ce poème, l’Argent, personnifié sous les traits d’un garçon sans père, part à la recherche de ce dernier qui serait le dieu Kumarbi. Willemiijn Waal retrouve ce thème folklorique dans une série d’oeuvres d’aires géographiques diverses et met en question l’appartenance étroite du Chant de l’Argent au cycle de Kumarbi. Jorrit Kelder s’attache à montrer l’importance de l’argent-métal comme standard de valeur dans le monde mycénien et le rôle de valeur-refuge que lui ont attribuée les rois de Mycènes, qui l’ont thésaurisé pour établir ainsi leur richesse et témoigner de leur prestige. Ce faisant, ils l’ont retiré des circuits d’usage habituels de l’artisanat de luxe et provoqué une apparente pénurie d’argent. Caroline van der Brugge s’intéresse aux conséquences de l’intérêt des Phéniciens pour la péninsule ibérique et ses richesses minières, notamment en argent en évoquant le riche cratère d’argent que le roi de Sparte Ménélas avait reçu du roi de Sidon Phaedimus et qu’il présente dans l’ Odyssée à Télémaque, quand celui-ci le visite. Enfin Diana Kretschmann étudie le monnayage d’Athènes entre 407 et 405 et l’émission de pièces de bronze plaquées d’argent, en réponse à ses énormes difficultés financières dues à la Guerre du Péloponnèse et montre comment une relation symbolique essentielle reliait le monnayage de la cité à l’idée que se faisaient ses citoyens de leur propre valeur.

C’est donc un ensemble cohérent que cet ouvrage et qui explore, à travers une variété d’aires géographiques antiques, les aspects les plus divers de l’argent. Il représente, en même temps qu’un amical hommage à Robartus van der Spek, une très utile synthèse de l’historiographie contemporaine sur la fonction économique des métaux précieux et élargit considérablement notre connaissance de leurs usages et de leur rôle historique.

Table of Contents

Kristin Kleber and Reinhard Pirngruber, “Editor’s Foreword” (VII)
Jaap-Jan Flinterman, “Toespraak bij het afscheid van Bert van der Spek als hoogleraar Oudheidkunde” (IX-XII)
Amelie Kuhrt, “‘Bert’ and the History and Historiography of the Seleucid Empire” (XIII-XVIII)
Bibliography of Robartus J. van der Spek (XIX-XXVII)
Tabula Gratulatoria (XXIX)

Mesopotamia
Theo J.H. Krispijn, “Early Silver: Thoughts about the Sign KU3 in the Earliest Documents from Uruk” (1-10)
Jan Gerrit Dercksen, “Kaspam lašqul ‘Let Me Weigh Out the Silver’: Mesopotamian and Anatolian Weights during the Old Assyrian Colony Period” (11-22)
Marten Stol, “The Old Babylonian ‘I Owe You’” (23-37)
Kristin Kleber, “The Kassite Gold and the Post-Kassite Silver Standards Revisited” (39-60)
Michael Jursa, “Silver and Other Forms of Elite Wealth in Seventh Century BC Babylonia (61-71)
Caroline Waerzeggers, “The Silver has gone… Temple Theft and a Divided Community in Achaemenid Babylonia” (73-85)
Johannes Hackl, “New Additions to the Raḫimesu Archive: Parthian Texts from the British Museum and the World Museum Liverpool” (87-106)
Reinhard Pirngruber, “The Value of Silver: Wages as Guides to the Standard of Living in First Millennium BC Babylonia” (107-118)

China and the Persian Empire
Bas van Leeuwen and Xuyi, “Silverization of China during the Ming-Qing Transition (ca. 1550-1700) and the Consequences for Research into the Babylonian Economy” (119-132)
Wouter F.M. Henkelman and Margaretha L. Folmer, “Your Tally is Full! On Wooden Credit Records in and after the Achaemenid Empire” (133-239)
Mark Tamerus, “Elusive Silver in the Achaemenid Heartland:Thoughts on the Presence and Use of Silver According to the Persepolis Fortification and Treasure Archives” (241-294)

The Levant and Greece
Willemijn J.I. Waal, “Silver in Search of his Father: A Comparative Folkloristic Approach to an Episode of the Song of Silver” (295-307)
Jorrit M. Kelder, “Mycenae, Rich in Silver” (309-319)
Caroline van der Brugge, “The Silver Krater of King Phaedimus: A Small Piece of Tyrian History in the Odyssey” (321-334)
Diana E. Kretschmann, “‘A Bad Penny always Turns up’: Silver Coins and Citizenship Ideology in Classical Athens” (335-350)